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Est-ce vraiment le début de la fin du conflit en Syrie ?

Aucun signe n’indique une possible résolution militaire ou un possible changement soudain dans l’équilibre militaire du pouvoir ; le conflit en Syrie va probablement se poursuivre

Le soi-disant accord de « cessation des hostilités » en Syrie est entré en vigueur le 26 février à minuit. Ces derniers jours, on a pu constater sur le terrain une baisse sensible de l’intensité des affrontements en dépit des violations perpétrées par les forces du régime et les avions russes à plus d’un endroit. Un jour plus tôt, alors que le Conseil de sécurité de l’ONU était sur le point de voter la résolution relative à cette cessation temporaire des hostilités, laquelle a été convenue par les États-Unis et la Russie, plus de 90 organisations armées opposées au régime ont déclaré adhérer à cet accord.

Le régime d’Assad à Damas a lui aussi fait une déclaration similaire. Dans le cadre général d’une crise syrienne extrêmement coûteuse, tant au niveau humain qu’à tous les autres niveaux, la cessation des hostilités peut être considérée comme une étape importante sur le chemin d’un règlement politique. Les parties qui parrainent la résolution politique espèrent que cet accord mettra un terme au ciblage des civils, qu’il permettra à l’aide humanitaire d’atteindre en toute sécurité des zones qui sont en état de siège et que cela va créer un climat moins hostile qui ouvrira la voie à l’ouverture de négociations sérieuses lors de la conférence de Genève III.

Cependant, plusieurs faits montrent que cet accord peut s’avérer n’être qu’un faux-semblant et que les forces appliquées à faire perdurer le conflit sont encore à l’œuvre.

Rien ne donne l’assurance que l’accord de cessation des hostilités tiendra longtemps. En fait, celui-ci ne devrait pas durer plus de deux semaines. Hormis pour les zones qui sont sous le contrôle de l’État islamique et du Front al-Nosra, qui s’étendent dans les zones qui sont sous le contrôle d’autres groupes d’opposition qu’on qualifie aujourd’hui de « modérés », il sera difficile de vérifier si les raids effectués par des avions du régime ou des avions russes ciblent les uns ou les autres.

Des sources du régime ont également indiqué l’existence d’une autre exception à la trêve qui s’applique à Deraa et ses environs dans la campagne de Damas. Si ces zones, qui sont soumises à un siège brutal depuis des années, sont ciblées, il sera difficile d’imaginer que les groupes rebelles puissent faire preuve de retenue.

Les forces du régime et les milices chiites et kurdes qui se battent de leur côté, soutenues par l’aviation russe, ont réalisé des progrès tangibles dans la campagne au nord d’Alep et dans certaines zones de la campagne à l’est d’Alep, ainsi qu’aux alentours de Latakieh, au cours des deux mois qui ont précédé l’annonce de la trêve.

Toutefois, le régime n’a pas encore réussi à s’emparer fermement des voies d’approvisionnement à travers la frontière turque et n’a pas encore réussi à assiéger Alep. En outre, le fait que l’État islamique a réussi à bloquer la route principale vers Alep quelques jours seulement avant l’entrée en vigueur du cessez-le-feu a porté un sacré coup aux efforts militaires du régime dans le nord. Le régime ne devrait pas observer sérieusement la trêve alors que ses récentes réalisations militaires sont en jeu.

Pourtant, d’autres dangers peuvent nuire à la trêve et à l’accord de cessation des hostilités. Depuis le début de l’année, grâce à un soutien militaire tangible du régime syrien, de la Russie et des États-Unis et à la coordination des opérations avec l’aviation russe en Syrie, les milices kurdes sont parvenues à accomplir une avancée militaire tangible à l’ouest de l’Euphrate, en particulier dans la campagne du nord d’Alep. Par conséquent, les milices sont devenues voisines avec la Turquie le long d’une immense étendue de la frontière syro-turque.

La Turquie, qui a bombardé la position des milices kurdes pendant plusieurs semaines, n’a pas caché qu’elle ne considère pas l’accord de cessez-le-feu comme contraignant en ce qui concerne ces milices, tout comme elle ne le considère pas comme contraignant dans la guerre contre l’État islamique.

Selon l’épithète turque, les milices affiliées au Parti de l’union démocratique (PYD) kurde en Syrie ne sont pas moins « terroristes » que l’État islamique. Considérant que les milices kurdes font la guerre sur plusieurs fronts, que ce soit contre l’État islamique ou contre les autres forces de l’opposition syrienne, et qu’elles cherchent à établir un lien entre les régions kurdes du nord-est de la Syrie et celles de l’ouest de la Syrie, tout en minimisant la présence de la population arabe dans ces régions, seul un miracle peut convaincre ces milices d’observer la trêve. Outre tout cela, la position de l’Iran (dont les forces se battent aux côtés du régime sur le terrain) vis-à-vis de la trêve est encore incertaine.

Voilà à quoi ressemble le sort de l’accord de cessez-le-feu au niveau purement tactique. Cependant, il y a quelque chose qui est plus important et beaucoup plus révélateur. D’une part, il n’y a toujours aucun signe d’un éventuel rapprochement entre la vision des forces de l’opposition et celle d’Assad et des forces alliées à l’égard de la solution politique. Pour l’opposition, la seule solution possible au conflit qui fait rage serait la création d’un organe pleinement agréé qui exclurait les personnalités et les dirigeants du régime actuel et qui conduirait la Syrie dans une ère totalement nouvelle.

