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En Israël, l’amour entre juifs et non-juifs est le « fléau » des puristes raciaux

Alors qu’il prétend être une démocratie, Israël interdit à ses citoyens de se marier si leurs parents respectifs sont enregistrés sous différentes religions
Des partisans du groupe d’extrême droite Lehava protestent lors du mariage de Mahmoud Mansour, un citoyen palestinien d’Israël, et Morel Malka, une Israélienne de confession juive, en août 2014 à Rishon LeZion (AFP)

Un soir de sabbat, fin novembre 2014, trois jeunes membres du gang raciste israélien « Lehava » ont fait irruption dans la seule école de Jérusalem qui ne pratique pas de ségrégation religieuse.

Après qu’un de ses complices a couvert les murs de l’école de graffitis indiquant « Non au métissage », Yitzhak Gabay, 22 ans, a mis le feu à l’école avec le benzène qu’il avait apporté avec lui. 

Un an plus tard, un tribunal israélien a condamné Gabay pour incendie criminel, ainsi que pour incitation à la violence raciste, vandalisme, possession d’une arme et soutien à un groupe terroriste. Condamné à trois ans et quatre mois de prison, il a été libéré en février.

La semaine dernière, Gabay était de retour au tribunal pour une autre affaire d’incendie criminel. Cette fois-ci, il ne s’est pas assis sur le banc des accusés, mais il est venu en homme libre pour soutenir d’autres pyromanes présumés.

Un juge examinait le cas de deux autres jeunes Israéliens accusés d’avoir pénétré dans un village de Cisjordanie au cours d’une nuit en juillet 2015 et incendié la maison d’une famille palestinienne : le père, la mère et un jeune garçon d’un an avaient alors péri dans les flammes. Les médias israéliens ont photographié Gabay dans un groupe de vingt jeunes Israéliens venus au tribunal pour narguer le grand-père du bébé en lui criant : « Barbecue ! Ton petit-fils est passé sur le gril ! »

Traduction : « Selon un membre du Parlement israélien sur place, il n’y avait pas un, mais vingt Israéliens qui ont crié “Ton petit-fils est passé sur le gril !” au grand-père du bébé palestinien d’un an qui est mort brûlé avec son père et sa mère lorsque des terroristes israéliens ont incendié leur maison. »

Il est clair que la peine de prison purgée par Gabay, aussi courte fut-elle, n’a pas atténué sa haine pour les Palestiniens ainsi que pour les juifs qui pourraient vivre avec eux en les considérant comme des individus égaux, voire entretenir une relation amoureuse avec eux.

La pureté raciale

Cette scène déprimante et morbide aurait pu être récupérée et transformée en un moment riche en enseignements. Les dirigeants israéliens auraient pu rejeter publiquement l’insistance de Gabay en faveur de la pureté raciale et s’exprimer en solidarité avec ses victimes – sinon avec les Palestiniens attaqués pour le simple fait d’exister, tout au moins avec les juifs et les Arabes attaqués par Gabay pour le seul crime de coexister. 

Mais au lieu de cela, ce jour-là, le ministre israélien de l’Éducation a joué les entremetteurs en chef en appelant sur Twitter à un « rassemblement de célibataires juifs du monde entier en Israël ».

Traduction : « Que pensez-vous de cette idée : un rassemblement de célibataires juifs du monde entier en Israël, disons quatre à cinq jours avant la Pâque ? Ils viendraient pour rencontrer d’autres célibataires et assister à des événements musicaux et culturels… Dites-moi ce que vous en pensez ici. J’ai vraiment envie d’entendre votre avis. »

Se souvenant que les familles mixtes sont vulnérables à la violence raciste, Naftali Bennett s’est mis en tête d’empêcher la formation de nouvelles familles de ce genre.

Il serait naïf de s’attendre à de la sympathie de la part du ministre de l’Éducation. Sous son leadership, les livres racontant des romances entre juifs et Palestiniens ont été retirés des listes d’ouvrages des écoles

Certes, il serait naïf de s’attendre à de la sympathie de la part du ministre de l’Éducation. Sous son leadership, les livres racontant des romances entre juifs et Palestiniens ont été retirés des listes d’ouvrages des écoles.

