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Les relents colonialistes de l’accord sur le nucléaire iranien

Israël persiste à exercer des pressions contre l’accord sur le nucléaire iranien, et ses dirigeants viennent de déclarer qu’une action militaire contre l’Iran n’est toujours pas exclue

Israël fait-il partie des puissances nucléaires ? Si l’on en doutait, on peut désormais en avoir la certitude avec la publication dans les médias d’un rapport déclassifié du Pentagone intitulé « Critical Technological Assessment in Israel and NATO Nations » (Evaluation critique des avancées technologiques en Israël et dans les autres pays de l’OTAN). Datant de 1987, il offre des indications précises sur les capacités nucléaires d’Israël et l’avancement de ses recherches pendant les années 1970 et 1980. C’est une intéressante toile de fond historique et une bonne occasion d’analyser les récentes déclarations fracassantes du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou sur les pourparlers du P5 + 1 destinés à trouver un accord-cadre sur le nucléaire iranien. Il permet également de prendre du recul par rapport aux insistantes demandes d’Israël de voir l’Iran reconnaître le statut d’Etat juif à l’entité qui a envahi et colonisé ce territoire.

Ce rapport, salué comme une découverte récente, a été mis en avant pour démontrer que les Etats-Unis avaient connaissance des capacités nucléaires d’Israël. Entre autres surprenantes révélations, il indique que les recherches nucléaires israéliennes dans les années 1970 et 1980 étaient « aussi avancées que celles des centres de recherche nationaux américains de Los Alamos, Lawrence Livermore et Oak Ridge ».

Toutefois, un article plus ancien, paru dans le New York Times le 27 octobre 1989, fait état d’informations contenues dans ce même document déclassifié attestant qu’Israël a coopéré avec l’Afrique du Sud de l’époque de l’apartheid pour développer un missile de moyenne portée. Dans ce cadre, le New York Times évoque des accords de coopération en recherche nucléaire entre universités israéliennes et divers instituts de recherche scientifiques et militaires. Certaines révélations de ce même rapport indiquent que les recherches réalisées pendant la décennie concernée pourraient contribuer à « étudier l’implosion de dispositifs nucléaires ». En outre, Mordechai Vanunu, chercheur en sciences nucléaires israélien, avait alerté le public en 1986 en fournissant des informations sur le programme nucléaire israélien dans le Naqab (Néguev), dans la centrale nucléaire de Dimona. Ces révélations lui avaient valu d’être enlevé la même année par le Mossad, puis reconnu coupable d’avoir divulgué des secrets nucléaires israéliens.

Il est donc clair que tout le battage médiatique en Israël autour de la prétendue divulgation par les Etats-Unis de secrets nucléaires israéliens n’est en réalité qu’un nuage de fumée destiné à détourner l’attention des incessantes tentatives de Netanyahou de stigmatiser l’Iran et d’en faire une menace nucléaire unique. Ce que nous venons d’apprendre interdit désormais de douter qu’Israël soit une puissance nucléaire. Les médias israéliens ont évoqué ce rapport en l’associant à l’accord-cadre nucléaire avec l’Iran, et fait état de la ferme opposition de la République islamique à l’occupation coloniale israélienne – rhétorique très différente de ce qu’on a l’habitude d’entendre dans les instances internationales.

La haute représentante pour la diplomatie de l'UE, Federica Mogherini, et le ministre des Affaires étrangères iranien, Javad Zarif, ont conjointement publié un communiqué dont les premières lignes soulignent que l’Iran a toujours revendiqué les fins exclusivement civiles de ses recherches nucléaires, minimisant ainsi la rhétorique qu’Occident et Israël ne cessent de rabâcher en chœur. « Comme convenu en novembre 2013, nous nous sommes réunis ici pour trouver des solutions et parvenir à une résolution globale garantissant la nature exclusivement pacifique du programme nucléaire iranien et donc la levée complète de toutes les sanctions. » Une telle remarque d’ouverture valide les déclarations depuis toujours formulées par l’Iran, invalidant ainsi le discours dominant qui tente de le diaboliser.

L'Iran n’en a pas moins précisé les limites de son engagement diplomatique avec les Etats-Unis et leurs alliés. L’ayatollah Ali Khamenei, le Guide suprême, a ainsi déclaré : « Les négociations avec l'Amérique traitent exclusivement du nucléaire ; rien d'autre. Nous n’abordons aucune question régionale avec les Etats-Unis car, en l’espèce, Téhéran et Washington poursuivent des objectifs diamétralement opposés ».

