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La victoire, pas la vengeance

Le terrorisme doit susciter une mobilisation globale mais il ne faut pas se contenter de lutter contre ses effets

Ils allaient, insouciants et joyeux, à un concert de rock, boire un verre en terrasse, voir un match de football. Il faisait bon ; c'était le début du week-end. Ils étaient en famille ou avec des amis. La vie était belle, conviviale et festive.

Ils sont morts. Voilà ce qu'ont voulu tuer les terroristes. Une jeunesse ouverte et fraternelle, dont la très grande majorité était consciente de son statut de citoyen du monde et solidaire du malheur des autres. Sans doute, beaucoup sont actifs dans les milieux associatifs et de solidarité. Ils ont été tués sans jugement, à l'aveugle, pour le symbole qu'ils représentaient. Aujourd'hui, chaque Parisien se dit « cela aurait pu être moi, cela aurait pu être un de mes enfants ou parents ». Ceux qui ne sont pas atteints sont soulagés après une immense angoisse, les autres sont inconsolables de la perte d'êtres chers. L'émotion est donc générale. Pour le moment, la population a réagi avec une très grande dignité.

La plus grande difficulté aujourd'hui est de répondre à ces attaques immondes non par l'émotion mais par la raison.

La première question à se poser est de savoir ce que recherchaient les terroristes pour ne pas leur donner satisfaction. Il faut affirmer haut et fort que nous ne changerons pas ce que nous sommes : une société ouverte et démocratique. Après le terrible attentat d'Oslo, le Premier ministre norvégien avait déclaré « bien entendu, nous n'avons pas changé ce que nous sommes ». Breivik avait durement touché la société norvégienne en tuant près de quatre-vingts personnes, mais il n'avait pas gagné. Les Français doivent montrer qu'ils n'ont pas peur, qu'ils continuent à sortir, à profiter de la merveilleuse ville qu’est Paris. Qu'ils prennent des précautions renforcées mais qu’ils ne font pas un amalgame entre terroristes et musulmans. C’est ce que cherche Daech : renforcer l’islamophobie pour nourrir le terrorisme, développer le terrorisme pour nourrir l’islamophobie.

Ne pas non plus changer de politique extérieure. Selon certains, ce sont les bombardements sur l'État islamique qui sont la cause des attentats. Mais y mettre fin aujourd'hui signifierait que l'on change de stratégie par peur. La France va très certainement intensifier ses bombardements. Ils pourront affaiblir l'État islamique et ne permettront pas de le vaincre définitivement. Et c'est là qu'il ne faut pas tomber dans l’autre piège. Lancer une offensive terrestre occidentale, c'est justement ce qu'attend Daech pour nourrir un discours de mobilisation contre « les croisés ». C'est aux pays sunnites, pays du Golfe et à la Turquie d’agir en premier lieu, parce qu'ils sont les plus légitimes pour affaiblir le soutien des sunnites irakiens et syriens à Daech et qu’ils sont aux premières loges de la menace. Il faut entamer une grande concertation avec tous les pays concernés : pays du Golfe, Turquie, Occidentaux, Russie, Iran pour mettre fin à cette menace globale, mais les pays sunnites doivent être à l'avant-garde de la bataille. Ils en ont les moyens, et l'enjeu est bien plus essentiel que la guerre que les Saoudiens mènent en ce moment au Yémen.

Le terrorisme doit susciter une mobilisation globale mais il ne faut pas se contenter de lutter contre ses effets. Il faut également réfléchir à ses causes. Ceux qui ont soutenu la guerre d'Irak en 2003 sont assez mal placés pour nous expliquer comment lutter contre l'État islamique qui est un avatar de cette guerre.

Nous sommes dans une situation nouvelle. Tout d'abord par le nombre de morts, mais également par le type de menace. Pendant longtemps, certains disaient qu'il ne fallait pas parler d'État islamique parce que c'était donner trop d'importance à Daech. Mais cette organisation exerce bien une autorité sur la population qui vit sur un territoire donné et qui, de plus, organise des attentats à l’extérieur. Nous sommes confrontés à une mutation inédite du terrorisme qui est à la fois déterritorialisé et ancré sur un territoire. Face au terrorisme, il n'y a pas de risque zéro. Le plan Vigipirate en France n'a pas empêché ces attentats. Vous protégez mille cibles, les terroristes vont s'attaquer à la mille et unième. On ne peut pas mettre des policiers ou militaires devant toutes les terrasses, dans toutes les salles de spectacles, dans tous les monuments publics.

Il faut tenir un discours de vérité aux citoyens. Oui, il y a un risque terroriste et il faut s'habituer à vivre avec, comme nous nous habituons à vivre avec d'autres risques. D'un certain côté, plus nous en parlons, plus nous donnons raison à nos adversaires. Plus nous le mettons en avant publiquement, plus nous leur signalons là où est notre faiblesse. Alors il faut dire que le risque existe mais que nous n'avons pas peur. Nous sommes vigilants, pas craintifs ni haineux. Nous voulons la victoire, pas la vengeance.

- Pascal Boniface est directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et enseignant à l’Institut d’Études européennes de l’université de Paris 8, France. Il a écrit ou dirigé la publication d’une cinquantaine d’ouvrages ayant pour thème les relations internationales, les questions nucléaires et de désarmement, les rapports de force entre les puissances, la politique étrangère française, l’impact du sport dans les relations internationales, le conflit du Proche-Orient et ses répercussions en France.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye. Cet article a été publié initialement sur le site de l’IRIS.

Photo : l’armée française déployée dans les rues de Paris (AFP).

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