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Les néoconservateurs ont ruiné le réalisme de la politique étrangère de Cameron

Le jeune David Cameron était un réaliste en termes de politique étrangère, mais son manque de connaissances a été comblé par un groupe de néoconservateurs pernic

A l'époque où je travaillais comme journaliste politique, je discutais souvent avec David Cameron, alors jeune homme politique prometteur. Je l’appréciais beaucoup. Le futur Premier ministre était correct, courtois, poli, raisonnable, honnête et extrêmement intelligent.

Après cinq années au 10 Downing Street, il demeure (tout à son honneur) miraculeusement le même. Il existe, pourtant, une exception déroutante. La vision de David Cameron sur la politique étrangère, et en particulier sur le Moyen-Orient, est totalement différente de celle qu’il avait il y a dix ou quinze ans.

À l’époque, il était conservateur dans le sens traditionnel du terme. Il était sceptique quant aux croisades et plutôt bien immunisé contre les revendications populaires.

Ce ne fut qu’avec réticence qu’il vota pour l’invasion de l’Irak en 2003. Au cours de l’invasion israélienne du Liban, en 2006, il autorisa William Hague, son porte-parole des Affaires étrangères, à qualifier la conduite israélienne de « disproportionnée », une opinion qui provoqua une révolte ouverte de la part de certains partisans pro-israéliens du Parti conservateur.

Aujourd’hui, David Cameron est un néoconservateur. Aux côtés du Président français Nicolas Sarkozy, il a été le chef de file de l’intervention occidentale en Libye il y a quatre ans. Il y a dix-huit mois, il voulait engager une intervention militaire contre le Président Bachar al-Assad, et seul un vote parlementaire l’en dissuada.

Un soutien dépourvu d’esprit critique pour l’Etat d’Israël est une marque de néoconservatisme. David Cameron est devenu le partenaire financier international le plus ardent de Benyamin Netanyahou. David Cameron a dépassé ses prérogatives afin de défendre à plusieurs reprises la conduite des forces israéliennes lors de l’invasion de Gaza par Israël l’année dernière.

Il demande régulièrement conseil à Tony Blair. Ce dernier était un des membres du cercle de conseillers de David Cameron ayant exhorté ce dernier à bombarder la Libye. En matière de politique étrangère, David Cameron devrait en effet être considéré comme un protégé de l’ancien Premier ministre. Les deux hommes ont été des défenseurs inconditionnels des dictatures du Golfe et de l’Israël de Benyamin Netanyahou, et ils sont hostiles de manière inflexible aux mouvements démocratiques au sein de l’islam, et en particulier aux Frères musulmans.

David Cameron a protégé Tony Blair. Si David Cameron l’avait voulu, il aurait pu insister pour la publication de l’enquête Chilcot sur la guerre en Irak qui contient sans doute des critiques acerbes de Tony Blair.

La commission d’enquête devait publier ses conclusions au cours des dix-huit mois suivant le retrait des troupes britanniques d’Irak, datant de 2007 : il est scandaleux que huit ans plus tard Sir John Chilcot soit encore en train d’élaborer son rapport.

Avant les élections générales de 2010, David Cameron avait également promis une enquête sur les allégations très sérieuses selon lesquelles la Grande-Bretagne se serait rendue coupable de complicité dans des cas de torture et d’extraditions extraordinaires au cours du mandat du Premier ministre Tony Blair. Au lieu de cela, l’enquête fut annulée.

Qu’est-il donc arrivé au réaliste en matière de politique étrangère avec qui j’avais l’habitude de parler il y a plus de dix ans ? Je suppose qu’une partie de l’explication réside dans le manque quasi total de connaissances de David Cameron concernant le monde au-delà des frontières de la Grande-Bretagne au moment de son élection en tant que Premier ministre. Hormis des vacances au bord de la Méditerranée, ses connaissances étaient minimes.

Cette ignorance créa un vide que combla la petite clique bien organisée et très puissante de néoconservateurs qui entoure le Premier ministre. Les deux membres les plus importants de cette clique sont George Osborne, chancelier de l’échiquier, et le whip en chef Michael Gove.

Il ne s’agit pas réellement de conservateurs au sens traditionnel du terme ; ils se sentent bien plus à l’aise dans les cadres plus intelligents de droite du parti républicain américain. Ils reçoivent tous les deux un soutien extrêmement important de la part de la presse Murdoch qui demeure, de loin, la force dominante dans les médias britanniques, en dépit du scandale des écoutes téléphoniques.