Le Foyer juif, le parti politique dirigé par Bennett, est en première ligne des efforts visant à éradiquer le peu de métissage qui existe en Israël. Des groupes de colons d’extrême droite associés au parti reçoivent régulièrement des fonds du gouvernement pour quitter la Cisjordanie occupée et s’installer en Israël même, dans les rares villes qui abritent des juifs et des Arabes dans les mêmes quartiers, avec l’objectif déclaré de rompre les relations amoureuses entre juifs et non-juifs.

Une campagne mondiale

Mais Bennett ne cherche pas seulement à éradiquer l’amour interracial en Israël. Il détient également le portefeuille des Affaires de la diaspora et utilise les budgets de ce ministère pour financer des programmes visant à convaincre les juifs qui vivent hors d’Israël de ne pas fréquenter des non-juifs. 

Lorsqu’il a pris ses fonctions en 2015, il a demandé le passage du financement gouvernemental de ces programmes internationaux de lutte contre le métissage de 4 à 50 millions de dollars.

Pour être juste, ce ne sont pas seulement les factions d’extrême droite au sein du gouvernement qui haïssent les familles multiculturelles d’Israël. Benzi Gopstein, le chef de Lehava qui a ouvertement appelé à incendier les églises à travers le pays, n’a pu entrer à la Knesset et y répandre ses idées suprémacistes que grâce au parti au pouvoir du Premier ministre Benyamin Netanyahou.

Benzi Gopstein, le chef de Lehava, est escorté pour se rendre à une audience dans un tribunal de Jérusalem, en décembre 2014 (AFP)

En 2011, les députés du Likoud Tzipi Hotovely et Danny Danon ont invité Gopstein à témoigner devant une commission de la Knesset afin qu’il puisse dénigrer les relations consensuelles entre des hommes palestiniens et des femmes juives en les désignant sans aucune justification comme des enlèvements. Les policiers présents ont déclaré qu’ils n’étaient pas au courant d’affaires de ce genre.

Pendant des années, ces activités de lutte contre le métissage ont été financées par le gouvernement israélien lui-même

Néanmoins, les parrains de Gopstein à la Knesset sont aujourd’hui les deux diplomates les plus haut placés du gouvernement : Hotovely occupe le poste de ministre des Affaires étrangères par intérim tandis que Danon est ambassadeur aux Nations unies.

Les hommes et les femmes de main de Gopstein protestent lors de mariages entre Arabes et juifs et patrouillent dans les villes israéliennes pour harceler les couples interraciaux dans l’espoir d’empêcher totalement ces mariages déjà rares. 

Pendant des années, ces activités de lutte contre le métissage ont été financées par le gouvernement israélien lui-même. Après les révélations faites à ce sujet par le journaliste d’investigation Uri Blau en 2011, le filon gouvernemental s’est arrêté.

Depuis lors, Lehava est financé par la famille Falic, qui est aussi le financeur principal des campagnes électorales de Benyamin Netanyahou.

Le « fléau » de Herzog

Il ne devrait pas être surprenant de constater que le camp pro-domination (les partisans d’une solution à un État d’apartheid) et le camp pro-élimination (les partisans d’un État d’apartheid débarrassé des non-juifs) en Israël cherchent à étouffer toute possibilité pour les juifs de dormir aux côtés de leurs prétendus ennemis.

Mais qu’en est-il du camp pro-ségrégation en Israël ? Que font les partisans de la solution à deux États – les sionistes qualifiés de libéraux – pour protéger le droit de tout citoyen israélien de tomber amoureux, de se marier et d’avoir des enfants avec l’élu(e) de son cœur, sans distinction de race ou de religion ?

