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L’Arabie saoudite engagera-t-elle la bataille en Iran – avec la bénédiction des États-Unis ?

Les propos fortement anti-iraniens du vice-prince héritier d’Arabie saoudite révèlent un consensus croissant et soutenu par les États-Unis selon lequel il est temps de contrer l’Iran

Les propos extrêmement dangereux formulés la semaine dernière par le vice-prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane au sujet de l’Iran signalent une position beaucoup plus hostile, laquelle va bien au-delà la condamnation et de la rupture des liens qui ont eu lieu en janvier 2016.

Les propos de ben Salmane ont été formulés mardi dernier au cours d’une interview d’une heure diffusée simultanément sur plusieurs chaînes de télévision publiques et privées en Arabie saoudite et dans d’autres pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG), une diffusion exceptionnelle qui souligne l’importance de cette interview.

« Nous n’attendrons pas que les combats arrivent en Arabie saoudite et nous ferons en sorte que la bataille soit dans leur camp, en Iran »

– Mohammed ben Salmane, vice-prince héritier d’Arabie saoudite

Le vice-prince héritier a longuement parlé de plusieurs problèmes intérieurs et économiques dans le but de répondre aux préoccupations locales concernant l’économie saoudienne. Ensuite, il s’est penché sur des questions régionales, avant bien sûr d’évoquer l’Iran.

Interrogé sur la question du dialogue avec le rival régional saoudien, il a simplement fermé la porte à toute possibilité future : « Comment puis-je avoir un dialogue significatif avec un individu ou un régime qui a une solide conviction [...] que son régime est construit sur une idéologie extrémiste énoncée dans sa Constitution et énoncée dans la volonté de [l’ancien dirigeant iranien, l’ayatollah Rouhollah] Khomeini qu’ils devaient contrôler [...] le monde islamique et diffuser leur propre chiisme duodécimain dans tout le monde islamique jusqu’à ce que le Mahdi arrive ? Comment puis-je le convaincre ? »

Ben Salmane a ensuite affirmé ce qui a fait l’objet de déclarations et de mises en garde de nombreux analystes et observateurs du Conseil de coopération du Golfe (CCG), mais ce dont aucun responsable saoudien n’avait encore discuté publiquement.

« Nous savons que le but du régime iranien est d’atteindre le point focal des musulmans [La Mecque] », a-t-il dit, avant d’ajouter, de façon étonnante : « Nous n’attendrons pas que les combats arrivent en Arabie saoudite et nous ferons en sorte que la bataille soit dans leur camp, en Iran, pas en Arabie saoudite. »

Un consensus régional contre l’Iran

Des propos de ce type n’ont pas été prononcés n’importe comment par le vice-prince héritier, qui détient des portefeuilles clés en Arabie saoudite.

Il est avant tout ministre de la Défense, chef de la Cour royale des Saoud et président du Conseil des affaires économiques et du développement. À la fin du mois dernier, un centre de sécurité nationale a été créé sous la responsabilité de la cour royale qu’il dirige.

Ses propos surviennent dans un climat de consensus régional qui se forme contre l’Iran, avec le soutien des États-Unis.

Exercice militaire « Tonnerre du Nord » organisé en mars 2016 par l’« OTAN musulmane » dirigée par l’Arabie saoudite, impliquant les armées de vingt pays, à 500 kilomètres de Riyadh (AFP)

À la mi-mars, la Ligue arabe a vivement dénoncé les agissements de l’Iran dans la région. À la fin du mois, le commandant américain du CENTCOM, qui supervise les opérations militaires au Moyen-Orient, a décrit l’Iran devant le Congrès comme « la menace la plus importante » au Moyen-Orient et a exigé des mesures plus sévères contre ce pays.

Immédiatement après le retour de Ben Salmane de son voyage aux États-Unis, qualifié de « tournant »par le président américain Donald Trump, le ministère égyptien des Affaires étrangères a balayé les récentes tensions saoudo-égyptiennes, décrivant plutôt l’importance « stratégique » des relations entre les deux poids lourds traditionnels du monde arabe et critiquant l’ingérence de l’Iran dans la région.

À LIRE : Une OTAN arabe ? On en est encore loin

Il a également été fait état de perspectives d’une « OTAN du Moyen-Orient », qui comprendrait les alliés arabes des États-Unis ainsi qu’Israël dans le but spécifique de contrer l’Iran.

Les vulnérabilités intérieures de l’Iran

Ben Salmane n’est pas le premier à évoquer l’idée d’engager la bataille en Iran.

La vice-conseillère américaine à la sécurité nationale des États-Unis Kathleen « K.T. » McFarland a discuté à plusieurs reprises de l’idée de susciter le mécontentement en Iran. Plus précisément, elle a suggéré d’exploiter les aspirations non satisfaites des jeunes Iraniens, restreints par la censure sur Internet.

