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Iran : des points de vue opposés sur l’Arabie saoudite

Deux campagnes militaires de bombardement – au Vietnam et en Afghanistan - illustrent comment les combattants peuvent encourir des pertes importantes et pourtant continuer à combattre

Alors que les tensions entre l'Iran et l’Arabie saoudite culminent sur la question du Yémen, deux écoles de pensée ont émergé en Iran. La première, adoptée par les conservateurs, est intransigeante et agressive, tandis que la seconde, suivie par les modérés, se veut modérée et conciliante.

Depuis la création de la République islamique en 1978, les Saoudiens ont toujours eu des relations difficiles avec l'Iran A cette époque, aucune rivalité sur l'hégémonie dans la région n’existait. Pas plus que de rivalité entre les sunnites et les chiites.

Les premiers signes de l'animosité entre l'Arabie saoudite et l'Iran sont apparus lorsque l'Iran révolutionnaire a commencé à promouvoir une doctrine d’exportation de la Révolution islamique. Cela créa des tensions, même si le leader de la Révolution iranienne, l'ayatollah Ruhollah Khomeini, insistait alors sur l’idée que cette doctrine se vivait par les mots et non pas par l’épée. Riyad perçut cette approche comme une menace sérieuse pour l’ordre établi du royaume car elle pouvait inciter les chiites d’Arabie saoudite, qui représentent 10 à 15 % de sa population, à se révolter.

Les hostilités Iran-Arabie saoudite attinrent leur apogée lors de l'invasion irakienne de l'Iran (1980-1988), quand les Saoudiens soutinrent l'Irak en versant des milliards de dollars à Saddam Hussein.

A la fin de la guerre, les deux pays adoptèrent une posture subtile faite de critiques et de références constantes à leurs différences.

Cette approche a changé quand a éclaté la guerre au Yémen. Les Saoudiens ont alors adopté une position militaire et politique agressive. Au début des frappes aériennes saoudiennes sur le Yémen, Adel al-Jubeir, alors ambassadeur saoudien aux Etats-Unis et aujourd’hui ministre des Affaires étrangères, déclara : « Il s’agit réellement d’une guerre pour défendre [...] le peuple yéménite d’une prise de pouvoir par un groupe militant radical affilié à l'Iran et au Hezbollah ».

Le 5 mai, le roi saoudien Salmane aurait souligné, « dans une claire référence à l'Iran », la nécessité d’affronter Téhéran, un pays qui « vise à étendre son contrôle et à imposer son hégémonie » et qui donc menace la stabilité de la région en encourageant des « séditions confessionnelles ».

Du côté iranien, le guide suprême, l'ayatollah Khamenei, a usé d’un langage d’une exceptionnelle sévérité à l’encontre des Saoudiens – un tel langage n’avait pas été entendu depuis les années 80. Il a comparé les frappes aériennes saoudiennes contre les houthis aux bombardements de Gaza par Israël et au « génocide » des Palestiniens.

Se référant à la façon  dont l’Arabie saoudite traite l'Iran depuis longtemps, il a noté : « Malgré nos différends, les Saoudiens faisait habituellement preuve de sang-froid [avec] nous. Mais maintenant, de jeunes gens inexpérimentés sont arrivés au pouvoir et ont remplacé le calme par la barbarie ». Il a averti les Saoudiens que « leur nez sera couvert de la boue du Yémen ».

Parmi les partisans de premier plan de la ligne dur en Iran, se détache notamment le commandant du Corps des Gardiens de la révolution islamique, Mohammad Ali Jafari. Celui-ci a renchéri en déclarant aux responsables iraniens : « Maintenant que les attaques ont été lancées [contre le Yémen], aucun respect ne doit être montré » à Riyad. « L'Arabie saoudite suit les traces du régime sioniste [Israël] dans le monde islamique », a-t-il déclaré.

Lors d'une réunion de hauts responsables militaires, le chef d'Etat-major de l'armée iranienne, le général Seyed Hassan Firouzabadi, a fait remarquer : « Les crimes commis par les al-Saoud contre le peuple yéménite, musulman, révolutionnaire, opprimé et qui exige son indépendance et un populisme musulman, sont très lourds et méritent un châtiment sévère ».

