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Iran et Russie : un partenariat fragile

En dépit de la visite de Vladimir Poutine à Téhéran et malgré les apparences, l’Iran et la Russie sont encore loin de développer des liens stratégiques

La visite du président russe Vladimir Poutine à Téhéran fin novembre et sa rencontre immédiate avec le dirigeant iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, ont suscité une vague d’analyses sur le développement des relations entre Téhéran et Moscou.

La réunion de Poutine avec Khamenei a été correctement identifiée comme une rupture avec les normes et le protocole diplomatiques (puisqu’il aurait dû rencontrer tout d’abord le président iranien Hassan Rohani) et donc riche en symbolisme, engendrant des spéculations sur le début de relations russo-iraniennes véritablement « stratégiques ».

Abstraction faite de la définition précise de « stratégique », il est peu probable que la visite de Poutine amorce une trajectoire menant à l’amélioration qualitative des relations russo-iraniennes.

Divers facteurs fondamentaux, stratégiques et tactiques font obstacle au rapprochement de Téhéran avec Moscou. Cela dit, les deux pays entretiennent des liens forts et continueront à être d’accord sur un large éventail de questions régionales et internationales.

Une histoire difficile

D’un point de vue historique, l’Iran et la Russie ne sont pas des alliés naturels. Les guerres russo-perses des XVIIIe et XIXe siècles ont abouti à l’humiliant traité de Turkmanchai ; la perte du Caucase qui en a résulté a eu un impact durable sur l’identité nationale iranienne.

Au XXe siècle, l’invasion anglo-soviétique de l’Iran en 1941 (malgré la neutralité iranienne dans la Seconde Guerre mondiale) et la tentative soviétique d’annexion de l’Azerbaïdjan iranien étaient un nouveau rappel que les Russes souhaitaient depuis longtemps démanteler effectivement l’État-nation iranien.

Dans les années qui ont suivi, l’ingérence soviétique dans les affaires iraniennes, canalisée par le parti communiste iranien pro-Moscou Tudeh, a conduit les Américains à soutenir résolument le deuxième monarque Pahlavi, Mohammad Reza Chah.

En dépit de sa dépendance à l’égard de Washington, dans les dernières années de son règne, le Chah a cherché à équilibrer davantage sa politique étrangère, en choisissant de resserrer ses liens politiques et économiques avec l’ancienne Union soviétique.

Après la révolution iranienne de 1979, le nouveau régime de Téhéran s’est ostensiblement engagé dans une politique étrangère radicalement différente en rejetant les deux superpuissances, politique immortalisée par le slogan révolutionnaire populaire « ni Orient, ni Occident ».

En réalité, la République islamique a toutefois maintenu des liens, quoi que marginaux, avec l’ancienne Union soviétique (malgré le ferme soutien soviétique à l’Irak lors des premières années de la guerre Iran-Irak), tout en entreprenant résolument dans le même temps d’éradiquer l’influence soviétique sur la politique iranienne en éliminant le parti Tudeh.

La relation minimale avec l’ancienne Union soviétique était d’autant plus remarquable compte tenu de l’éloignement total de l’Iran révolutionnaire vis-à-vis des États-Unis. Cette évolution particulière a formé la base de la politique étrangère postrévolutionnaire envers l’Union soviétique, puis envers la Fédération de Russie suite à l’effondrement de l’URSS en 1991.

Les relations se sont consolidées à la fin de la guerre Iran-Irak en 1988 et avec une importante vente d’armes l’année suivante. Une expansion constante des liens s’est ensuivie dans les années 90, les initiatives de Washington pour isoler l’Iran aux niveaux régional et international en fournissant l’élan nécessaire.

En résumé, la position de l’Iran concernant la Russie prend la pleine mesure de l’histoire difficile entre les deux puissances, tout en maintenant et en fortifiant leurs relations lorsque cela est nécessaire pour améliorer l’effet de levier de l’Iran sur un large éventail de questions régionales et internationales.

Un partenariat non stratégique

Les interprétations de la réunion non conventionnelle de deux heures entre Poutine et Khamenei se sont multipliées. Une des meilleures évaluations a été faite par Hossein Malaek, un diplomate iranien et ancien ambassadeur en Chine, dans un court article pour un site spécialisé dans la diplomatie iranienne.

Tout en notant les conditions extraordinaires de la réunion, en reconnaissant le respect exceptionnel du dirigeant iranien pour le président russe, Malaek interprète la signification de la réunion dans le contexte de l’intensification du conflit syrien.

La Syrie est actuellement au centre des relations russo-iraniennes puisque les deux puissances utilisent leurs importantes ressources militaires, diplomatiques et dans le domaine des renseignements pour contrecarrer les plans de leurs rivaux occidentaux et arabes du Golfe visant à renverser le gouvernement syrien et modifier ainsi l’équilibre des forces régionales.

Toutefois, même sur cette scène aux enjeux élevés – où les intérêts iraniens et russes à court terme sont étroitement alignés –, les deux puissances ne partagent pas nécessairement des intérêts stratégiques en termes d’objectif final et de résultats escomptés du conflit.

En fait, en privé, les dirigeants iraniens craignent peut-être une trahison de la part de la Russie en Syrie, en particulier à la lumière de l’analyse crédible selon laquelle la Russie utiliserait le conflit syrien pour notamment obtenir des concessions des États-Unis et de l’UE sur le conflit en Ukraine.

En tout cas, les dirigeants iraniens et les stratèges seraient fous de s’attendre à un fort soutien russe à long terme en Syrie. Le différend nucléaire iranien, qui a duré de 2002 jusqu’à sa résolution en juillet de cette année, est un bon modèle pour examiner la force du soutien russe à l’Iran sur les questions essentielles impliquant les principales puissances mondiales.

Le soutien russe était au mieux peu enthousiaste et, à des moments clés, les Russes ont décidé de renoncer à l’usage de leur droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU afin de ne pas compromettre leurs liens avec les Américains et les principales puissances européennes telles que le Royaume-Uni et la France.

Au-delà de la Syrie, une évaluation trop optimiste de la perspective d’avenir des relations russo-iranienne se heurte avec la trajectoire et les priorités de la politique étrangère iranienne en général. L’Iran n’est plus un état révolutionnaire assiégé, mais sans doute une puissance dominante de la région et peut-être un acteur émergent sur la scène mondiale.

Tant que la République islamique continue de croiser le fer avec Washington et ses alliés dans la région, elle cherchera également à exploiter toute opportunité d’aligner ses intérêts avec les États-Unis ne serait-ce que pour diminuer le coût de son implication dans les conflits régionaux.

Dans cette nouvelle réalité diplomatique, il est plus prudent pour l’Iran de voir sa relation avec la Russie comme un contrepoids à son rapprochement douloureusement lent et conditionnel avec l’Occident plutôt que de traiter Moscou comme un allié à part entière.

- Mahan Abedin est un analyste spécialiste de la politique iranienne. Il dirige le groupe de recherche Dysart Consulting.  

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.   

Photo : une photo fournie par le bureau du guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, le montre (au centre) recevant un cadeau du président russe Vladimir Poutine (à gauche) lors de leur réunion dans la capitale iranienne, Téhéran, le 23 novembre 2015 (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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