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Les talibans font face à la colère de Daech, le dernier-né de la mouvance djihadiste

L'attaque sur le parlement afghan devrait être interprétée dans le contexte plus large d'une lutte de pouvoir entre l'État islamique (Daech) et les talibans

Dans une déclaration concernant l'attaque de lundi sur le parlement afghan à Kaboul, les talibans ont indiqué qu'ils avaient lancé l'assaut pour le faire coïncider avec un vote sur la désignation d'un nouveau ministre de la Défense.

Mais derrière cette revendication assez succincte se cache un jeu complexe de lutte de pouvoir entre le discret chef des talibans, mollah Omar, et Abou Bakr al-Baghdadi, le calife auto-proclamé de l'État islamique.

Des doutes sur la direction de mollah Omar, ajoutés à des conflits intertribaux et aux ambitions de talibans plus jeunes, ont fourni une opportunité que Daech a été rapide à exploiter.

En janvier de cette année, al-Baghdadi a de fait revendiqué l'Afghanistan comme territoire lui appartenant quand il l'a déclaré partie intégrante du Wilayat Khorasan, une province de son califat. Un groupe de combattants talibans de rang intermédiaire, peu satisfaits de mollah Omar, a juré son allégeance à al-Baghdadi.

Nombreux affrontements

Les talibans ont rapidement dénoncé ces déserteurs comme éléments criminels, tout en étant mis en alerte par l'audacieuse incursion d'al-Baghdadi dans leur zone d'influence. Et il y a de bonnes raisons à leur souci. Nous avons eu écho de nombreux désaccords entre d'ex-talibans s'étant ralliés à Daech et des talibans restés fidèles au mollah Omar. Les plus sérieux se sont produits dans la province de Nangahar, qui jouxte le Pakistan : un secteur qui serait tombé aux mains de Daech après de durs combats.

Les talibans, extrêmement fiers et nationalistes, ne partagent pas la vision grandiose d'al-Baghdadi d'un califat mondial. Ils considèrent leur lutte comme limitée à l'Afghanistan et aux régions frontalières du Pakistan. Même leur courant déobandiste de l'islam est légèrement plus souple que les brutaux excès fondamentalistes de Daech. Cependant, comme les talibans l'apprennent à leurs dépens, al-Baghdadi n'a que faire de frontières régionales ou de préoccupations nationalistes.

Une lettre transmise la semaine dernière aux journalistes mais adressée à Abou Bakr al-Baghdadi et semble-t-il écrite par mollah Omar, salue poliment et de façon rituelle le chef de Daech mais poursuit avec un avertissement clair : « L'Émirat islamique d'Afghanistan d'un point de vue fraternel et religieux souhaite bénéficier de vos largesses et n'a aucune intention d'interférer dans vos affaires. Réciproquement, nous espérons et attendons la même chose de vous. »

En clair, restez à l'écart de nos affaires et nous resterons à l'écart des vôtres. Mais il est peu probable qu'al-Baghdadi prête la moindre attention à ce courrier. Ses succès dans l'orchestration d'une campagne de propagande au niveau mondial, ajoutés aux victoires sur les champs de bataille, ont amené de nombreuses organisations terroristes à déclarer leur allégeance à sa cause. Ansar al-Sharia en Libye est juste la dernière dans une liste qui ne fait que s'allonger et qui inclut Ansar Bayt al-Maqdis dans le Sinaï en Egypte et Boko Haram au Nigéria. Réussir à s'adjoindre le premier de tous les groupes, à savoir les talibans, serait un coup extraordinaire même si peu probable.

Mais comme al-Qaïda avant eux, [les talibans] se sont trouvés éclipsés par le dernier-né de cette mouvance militante. Chaque groupe extrémiste qui émerge est assez rapidement éclipsé par un nouveau plus brutal, plus stratégique, plus attractif pour de jeunes recrues séduites par la propagande, hypnotisées par l'idéologie, désireuses de combattre et prêtes à mourir. Ce destin sera sûrement celui de Daech, si celui-ci n'est pas défait avant. Mais pour l'instant, au moins, c'est Abou Bakr al-Baghdadi qui a la main haute.

