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Et si les négociations sur le nucléaire iranien échouaient ?

Une rupture totale des négociations sur le nucléaire serait peu réjouissante pour les parties concernées, ce qui pourrait constituer un puissant facteur de motivation pour conclure un accord

Bien que de nombreux signes justifient l’optimisme concernant l’accord sur le nucléaire iranien (par exemple, les efforts inlassables et la détermination du secrétaire d’État américain John Kerry), il reste encore un certain nombre de questions en suspens qui pourraient encore saborder les perspectives d’un accord définitif.

En outre, il existe des forces en Iran et aux États-Unis, ainsi que dans la région, qui s’opposent farouchement à un accord sur le nucléaire. Que se passerait-il si les discussions échouaient ? L’analyse ci-après tente de répondre à cette question.

Changements au niveau national iranien

Depuis la mort du leader de la révolution iranienne (l’ayatollah Ruhollah Khomeyni) en 1989, deux grands courants politiques rivalisent au sein du nizâm iranien (ordre établi). Il s’agit du camp radical et révolutionnaire dirigé par le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, et du camp modéré et pragmatique dirigé par l’ancien Président, l’ayatollah Akbar Hachemi Rafsandjani. Chacune de ces écoles de pensée possèdent des sous-courants. Par exemple, les ultra-conservateurs et extrémistes qui sont catégoriquement opposés à toute négociation avec les États-Unis soutiennent le guide suprême, alors que les réformistes, qui ne sont pas tout à fait d’accord avec Rafsandjani, soutiennent tout de même ses stratégies.

Parmi les questions qui divisent les deux courants, les relations avec les États-Unis sont en première ligne. Khamenei estime que la restauration des liens avec l’Amérique accélérera la promotion des valeurs américaines et, par conséquent, sapera les fondements idéologiques du système iranien. Il fait également valoir que les relations diplomatiques officielles faciliteront l’établissement de liens occultes entre les Américains et ceux qui sont prêts à coopérer avec eux afin d’ébranler le régime iranien.

Les modérés et les pragmatiques soutiennent qu’aucun système politique stable ne peut être définitivement hostile aux États-Unis, une superpuissance.

C’est dans ce contexte que les radicaux voient un accord sur le nucléaire comme une menace potentielle. Pour eux, un accord pourrait ouvrir la voie de la normalisation des relations avec les États-Unis.

Dans une récente déclaration, sans précédent de par son ton, l’université Imam Hussein (IHU) contrôlée par le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), où enseignent les théoriciens du CGRI, a accusé le camp des modérés de promouvoir la « littérature libérale » et de ne pas être assez dur à l’égard de la cupidité américaine. La déclaration les menaçait de « confrontation révolutionnaire ».

Trois jours plus tard, l’ayatollah Khamenei, faisant écho à cette déclaration de l’IHU et la soutenant sans doute, a mis en garde contre un courant dans le pays qui cherche à « présenter l’imam [Khomeyni] comme un libéral ».

Si un accord sur le nucléaire se concrétise, les différences significatives entre les deux camps s’évanouiront. En revanche, un échec des négociations entraînerait des changements drastiques en Iran.

Rohani et le sort de son camp sont liés à l’issue des négociations sur le nucléaire. Un échec des négociations marquerait le retour de la politique radicale et du modèle des années précédentes : Téhéran développerait son programme nucléaire, lequel engendrerait à son tour des sanctions plus sévères de la part des États-Unis.

Dans ce cas, Rohani et son ministre des Affaires étrangères, Javad Zarif, seraient au mieux marginalisés. Le scénario encore plus probable serait la chute de Zarif.

Sur le plan économique, un échec des négociations aboutirait à une situation similaire à celle de 2012, au plus fort des sanctions européennes et américaines. Le rial, la devise iranienne, vacillerait sur ses fondations déjà chancelantes avant une autre explosion de l’inflation.