Les modérés, cependant, ont adopté une approche complètement différente. Au milieu d'une bataille rhétorique chauffée à blanc entre l'Arabie saoudite et l'Iran, Mohammad Javad Zarif, le ministre iranien des Affaires étrangères, a félicité son homologue saoudien pour sa récente nomination. Plus intéressantes encore ont été les remarques du Président Hassan Rouhani ce 29 avril, qui a décrit « la logique de l’administration avec le reste du monde » en se référant à un proverbe iranien : « générosité pour les amis, tolérance pour les ennemis ».

Certains considèrent ces deux différentes approches comme la tactique classique du « bon flic » et du « mauvais flic ». Bien que cette affirmation ne puisse être complètement écartée, la vérité cependant est que la différence entre les deux approches découle fondamentalement de deux visions différentes du monde. La première accorde plus de poids aux valeurs idéologiques dans l’adoption d’une ligne politique, tandis que la seconde penche fortement vers le pragmatisme, mais sans ignorer complètement l'idéologie.

Hassan Rouhani et son équipe croient sincèrement que l'Iran doit discuter avec ses amis et ses ennemis et que le pays ne peut vivre dans l'isolement.

En 2012, Javad Zarif, le chef de la diplomatie iranienne, publiait un livre en farsi de 360 pages  intitulé Monsieur l'Ambassadeur et rédigé à partir d'une interview fleuve. Dans ce livre, Javad Zarif esquisse le cadre de sa vision de la politique étrangère, laquelle est implicitement critique : « L'art de la diplomatie est de maximiser vos avantages au moindre coût. Ainsi, dans ce monde interconnecté, il est impossible de maximiser vos bénéfices avec des politiques de confrontation ». C’est là une description technique de ce que dit Hassan Rouhani dans des mots simples et compréhensibles par tous.

Les opinions contrastées entre les deux camps apparaissent dans leur approche de la crise nucléaire. La priorité de Hassan Rouhani et de son équipe est d'aboutir à un accord nucléaire et de mettre fin aux sanctions afin de relancer l'économie et faire cesser l'isolement de l'Iran imposé par l'Occident. Hassan Rouhani croit fermement que la croissance et le développement durable ne sont pas réalisables en dehors du reste du monde.

Or l'ayatollah Khamenei considère ces dossiers différemment. « La clé des problèmes économiques ne se trouvent pas à Lausanne, à Genève ou à New York, elle dépend du pays, et tout le monde devrait assumer ses responsabilités pour accroître la production nationale, unique remède aux problèmes économiques », a ainsi déclaré le chef de l'Iran le 29 avril.

Le dossier nucléaire de l'Iran est un critère utile pour déterminer quel camp prendra le dessus dans l’attitude à adopter vis-à-vis de l'Arabie saoudite. La confrontation avec l'Occident, essentiellement avec les Etats-Unis, n’a fait que conduire à un important développement du programme nucléaire de l'Iran et mener les Etats-Unis et l'Iran au bord d'une guerre désastreuse. Mais une fois que les Etats-Unis ont opté pour une approche plus conciliante, la porte s’est alors ouverte aux modérés.

La leçon à tirer pour la relation Iran-Arabie saoudite est que plus les Saoudiens se montrent agressifs, plus la position de l'Iran penche du côté des extrémistes, marginalisant les modérés.

La politique d’affrontement des Saoudiens avec l'Iran ne leur assurera pas la victoire dans la guerre menée au Yémen, étant donné que l’issue de cette dernière se décidera sur le champ de bataille. Et l'Histoire remet sérieusement en question ce type de victoire.

Des études sur l'efficacité des frappes aériennes dans la lutte contre les mouvements d'insurrection ont été menées en mars par un groupe d'experts de Yale et de Stanford sur la base de documents historiques. La recherche conclut ainsi : « Les exemples historiques n’incitent guère à l’optimisme quant à l’escalade militaire comme moyen de parvenir à une victoire décisive contre des insurgés ennemis. Les deux campagnes de bombardement les plus intensives de l'Histoire - les Etats-Unis au Vietnam et l'Union soviétique en Afghanistan - illustrent comment des insurgés peuvent endurer des pertes considérables et continuer à se battre ».

- Shahir Shahidsaless est un analyste politique et journaliste pigiste qui écrit principalement sur les affaires intérieures et étrangères iraniennes. Il est également le co-auteur de Iran and the United States: An Insider’s View on the Failed Past and the Road to Peace (L'Iran et les Etats-Unis : l'avis d'un initié sur les échecs du passé et la route vers la paix), publié en mai 2014.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

 Photo : sanctuaire houthi, mai 2015.

Traduction de l’anglais (original) par Hassina Mechaï.

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