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Ce que veut l’Iran

Un haut responsable iranien me l’a expliqué il y a un an : la relation de l'Iran avec les Etats-Unis serait au mieux une rivalité cordiale, pas une alliance ou un partenariat

La veille de Noël, le guide suprême de l'Iran s’est mis à twitter contre l'Amérique. Utilisant les hashtags #Ferguson et #Gaza, il écrivit : « Si Jésus était parmi nous aujourd'hui, il ne perdrait pas une seconde à lutter contre les arrogants et soutenir les opprimés ». Il publia également quelques tweets utilisant le hashtag #BlackLivesMatter [LaViedesNoirsCompte]. Quatre jours plus tard, il commémora le massacre de Wounded Knee en demandant sur Twitter si tuer des millions d’autochtones américains et asservir les Africains constituaient des « valeurs américaines » ?

Surgissant au beau milieu des négociations de l'Iran avec les Etats-Unis et le P5 + 1 (les membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU plus l'Allemagne), de l’annonce du président Barack Obama de la fin de décennies d'hostilité avec Cuba, ainsi que d’une bien étrange « non-coordination » entre les Etats-Unis et l'Iran contre les combattants de l'Etat islamique en Irak, les tweets de Khamenei soulèvent une question : que veut réellement l'Iran de l'Amérique ?

Après La Havane, Téhéran désire-t-il être le prochain sur la liste du rapprochement avec les Etats-Unis ? Cherche-t-il à mettre fin à l'inimitié avec l'Amérique, ou tout simplement à réduire son intensité ? Ou bien les dirigeants iraniens craignent-ils de ne plus avoir l'Amérique comme ennemi ?

Beaucoup à Washington ont fait valoir que l'Iran est accro à son inimitié avec les Etats-Unis. « C’est un pilier de la révolution », entend-on souvent. Se réconcilier avec l'Amérique signifierait la fin de la Révolution islamique. Pourtant, beaucoup de ces mêmes voix rejettent catégoriquement l'idée que l’Iran engage des négociations bilatérales avec les Etats-Unis, que son ministre des Affaires étrangères noue une amitié épistolaire électronique avec le secrétaire d'Etat américain John Kerry, ou que son Président tweete « Joyeux Roch Hachana » aux juifs du monde entier.

Cette (in)compréhension simpliste et unidimensionnelle des dirigeants de Téhéran a généré des prédictions approximatives et finalement erronées sur le comportement iranien. La surprenante flexibilité des décideurs iraniens n'a pas su être capturée par la lecture étonnamment inflexible qu’avait Washington de Téhéran.

Plutôt qu’un rejet catégorique des liens avec les Etats-Unis ou qu’un désir assumé pour une telle relation, la vérité peut être simplement que Téhéran lui-même ne savait pas, jusqu'à récemment, quel chemin prendre en ce qui concerne sa relation avec Washington.

Il y a trois ans, un débat avait émergé au sein de l’appareil sécuritaire iranien sur la redéfinition des relations de Téhéran avec les grandes puissances, en particulier les Etats-Unis. Réalisant qu’une certaine forme de relation avec Washington était nécessaire compte tenu des changements géopolitiques dans la région, la question était alors de définir les paramètres de cette relation et la manière dont elle pourrait advenir.

Ce fut un débat intense, peut-être le plus important et difficile que les dirigeants de la république islamique aient connu depuis la guerre Iran-Irak. Avec l'évolution rapide de la situation régionale, le débat ne s’est jamais achevé. Cependant, certains éléments survenus au cours des dernières semaines semblent indiquer que Téhéran serait plus proche de parvenir à une conclusion. Le 17 décembre, le secrétaire du Conseil suprême de la sécurité nationale, Ali Shamkhani, a déclaré au Financial Times que même si un accord sur le nucléaire était conclu, les Etats-Unis et l'Iran ne pourraient toujours pas coopérer dans la région. Toutefois, Shamkhani a expliqué que les deux parties « pouvaient se comporter de façon à éviter d’utiliser leur énergie l’une contre l'autre ».

Il s’agit d’une déclaration cruciale, qui met en lumière de quel coté le débat est en train de pencher à Téhéran. Plutôt qu’un partenariat, l’Iran propose une trêve.

Un haut responsable iranien me l'a expliqué il y a un an : la relation de l'Iran avec les Etats-Unis serait au mieux une rivalité cordiale, pas une alliance ou un partenariat. Mais le mot clé ici est « cordiale », pas « rivalité ». Ainsi que Shamkhani l’a laissé entendre, contrairement à leur comportement passé, les Etats-Unis et l'Iran sauraient éviter tout défi ou nuisance mutuels. Ils pourraient même développer une collaboration tactique et stratégique, bien que Téhéran préfère probablement garder cet aspect derrière les coulisses. Ou, comme dans l'interview de Shamkhani, nier toute collaboration concrète.

Mais pourquoi Téhéran ne peut-il pas abandonner ses objections du passé et opter pour une approche moins conflictuelle envers l'Amérique ? C’est là que la notion de rivalité entre en jeu. L'Iran n’aspire pas à être une simple puissance ordinaire. Le régime actuel (tout comme celui du Shah à l’époque) cherche un rôle de leadership fort dans la région. Alors que le Shah utilisait le nationalisme persan sur la scène intérieure et une alliance avec les Etats-Unis et Israël à l'extérieur pour devenir le pouvoir incontesté de la région, les instruments du régime de Khomeiny sont l’islam politique et le rejet de la présence américaine dans la région.

Si Téhéran rejoignait le camp américain, il deviendrait une puissance ordinaire dont l'influence serait déterminée uniquement par ses prouesses économiques et militaires. L’Iran n’irait pas loin avec cela, craint-on à Téhéran. Il serait, au mieux, un Etat de deuxième rang, en-dessous des Etats-Unis.

En maintenant vivante sa rivalité avec les Etats-Unis et en contestant la vision américaine dans la région, l'Iran se catapulterait à un échelon plus élevé d'influence régionale, pense-t-on à Téhéran. En se positionnant comme un rival, l'Iran aborderait les Etats-Unis d’égal à égal, plutôt que de rivaliser avec Israël, la Turquie et l'Arabie saoudite pour le rôle du proxy le plus précieux de Washington dans la région.

Gardez cela à l'esprit la prochaine fois que l'ayatollah Khamenei se met à twitter pour défier les Etats-Unis ou mettre en exergue ses doubles standards. A une époque où les Etats-Unis et l'Iran coopèrent peut-être secrètement contre les djihadistes sunnites, où les activités commerciales bilatérales pourraient à nouveau abonder, et où une collaboration discrète pour stabiliser les zones chaudes de la région pourrait devenir monnaie courante, l'optique de rivalité doit à tout prix être maintenue là où cela importe le plus : sur Twitter.

- Trita Parsi est lauréat 2010 du Prix Grawemeyer des « Idées contribuant à l’amélioration de l’ordre mondial », et a reçu la récompense de 200 000 dollars dans ce cadre. Il est l’auteur primé de deux livres, Treacherous Alliance - The Secret Dealings of Israel, Iran and the US  [Alliance perfide. Les tractations secrètes entre Israël, l’Iran et les Etats-Unis] (Yale University Press, 2007) et A Single Roll of the Dice - Obama's Diplomacy with Iran [Un Seul Lancement de dés. La diplomatie d'Obama avec l'Iran] (Yale University Press, 2012).

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Le président iranien Hassan Rohani (AFP)

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