Cependant, Assad estime que les négociations lui donneraient la possibilité d’assurer et de préserver son pouvoir avec le soutien de la communauté internationale, ou du moins son consentement.

Deux facteurs détermineront le sort d’une telle divergence entre les visions des deux parties et si l’avenir de la Syrie s’accordera davantage avec la vision de l’une ou de l’autre. Le premier facteur a trait à l’accord entre les puissances internationales alors que le deuxième facteur a trait à l’équilibre militaire entre les forces du régime et de l’opposition.

Avec tout le débat sur l’intervention directe de la Russie en Syrie, beaucoup semblent ignorer la relation étroite entre cette étape majeure franchie par la Russie et le conflit relatif à l’Ukraine. Du point de vue de la Russie, la Syrie constituait une occasion opportune pour une réaction à la perte douloureuse en Ukraine et une monnaie d’échange appropriée concernant les limites à fixer à l’influence occidentale potentielle dans le voisinage immédiat de la Russie. Bien que chaque action militaire doive prendre fin un jour, la Russie est encore en mesure de continuer à jouer le rôle qu’elle joue actuellement en Syrie pendant au moins plusieurs mois.

En revanche, l’administration Obama ne souhaite pas intervenir en Syrie, que ce soit en exerçant une pression tangible sur la Russie pour mettre fin à sa propre intervention ou en négociant sur l’Ukraine. Du point de vue de Washington, la Syrie n’est pas un endroit stratégique et ne constitue pas une menace directe pour la sécurité américaine. Dans la vision stratégique américaine du Moyen-Orient dans son ensemble, aussi longtemps que l’équilibre est maintenu entre les camps chiites et sunnites et aussi longtemps que les forces locales désireuses de lutter contre l’État islamique sont mobilisables, il ne sera pas nécessaire de s’impliquer dans la crise syrienne.

De telles différences entre les positions et les rôles de Washington et de Moscou affectent nécessairement les positions et les rôles des puissances régionales. La mobilisation iranienne en appui du régime d’Assad continue alors que les politiques turque et saoudienne vis-à-vis de la crise semblent plus confuses et plus hésitantes.

Aucun signe n’indique une possible résolution militaire ou même un changement soudain dans l’équilibre militaire du pouvoir. Bien sûr, le déséquilibre des positions internationales et régionales joue un rôle important dans la préservation des lignes militaires du régime, et même dans son succès avec ses alliés à obtenir quelques gains récemment.

Cependant, la question la plus importante, en fait, le problème qui a accablé les forces révolutionnaires syriennes au cours des dernières années, est la fragmentation étendue et à grande échelle du camp de l’opposition militaire. Il est compréhensible que les groupes militaires opposés au régime se soient multipliés au cours de la période allant de 2012 à 2013, lorsque prendre les armes n’était pas le choix principal de la révolution, mais était au contraire, dans la plupart des cas, une réaction locale à la violence et aux persécutions brutales exercées par le régime contre la population et son soulèvement pacifique.

Pourtant, l’échec des groupes armés à créer un cadre unifié, en dépit de quelques efforts déployés dans ce sens, constituait et continue de constituer une faille majeure dans la performance des forces révolutionnaires. Cette faille s’est élargie et est devenue plus grave à mesure que la révolution s’est transformée en ce qui ressemble à un mouvement de libération nationale contre un régime qui collabore avec un occupant étranger. Comment plus de 90 groupes armés peuvent-ils remporter la victoire dans une guerre menée contre un régime qui mène une minorité solidaire et qui est soutenu par un front iranien obsédé par l’hystérie sectaire et une force internationale dont les capacités militaires ne peuvent pas être sous-estimées ? C’est d’autant plus dangereux qu’une telle fragmentation crée une marge considérable pour l’existence, le développement et la propagation de l’État islamique.

Dans l’ombre de ces positions internationales et régionales fautives et de la réduction des pressions sur le terrain, seul un miracle peut transformer deux semaines sans hostilités en trêve sérieuse ou pousser le régime vers des négociations pour trouver une solution qui soit acceptable pour le grand public et les forces de l’opposition.

S’il y a bien une chose de certaine, c’est le fait que le conflit en Syrie se poursuivra probablement. Cependant, ce n’est plus seulement une révolution contre un régime despotique tyrannique, mais une lutte de libération nationale contre une puissance d’occupation étrangère. Finalement, peu importe combien de temps ce conflit durera, ceux qui sont venus en Syrie de loin s’en iront et seuls resteront les propriétaires de la terre et du pays ; il s’agit des Syriens, des Turkmènes, des Kurdes et des Arabes.

- Basheer Nafi est chargé de recherche principal au Centre d’études d’Al-Jazeera.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des Syriens se sont rassemblés pour protester contre le régime du président Bachar al-Assad et de son parrain russe dans la ville de Ma’arrat al-Numan contrôlée par les rebelles dans la province d’Idlib, après la prière du vendredi, le 4 mars 2016 (AA).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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