Le dimanche 24 juin, le législateur du Parti travailliste Yitzhak Herzog a annoncé son retrait de la Knesset. En se retirant après cinq ans passés à la tête de l’opposition, il a clairement fait savoir que son cœur ne penchait pas pour les familles métisses israéliennes sous pression, mais plutôt pour les racistes qui ne ferment pas l’œil de la nuit pour chercher comment empêcher les mariages entre juifs et non-juifs.

D’autres responsables politiques israéliens qui se considèrent comme des centristes [...] ont également tenu des propos désobligeants envers les mariages mixtes

Le jour où il a été choisi pour diriger l’Agence juive, une organisation paraétatique souvent désignée comme le gouvernement de la communauté juive mondiale, Herzog a exposé ses priorités en énumérant les questions qui étaient à ses yeux les plus importantes à aborder. Il a ainsi expliqué au site d’information israélien Ynet :

« Je vais vous raconter une histoire personnelle. L’été dernier, j’ai voyagé avec [mon épouse] aux États-Unis pour les vacances. Je suis diplômé d’une école juive à New York et nous sommes allés rendre visite à des amis. J’ai beaucoup d’amis aux États-Unis. Et j’y ai vu quelque chose que j’ai qualifié de véritable fléau. J’ai vu les enfants de mes amis mariés ou en couple avec des partenaires non juifs ! Et les parents battaient leur coulpe, posaient des questions et souffraient. Écoutez, c’est le cas de toute famille [juive] aux États-Unis ! Et nous parlons de plusieurs millions ! Puis j’ai dit qu’il devait y avoir une campagne, une solution. Nous devons nous creuser la tête pour trouver comment relever ce grand défi. »

À la lecture du reportage d’Ynet sur les propos de Herzog en hébreu, j’ai indiqué dans un tweet qu’il avait qualifié les relations amoureuses entre juifs et non-Juifs aux États-Unis de « véritable fléau » contre lequel il espérait trouver une « solution ».

Traduction : « Nommé à la tête de la plus grande organisation juive à but non lucratif – l’Agence juive, une organisation paraétatique –, Yitzhak Herzog, le chef démissionnaire de ‘’l’opposition’’ israélienne, Union sioniste et Parti travailliste, fustige les relations amoureuses entre juifs et non-juifs aux États-Unis en les décrivant comme “un véritable fléau”. »

Herzog a rapidement répondu dans un tweet, indiquant qu’Ynet l’avait mal cité. J’ai donc téléchargé le fichier vidéo de l’interview, et voilà le résultat : la transcription par Ynet des propos hostiles au métissage de Herzog était parfaitement exacte. Herzog avait effectivement décrit les familles mixtes comme une maladie, sous-entendant peut-être que la pureté raciale devait être le médicament prescrit au peuple juif.

Traduction : « C’est une citation erronée ! En vérité, le sens était la préservation de la continuité juive et l’inclusion de non-juifs qui veulent devenir juifs. »

Le dénigrement des relations interraciales par les prétendus libéraux comme Herzog ne devrait pas vous étonner. 

D’autres responsables politiques israéliens qui se considèrent comme des centristes – comme Yair Lapid et Elazar Stern de Yesh Atid ainsi que le vice-ministre de la Diplomatie Michael Oren, entre autres – ont également tenu des propos désobligeants envers les mariages mixtes.

Les séparatistes libéraux

Mais son adhésion ouvertement exprimée à une telle rhétorique raciale en hébreu – avant un rétropédalage édulcoré opéré une fois que les propos ont été révélés en anglais – a engendré une fin appropriée de la duplicité de Herzog en tant que chef de l’opposition. 

Au cours de la dernière décennie, Israël a été gouverné par des gouvernements Netanyahou de plus en plus racistes, aboutissant peut-être au gouvernement le plus raciste de l’histoire du pays. Herzog a passé une bonne partie de son mandat à la tête de cette opposition parlementaire à essayer de devenir l’adjoint de Netanyahou. 

Selon des articles de presse, Herzog voulait entrer au gouvernement et diriger le ministère des Affaires étrangères, où il aurait pu peindre un plus joli visage sur les politiques racistes de Netanyahou sur la scène internationale.

