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Canada : la haine provoquée par la motion sur l’islamophobie montre pourquoi celle-ci est nécessaire

Plusieurs semaines après la tuerie perpétrée dans une mosquée de Québec, les opposants à la motion l’ont décrite de façon fallacieuse comme une tentative d’« islamisation » du Canada

Ceux qui doutent de la présence de l’islamophobie au Canada après la tuerie perpétrée dans une mosquée de Québec et les actes de haine qui ont suivi devraient simplement observer la « panique morale » déclenchée par la motion condamnant l’islamophobie récemment adoptée au parlement.

Introduite par Iqra Khalid, parlementaire libéral, la motion (M-103) demandant au gouvernement de condamner l’islamophobie et les autres formes systématiques de racisme et de discrimination religieuse a été adoptée à 201 voix contre 91 le 23 mars dernier.

Non contraignante et symbolique, cette motion n’entraînera pas la création de nouvelles lois ni le changement de lois déjà existantes.

Malgré cela, l’hystérie qu’elle a suscitée en amont du vote a servi d’appât idéal pour attirer les islamophobes, qui ont qualifié la motion de tentative d’« islamisation » du Canada par les musulmans à travers, entre autres actions, l’introduction de la « charia ».

« Ce genre de motions n’attire pas l’attention généralement », notait un édito du Globe and Mail. « Or, cette motion-là a totalement absorbé le parlement ».

Et la réaction à son adoption par le parlement, quelques semaines après le massacre de six musulmans pendant qu’ils priaient dans une mosquée, a révélé l’étendue de la peur et de la méfiance semées par les islamophobes, et la raison pour laquelle cette motion est nécessaire.

Rattrapés par l’hystérie

Plusieurs candidats à la direction du Parti conservateur ont adhéré à cette hystérie, avec seulement deux députés conservateurs sur 97 – le député de Wellington-Halton Hills Michael Chong et le député de Simcoe North Bruce Stanton – votant pour la motion.

De plus, de nombreux candidats – Kellie Leitch, Chris Alexandrer, Brad Trost et Pierre Lemieux – se sont exprimés contre la motion lors de l’événement Rebel Media, lequel, selon les organisateurs, devait s’opposer « aux lois islamiques sur le blasphème ». Les intervenants avaient annoncé que le gouvernement prévoyait de réduire au silence les critiques de l’islam.

Les opposants à la motion l’ont qualifiée de loi, et ont affirmé qu’elle donnerait un traitement préférentiel aux musulmans, ce qui, selon eux, serait le premier pas vers une introduction de la charia au Canada.

En premier lieu, en tant que motion non contraignante, il ne s’agissait pas d’une loi. Le Québec a introduit une motion similaire en 2015 et l’Ontario en a adopté une plus tôt cette année. Il n’y a toujours pas de califat ou de lois de la « charia » dans ces provinces.

Ensuite, tandis que cette motion a été demandée en réponse à la pétition contre l’islamophobie présentée l’année dernière après la multiplication par deux du nombre de crimes contre les musulmans sur une période de deux ans, le texte ne donne de préférence à aucune communauté.

Enfin, affirmer que cette motion est le premier pas vers une islamisation, qui inclurait l’instauration de la charia, est ridicule.

Cheval de Troie et messages subliminaux

Les islamophobes adorent évoquer la « charia » car le simple fait de prononcer ce mot permet d’interrompre toute pensée critique ou discussion raisonnable. En fait, dès que le mot est employé, avec toutes ses associations négatives, les islamophobes ont gagné sans avoir même prononcé un seul argument cohérent.

Le préjugé profondément ancré renvoie les gens à leurs pires peurs et amène de nombreuses personnes normalement critiques à mettre en pause leur raison et à avoir recours aux seules croyances et émotions. Une motion symbolique et inoffensive visant à apaiser une communauté attaquée devient un cheval de Troie islamique. 

Cela dit, les gens empreints de haine ont toujours compté sur la confrontation, la désinformation et le fait de brouiller les cartes pour semer la panique. Ceux un peu moins téméraires se contentent de glisser des messages subliminaux dans leurs déclarations politiques. Quoi qu’il en soit, la meute entend le message, mais malheureusement d’autres sont aussi influencés.

En effet, le mépris, la peur, la haine et la désinformation qui alimentent la « panique morale » ont eu un impact profond sur les Canadiens. Selon un sondage Angus Reid publié la semaine dernière, une majorité de Canadiens aurait voté contre cette motion symbolique, malgré l’augmentation documentée de l’islamophobie dans le pays.

Le jour précédant

Prenez ce qui s’est passé dans le district de Peel. Un jour avant que la motion ne soit adoptée, plus de 80 manifestants s’étaient rassemblés pour déranger la réunion du Conseil académique du district de Peel, région à la population diversifiée proche de Toronto. Avant que la police ne mette fin au rassemblement, des pages du Coran avaient été arrachées et les insultes antimusulmanes avaient fusé.