Les talibans sont des combattants chevronnés qui luttent depuis plus de trente ans. Ils ont vaincu les Soviétiques, et furent ensuite repoussés dans les montagnes par les Américains et leurs alliés et à présent, alors que l'Amérique entame son retrait, ils regagnent le terrain perdu. Combien il est ironique que juste à ce moment-là, ils se retrouvent, un peu comme nous tous, incertains de ce qui doit être fait face à la dernière et la plus mortelle version du terrorisme djihadiste, qui a maintenant pris pied sur leur propre territoire.

Une opération de propagande ?

À cet égard, l'attaque sur le parlement était une tentative de mollah Omar de reprendre l'initiative en frappant un grand coup, audacieux et spectaculaire en plein ramadan, une opération de propagande qui enverrait un message à ses partisans indécis en même temps qu'à al-Baghdadi, qu'il est son propre calife et ne sera pas mis sur la touche.

Si c'était là l'intention, le plan a plutôt mal tourné car bien qu'il ait prouvé une capacité à pénétrer au cœur de Kaboul, il n'a en rien infligé le genre de dommages qui produisent de grands titres dans la mouvance militante. C'est plutôt le contraire, une bonne nouvelle, exposant le fait qu'une réponse efficace des forces de sécurité afghanes avait empêché une tuerie des députés et ministres et avait entraîné la mort des six attaquants.

En outre, l'assaut risque de compliquer sinon de rompre les pourparlers qui avaient commencé même timidement entre les talibans et le gouvernement afghan sur une forme de partage du pouvoir.

Al-Baghdadi et ses nouvelles recrues en Afghanistan verront cela comme une victoire. Ceux-ci considèrent une telle disposition à la négociation comme non-islamique car elle impliquerait une alliance avec des politiciens qui embrassent les valeurs démocratiques occidentales qu'ils dédaignent.

Ainsi une attaque manquée sur le parlement afghan a pu faire avancer la cause de Daech. Mais faisons une réserve : comme les Anglais l'ont découvert il y a plus de cent cinquante ans et les Américains et leurs alliés au courant de ce siècle, l'Afghanistan est un pays qui a toujours fini par briser les reins des interventions étrangères. Al-Baghdadi pourrait plus tard regretter le jour où il a commencé à s'en prendre aux talibans.

- Bill Law est un journaliste lauréat du prix Sony. Il a rejoint la BBC en 1995 et produit depuis 2002 un grand nombre de reportages sur le Moyen-Orient. Il s'est rendu à de nombreuses reprises au royaume d'Arabie saoudite. En 2003, il a été l'un des premiers journalistes à couvrir les débuts de l'insurrection qui a englouti l'Irak. Son documentaire, « The Gulf: Armed & Dangerous », diffusé fin 2010, a anticipé les révolutions qui ont pris la forme du Printemps arabe.

Les opinions exprimées dans cet article appartiennent à l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Cheik Ali Salmane, dirigeant d'Al Wefaq, la principale organisation d’opposition de Bahreïn, a été condamné pour insulte au ministre de l’Intérieur (AFP)

Traduction de l'anglais (original) par Lotfallah.

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- Bill Law est un journaliste lauréat du prix Sony. Il a rejoint la BBC en 1995 et produit depuis 2002 un grand nombre de reportages sur le Moyen-Orient. Il s'est rendu à de nombreuses reprises au royaume d'Arabie saoudite. En 2003, il a été l'un des premiers journalistes à couvrir les débuts de l'insurrection qui a englouti l'Irak. Son documentaire, « The Gulf: Armed & Dangerous », diffusé fin 2010, a anticipé les révolutions qui ont pris la forme du Printemps arabe.

Les opinions exprimées dans cet article appartiennent à l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Cheik Ali Salmane, dirigeant d'Al Wefaq, la principale organisation d’opposition de Bahreïn, a été condamné pour insulte au ministre de l’Intérieur (AFP)

Traduction de l'anglais (original) par Lotfallah.

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- Bill Law est un journaliste lauréat du prix Sony. Il a rejoint la BBC en 1995 et produit depuis 2002 un grand nombre de reportages sur le Moyen-Orient. Il s'est rendu à de nombreuses reprises au royaume d'Arabie saoudite. En 2003, il a été l'un des premiers journalistes à couvrir les débuts de l'insurrection qui a englouti l'Irak. Son documentaire, « The Gulf: Armed & Dangerous », diffusé fin 2010, a anticipé les révolutions qui ont pris la forme du Printemps arabe.

Les opinions exprimées dans cet article appartiennent à l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Des combattants de Daech accrochent le drapeau du groupe.

Traduction de l'anglais (original) par Lotfallah.

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