Michael Gove a puisé une grande partie de son inspiration dans les groupes de réflexion néoconservateurs. Son livre, Celsius 7/7 est un ouvrage à sensation qui divise le globe entre des démocraties libérales occidentales chaleureuses et des mouvements islamiques barbares. Michael Gove est un des partisans les plus éloquents de l’invasion catastrophique de l’Irak par Tony Blair et George Bush.

Un des phénomènes les plus intrigants de cette dernière décennie a été le succès constant des doctrines néoconservatrices, bien après leur discréditation par les doubles calamités de l’Irak et de l’Afghanistan. Une partie de la réponse réside dans la capture du parti conservateur du 21ème siècle par une clique de néoconservateurs.

C’est la raison pour laquelle je pense que les élections législatives d’aujourd’hui ont le potentiel nécessaire pour marquer un point de rupture dans la politique britannique. Ed Miliband a une compréhension du monde extérieur bien plus approfondie que David Cameron au moment de son investiture en tant que Premier ministre, il y a cinq ans.

Il n’y a rien de surprenant à cela, car Ed Miliband est le fils de parents remarquables. Il s’agissait de juifs qui avaient fui l’holocauste nazi et qui lui avaient donné une vision du monde plus large, ainsi qu’une compréhension plus profonde de la tragédie de l’histoire.

Il s’est opposé à l’invasion de l’Irak et il a mené l’opposition parlementaire vers l’intervention militaire prévue en Syrie, en 2013. Encore plus notable, Ed Miliband a battu les parlementaires travaillistes en faveur de la reconnaissance d’un Etat palestinien.

Il y a deux semaines, il a pris du temps sur la campagne pour les élections générales pour prononcer un discours sur la politique étrangère à Chatham House. Il a défendu l’Etat de droit, les institutions internationales et l’engagement diplomatique en adoptant un type de langage qui n’aurait jamais pu être utilisé par George W. Bush ou par Tony Blair. En effet, le discours d’Ed Miliband était une réfutation de l’exceptionnalisme américain qui a provoqué un chaos de grande ampleur dans le monde entier au cours des deux dernières décennies.

Le mouvement néoconservateur a souvent été attribué à un groupe d’intellectuels trotskystes américains qui avaient renoncé au marxisme dans les années 1960. En Grande-Bretagne, il s’agit d’un phénomène plus récent. Le gouvernement de John Major dans les années 1990 était une administration conservatrice traditionnelle qui n’aurait jamais soutenu l’aventurisme ultérieur de George W. Bush.

Le néoconservatisme a pris de l’ampleur en Grande-Bretagne avec l’élection de Tony Blair, un dirigeant de gauche, en 1997. Il survécut au départ de Tony Blair et il gagna une seconde vie avec l’émergence de David Cameron en tant que Premier ministre, en 2010. Si Ed Miliband devient Premier ministre après les élections législatives d’aujourd’hui, son arrivée marquera probablement un tournant majeur dans la politique étrangère britannique. Cela pourrait apporter une approche plus nuancée aux  relations internationales.

Il soutient bien entendu l’Etat d’Israël, mais avec un nouvel accent rafraîchissant placé sur l’obligation de l’Etat israélien de reconnaître les droits des Palestiniens. Il favorise les initiatives diplomatiques plutôt que les méthodes militaires, une autre rupture nette avec l’approche britannique de ces quinze dernières années. Le Parti travailliste d’Ed Miliband offre une vision de la politique étrangère qui contraste radicalement avec celle du Parti conservateur de David Cameron. Peu de gens comprennent cela.

- Peter Oborne a reçu le prix de Chroniqueur de l’année 2013 décerné par la presse britannique. Il a récemment démissionné de son poste de chroniqueur politique en chef au Daily Telegraph. Parmi ses livres, citons : Le triomphe de la classe politique ; La montée du mensonge politique et Une tromperie dangereuse : pourquoi l’Occident a tort sur le nucléaire iranien

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Le Premier ministre David Cameron rencontre des pilotes, des ingénieurs et des membres du personnel de soutien logistique devant un Tornado GR4 sur la base Akrotiri de la RAF (AFP).

Traduction de l'anglais (original) par Green Translations, LLC.

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