Kathleen « K.T. » McFarland sort de l’ascenseur après des rencontres à la Trump Tower, en décembre dernier (AFP)

« Nous pouvons détruire le cyber-mur dès que nous le voulons, et on pourra alors s’occuper de la population », a déclaré McFarland. « Ils ont promis énormément de choses à leur peuple et, s’ils ne peuvent pas tenir parole, ils auront des problèmes de sécurité intérieure. »

Dans son interview, Ben Salmane a formulé des propos similaires sur les déceptions connues par la jeunesse iranienne, que l’Iran prive selon lui de développement depuis 30 ans en poursuivant à la place une idéologie extrémiste et expansionniste.

Les aspirations non satisfaites à la liberté et à un meilleur niveau de vie des jeunes Iraniens ont peut-être été exprimées plus clairement après que Mahmoud Ahmadinejad a été annoncé vainqueur pour un second mandat à l’issue des élections présidentielles iraniennes de 2009.

Des protestations ont alors éclaté après des accusations de fraude et de violations généralisées du processus électoral. Les protestations ont été menées par des candidats de l’opposition aux élections – Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karroubi – et sont connues sous le nom de « Jonbesh-e Sabz », ou « Mouvement vert ». Les millions d’Iraniens qui sont descendus dans les rues ont finalement fait face à la brutalité des forces de sécurité iraniennes ; ces protestations ont ainsi fait de nombreux morts et ont été suivies de l’arrestation de centaines de personnes, y compris des personnalités politiques de premier plan.

Des partisans de l’opposition iranienne protestent à Téhéran, en juillet 2009 (AFP)

Aujourd’hui, Moussavi et Karroubi sont toujours assignés à résidence et les tensions entre les factions plus libérales – ou les réformistes – et les conservateurs suscitent toujours des controverses et polarisent l’Iran.

Dans un discours enflammé de soutien à Ebrahim Raisi, le principal candidat conservateur à la présidence en Iran, Hassan Abbasi, officier et principal stratège conservateur du corps des Gardiens de la révolution islamique, a déclaré que « dans un avenir proche », Moussavi, Karroubi et l’ancien président Seyyed Mohammad Khatami seraient jugés puis exécutés.

La discrimination ethno-religieuse

On pourrait s’étendre sur la mise sous silence et la répression que l’opposition subit encore en Iran. Cependant, ces tensions ne sont pas la seule source de vulnérabilité pour le régime iranien.

La diplomatie habile de l’Iran pourrait ne pas suffire cette fois-ci pour empêcher les voix régionales d’appeler à agir contre le pays

L’Iran est un pays multiethnique, multilingue et multireligieux, mais cette diversité n’est pas toujours respectée par le régime. Les sunnites en Iran, qui sont plusieurs millions, subissent un traitement sévère et n’ont même pas la moindre mosquée à Téhéran ou dans des grandes villes comme Ispahan, Chiraz et Machhad. Les autorités détruisent régulièrement les espaces privés que les sunnites créent à l’écart du public.

L’Iran comporte également une population kurde considérable qui a connu sa part d’oppression. De même, les Arabes de la région d’Ahvaz – une région du sud de l’Iran qui borde l’Irak – ont fréquemment exprimé leur désaccord face au racisme et à la marginalisation, bien que là la discrimination ne soit pas fondée sur la religion, puisque la majorité d’entre eux sont chiites. De même, les Baloutches à l’est, qui vivent dans les régions les plus pauvres et les moins développées du pays, font face à l’oppression et entretiennent des organisations séparatistes militantes dans leurs régions.

Ces graves vulnérabilités du régime iranien pourraient être exploitées à l’étranger. Sans surprise, quelques jours après les propos de Ben Salmane, le ministre iranien des Affaires étrangères a décrit l’attaque de janvier 2016 contre l’ambassade d’Arabie saoudite à Téhéran, qui a entraîné la rupture des relations, comme « une bêtise et une trahison historique ».

Avec le soutien des États-Unis, l’Arabie saoudite pourrait très bien agir à l’avenir selon la proposition de Ben Salmane et, si l’Iran maintient ses politiques dans la région, cela ne serait pas surprenant.

Certaines voix au sein du CCG ont déjà appelé à agir de la sorte. Cette fois-ci, la diplomatie habile de l’Iran pourrait ne pas suffire pour empêcher ces voix de s’élever. Un changement est peut-être nécessaire dans ses politiques régionales.

Mustafa Salama, analyste politique, consultant et auteur indépendant, possède une formation universitaire spécialisée sur le Moyen-Orient.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le président américain Donald Trump et Mohammed Ben Salmane, vice-prince héritier et ministre de la Défense d’Arabie saoudite, s’expriment devant les médias au Bureau ovale de la Maison Blanche, à Washington, D.C., le 14 mars 2017 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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