Israël a exprimé un tel ressentiment envers l'accord sur le nucléaire iranien que les Etats-Unis l’ont gratifié d’un torrent de promesses rassurantes et d’une rhétorique agressive en direction de l’Iran au nom des responsables israéliens. Selon des informations parues dans le Jerusalem Post, le Président américain Barack Obama a déclaré : « Ce que nous allons faire, le jour même de la signature de cet accord, c’est envoyer aux Iraniens et à l’ensemble de la région un message sans ambiguïté : si quelqu’un s’avise de toucher à Israël, il aura affaire à l’Amérique ».

Dans le contexte de l’accord-cadre sur le nucléaire iranien et des commentaires d'Obama, on est en droit de redouter que l’attention exagérément portée à l’Iran ne soit qu’un pas de plus vers l’application de nouvelles politiques impérialistes dans la région. Les commentaires incisifs de Khamenei fournissent un moyen de dissuasion verbale contre les habitudes d’ingérence des Etats-Unis encore actuellement constatées – certes à un niveau différent – dans les affaires de Cuba par le biais de la normalisation des relations ; et au Venezuela, par le truchement des fonds versés par les Etats-Unis en soutien à l’opposition violente au gouvernement de Nicolas Maduro.

Il est également prudent de rappeler que, après avoir envahi l’Afghanistan, les Etats-Unis avaient, aux dires du général Wesley Clark, prévu « d’obtenir en cinq ans la mainmise sur sept pays, à commencer par l’Irak, puis la Syrie, le Liban, la Libye, la Somalie, le Soudan, et enfin l’Iran ». La diabolisation de l’Iran a longtemps légitimé la rhétorique sécuritaire et les menaces terroristes formulées par les Etats-Unis et Israël.

En juxtaposant la « fierté nationale iranienne » à la vulnérabilité présumée d’Israël, Obama reprend un scénario classique : si l’Iran se montre disposé à négocier son programme nucléaire, Israël obtiendra des gages supplémentaires – et, cette fois-ci, entrera dans l’équation la position indéfectiblement anticoloniale de l’Iran, qui lui interdit de reconnaître Israël. Tandis qu’Israël exerce des pressions considérables contre l’accord nucléaire iranien, le ministre israélien des Affaires stratégiques, Yuval Steinitz, a déclaré qu’une action militaire contre l’Iran n’est toujours pas exclue par l’Etat colonialiste. Le ministre de la Défense Moshe Ya'alon s’est laissé aller à son habituelle hyperbole belligérante en martelant : « L’Iran est un monstre terroriste qui finance, entraîne et arme les diverses organisations et entités qui sèment la terreur dans les régimes pro-occidentaux au Moyen-Orient et dans le reste du monde, et n’a aucune intention d’y mettre un terme ».

En outre, Netanyahou a également insisté pour que l’accord final avec l’Iran inclue « une reconnaissance claire et sans ambiguïté par l’Iran du droit d’Israël à exister », et s’est remis à débiter la liste des phrases – lues hors de leur contexte – qui, prétend Netanyahou, attestent de l’ambition iranienne de détruire Israël. Alors que d’autres pays ont également réaffirmé leur non-reconnaissance d’Israël, leurs professions de foi sont diluées dans leur soutien au complot de la solution à deux Etats.

Pendant l'opération « Bordure protectrice » et ensuite, les pays qui soutenaient le plus ardemment la Palestine étaient l’Iran et le Venezuela – l’Iran en fournissant une assistance militaire au Hamas et le Venezuela en se lançant dans l’aide humanitaire et en misant sur  l’éducation pour la reconstruction de Gaza. Au niveau international, cependant, les postures de ces deux nations ont mis en évidence leurs positions respectives quant au soutien à la Palestine et à la résistance internationaliste : elles diffèrent autant entre elles que du contexte mondial.

Bien que le Venezuela apporte à la Palestine une aide humanitaire et joue un rôle majeur dans la préparation de la résistance palestinienne au moyen de l’éducation, son engagement diplomatique reste centré sur le paradigme des deux Etats. L’Iran, en revanche, a soutenu la résistance palestinienne et s’est opposé avec véhémence à l’existence d'Israël – position très différente de celle du Venezuela qui non seulement révèle que la communauté internationale n’est pas aussi unanime qu’on le croit mais trahit aussi l’hypocrisie de la posture de l’Occident quand il applaudit les initiatives coloniales d’Israël et prétend les soutenir.
 

- Ramona Wadi est une chercheuse indépendante, journaliste pigiste, critique littéraire et blogueuse spécialisée dans la lutte en faveur du devoir de mémoire sur l’Histoire du Chili et de la Palestine.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Légende photo : les membres des équipes participant aux négociations entre les Etats-Unis et l’Iran.

Traduction de l'anglais (original).

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