La controverse tournait essentiellement autour de la décision du Conseil académique du district de Peel d’autoriser les étudiants musulmans à prier en groupe tous les vendredis. Selon les enseignements traditionnels islamiques, un musulman doit prier à certaines heures pendant la journée mais doit aussi participer à des prières en groupe les vendredis.

Pendant plus de vingt ans, les écoles dépendantes du Conseil académique du district de Peel et d’autres Conseils ont pris en considération ces demandes sans faire face à beaucoup d’opposition. En 2011, les objections soulevées à Thorncliffe Park avaient été rejetées par le Conseil académique de Toronto, qui était resté ferme sur les principes de non-discrimination et d’inclusion.

Les opposants soutiennent que les écoles laïques ne devraient pas accueillir le fait religieux entre leurs murs, mais cela est fallacieux pour deux raisons.

En premier lieu, comme leur auraient rappelé les avocats du Conseil académique, selon la loi, lorsqu’un groupe protégé demande des mesures adaptées pour la pratique de sa religion, cela doit être permis.

La Charte canadienne des droits et libertés garantit les libertés religieuses et le Code des droits de la personne de l’Ontario ainsi que le droit jurisprudentiel établissent clairement que des mesures d’adaptation raisonnables doivent être garanties tant qu’elles ne deviennent pas des contraintes excessives, ce qui signifie ici des contraintes au niveau du coût, de la santé et de la sécurité, ou tout autre problème similaire qui ferait pencher la balance en faveur du refus de la demande. 

Aucune de ces contraintes ne sont applicables dans le cas de Peel. « Laisser des étudiants musulmans prier pendant vingt minutes dans un espace vide, sous la supervision de personnel bénévole, ne cause pas de contrainte monétaire », a déclaré Linda Jeffrey, maire de Brampton, une ville du district.

De plus, le problème n’était pas la place de la religion à l’école, comme certains critiques l’ont prétendu à tort. En effet, ainsi que l’a déclaré aux médias le porte-parole du Conseil académique, l’objection concernait le fait de répondre aux demandes des musulmans.

Une campagne de haine

Comme l’a noté une déclaration du Conseil académique : « C’est une campagne contre l’islam – contraire aux lois de ce pays, au Code des droits de la personne de l’Ontario et aux valeurs du Conseil académique. » De fait, Janet McDouglad, présidente du Conseil, a qualifié la campagne de « haineuse » et a déclaré au journal Star que ceux qui y participaient avaient « l’intention de diffuser de la désinformation » pour confondre les gens et susciter la peur.  

La police a dû intervenir pour mettre fin au rassemblement lorsque l’un des manifestants a déchiré une copie du Coran, tandis qu’un autre piétinait les pages et criait des propos antimusulmans « plutôt horribles », selon Brian Woodland.

« Ils ont utilisé un langage et des commentaires qui étaient les plus haineux que je n’ai jamais vus de toute ma carrière », a-t-il déclaré. « J’ai été très choqué par ce que j’ai entendu. Je ne suis pas sûr d’avoir vu de tels niveaux de haine de toute ma vie. »

Le Coran endommagé a été restitué à la communauté. « Toute la communauté a réellement apprécié que le Conseil académique du district de Peel ait fait des efforts pour prendre soin du Coran jusqu’à ce qu’ils parviennent à trouver quelqu’un », a déclaré Cheikh Omar Sudebar, un imam de Brampton.  

« Ils auraient pu seulement le ramasser et le jeter. Mais à la place, ils ont pris soin du Coran et l’ont réparé du mieux qu’ils ont pu. »

Comment aller de l’avant

Ce qui s’est passé dans le district de Peel et la réaction à la motion ne feront que marginaliser et aliéner les jeunes musulmans.

Autoriser des jeunes gens qui considèrent leur foi comme un élément central de leur identité à pratiquer leur religion ne peut que renforcer le message selon lequel ils peuvent être musulmans tout en étant respectés en tant que Canadiens. La dignité et le respect facilitent l’intégration, tandis que la haine ne fait que renforcer le mécontentement et la radicalisation.

En effet, des mesures d’adaptation dans ce contexte peuvent être nécessaires pour la santé mentale des enfants, afin qu’ils se sentent en sécurité et bienvenus pour qui ils sont. Pour une personne religieuse, l’identité religieuse est centrale à son sens de la dignité, son estime de soi et son bien-être mental, physique et spirituel.

En fin de compte, la rhétorique haineuse et les actions qui ont entouré la M-103 et l’accueil des prières en milieu scolaire à Peel sont la meilleure preuve qu’il soit que la Chambre des communes a bien fait d’adopter cette motion. La suite ne dépend que de nous.

- Faisal Kutty est conseiller juridique à KSM Law, professeur associé à l’Université de Droit de Valparaiso dans l’Indiana et professeur adjoint à la Osgoode Hall Law School de l’Université York à Toronto. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @faisalkutty

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : six musulmans ont été tués dans une mosquée de Québec en janvier dernier (Reuters).

Traduit de l’anglais (original).

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