En outre, le système serait menacé sur deux fronts : à l’international par des attaques militaires des Américains et des Israéliens et au plan national par des troubles sociaux stimulés par une inflation galopante.

Cette situation inverserait le processus d’ouverture de la société voulu par Rohani.

Changements au niveau régional

Depuis que le roi Salmane a accédé au trône saoudien en janvier, le conflit Iran-Arabie saoudite est entré dans une nouvelle phase. Alors que pendant des années la rivalité s’était caractérisée par la tactique de la guerre froide, elle s’est désormais transformée en confrontation militaire ouverte et indirecte en Syrie et au Yémen.

La nouvelle doctrine d’Obama pour surmonter les crises au Moyen-Orient vise à mettre fin aux tensions dans la région et à résoudre ses conflits dévastateurs, ce qui « nécessitera un dialogue plus large, lequel devra inclure l’Iran et ses voisins du CCG ».

Si les négociations échouent et que la communication entre l’Iran et l’Amérique cesse, une escalade des hostilités entre l’Iran et l’Arabie saoudite serait plus que probable, étant donnée l’imprévisibilité croissante des Saoudiens. Dans une telle éventualité, les guerres par procuration entre les deux pays s’intensifieraient vraisemblablement et risqueraient de les entraîner dans une confrontation militaire directe.

Pendant ce temps, la concurrence cachée entre l’Iran et les États-Unis en Irak pourrait contribuer à déstabiliser davantage le pays.

Plus important encore, Israël pourrait voir en ce nouvel environnement hostile une occasion rêvée de concrétiser l’impensable : une frappe militaire contre les installations nucléaires iraniennes. Ce scénario est désormais plus probable que jamais, compte tenu de la coopération secrète récemment révélée entre Israéliens et Saoudiens pour contrecarrer l’Iran.

Changements au niveau international

Si les négociations échouent, l’Occident – en particulier les États-Unis – pourrait chercher à établir un embargo pétrolier de facto. Malgré les conséquences des probables sanctions, aussi désastreuses qu’elles puissent être, l’Iran ne cédera pas aux pressions occidentales.

Outre ses principes idéologiques, l’ayatollah Khamenei se justifie ainsi : se soumettre à la coercition reviendrait à ouvrir la porte à davantage de coercition et d’autres demandes de concessions de la part des États-Unis. Il fait valoir que, dès que les États-Unis concluront que les sanctions sont efficaces, ils imposeront davantage de sanctions afin de poursuivre leur objectif principal : renverser le régime.

Aux États-Unis, ce scénario ne laisserait que des options militaires pour mettre fin au programme nucléaire iranien. Toutefois, selon certains rapports dignes de foi, une frappe militaire pourrait, au mieux, retarder de quatre ans le programme nucléaire iranien, accroître les chances de l’Iran de devenir une puissance nucléaire et serait susceptible de déstabiliser l’économie mondiale. Outre de lourdes pertes humaines, une frappe militaire américaine engendrerait vraisemblablement des conséquences imprévues et imprévisibles.

Une rupture totale des négociations sur le nucléaire serait peu réjouissante pour les parties concernées, ce qui pourrait constituer un puissant facteur de motivation pour conclure un accord.

Nous avons récemment demandé à Kenneth Katzman, spécialiste réputé de l’Iran au Congrès, quelle est la probabilité de parvenir à un accord sur le programme nucléaire iranien. « Selon moi, la probabilité de finaliser l’accord sur le nucléaire est d’environ 80 % », a-t-il répondu par email. À la question « Pensez-vous qu’un accord sur le nucléaire est possible avant la date limite du 30 juin ? », il a répondu : « Oui, je le pense. »

- Shahir Shahidsaless est un analyste politique et journaliste freelance qui écrit principalement sur la politique nationale et étrangère de l’Iran. Il est également le coauteur de l’ouvrage Iran and the United States: An Insider’s View on the Failed Past and the Road to Peace, publié en mai 2014.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le secrétaire d’État américain John Kerry discute avec le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif le 30 mai à Genève (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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