Yitzhak Herzog (à gauche) et le ministre de l’Éducation Naftali Bennett. Tous deux s’opposent aux mariages mixtes juifs (AFP)

Désormais focalisé sur la pureté du peuple juif, Herzog retrouve ses racines familiales. Il y a 75 ans, son grand-père, dont il porte le nom – Yitzhak HaLevi Herzog, alors rabbin en chef de la communauté juive en Palestine –, a fondé le Comité de défense de l’honneur des filles d’Israël pour lutter contre le métissage. 

Dans ce climat de haine et d’hystérie, les femmes juives qui fréquentaient des hommes non juifs – chrétiens ou musulmans – étaient harcelées, battues, torturées sexuellement et parfois même assassinées. Personne n’a jamais été puni, condamné, accusé ni même soumis à une enquête pour ces crimes odieux.

Dans ce climat de haine et d’hystérie, les femmes juives qui fréquentaient des hommes non juifs – chrétiens ou musulmans – étaient harcelées, battues, torturées sexuellement et parfois même assassinées. Personne n’a jamais été puni

Les patriarches qui surveillent la vie sexuelle de leurs enfants ne sont pas une invention du sionisme du XXe siècle et ne sont pas le propre de la religion juive. Mais alors qu’il prétend être une démocratie, Israël interdit à ses citoyens de se marier si leurs parents respectifs sont enregistrés sous différentes religions.

Cette caractéristique a été inscrite dans la loi par David Ben Gourion, leader du Parti travailliste israélien, père fondateur d’Israël et premier Premier ministre du pays. Et maintenant, même 70 ans plus tard, les dirigeants libéraux d’Israël voient encore les exceptions à la règle, les quelques familles qui survivent et se développent dans ces conditions défavorables, comme l’incarnation même d’une maladie.

Bien que son intervieweur chez Ynet le consacre en tant que nouveau Premier ministre élu du peuple juif, il est fortement improbable que Yitzhak Herzog ait plus d’influence sur les habitudes conjugales des juifs en dehors d’Israël que celle qu’il a eue sur les habitudes électorales des juifs à l’intérieur du pays – à savoir remarquablement faible. 

Un pays embourbé dans la haine

Toutefois, l’hostilité généralisée au métissage dans laquelle puise Herzog demeure une force puissante. Plus tard ce même dimanche, alors que je marchais dans une rue du sud d’Israël avec ma partenaire non juive, à quelques pas de notre appartement, un homme que nous n’avions jamais vu auparavant nous a fixés du regard et nous a craché dessus en passant. Ce n’était pas la première fois que cela nous arrivait et ce ne sera probablement pas la dernière.

Si les personnalités politiques véritablement progressistes espèrent éloigner Israël du précipice, elles devront alors s’opposer à toute forme de suprématie et défendre toutes les formes d’égalité

Herzog n’est pas le « Premier ministre du peuple juif » et ne pourra jamais l’être. Tout juif qui décrit des familles juives mixtes comme des « fléaux » – ou comme toute autre chose que des membres respectables de nos communautés – n’est pas digne de nous servir une assiette de houmous et encore moins d’occuper un rôle de leadership en Israël, aux États-Unis ou ailleurs. 

Si les personnalités politiques véritablement progressistes espèrent éloigner Israël du précipice, elles devront alors s’opposer à toute forme de suprématie et défendre toutes les formes d’égalité. Sinon, la personne qui finira par renverser Netanyahou dans les urnes héritera d’un pays encore plus embourbé dans la haine.

- David Sheen est un journaliste et cinéaste indépendant né au Canada, qui produit actuellement des reportages depuis Israël et la Palestine. Son travail se concentre principalement sur les tensions raciales et l’extrémisme religieux. En 2017, Sheen a été nommé défenseur des droits de l’homme par Front Line Defenders, une organisation basée en Irlande, pour ses reportages. Vous pouvez le suivre sur son site web (www.davidsheen.com) et sur Twitter (@davidsheen).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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