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Le Liban ne se trouve pas dans une impasse politique, les changements sont juste trop rapides

Les récents changements géopolitiques régionaux ont alimenté un changement politique soudain et rapide au Liban, lequel prend une tournure inattendue

Il est courant et légitime de regarder le Liban aujourd’hui et de se dire : bon, le pays est dans une impasse politique. Il est vrai que les institutions politiques libanaises sont oisives, pour le moins que l’on puisse dire : le mandat parlementaire est étendu inconstitutionnellement depuis environ deux ans et le mois prochain marquera le début d’une troisième année sans président.

Cependant, au-delà des institutions atones, les changements géopolitiques régionaux récents ont alimenté un changement politique soudain et rapide au Liban, lequel se délite dans des scénarios inattendus. Le rôle historiquement paternel que l’Arabie saoudite a joué au Liban depuis des décennies prend une nouvelle forme : passant d’une approche gratifiante à une approche disciplinaire.

Ce changement semble avoir commencé lorsque le ministre des Affaires étrangères libanais et chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, a refusé de soutenir la résolution de la Ligue arabe condamnant les « actes de provocation » de l’Iran et d’associer le Hezbollah libanais à des actes de terrorisme à Bahreïn et ailleurs. Cela a constitué une excuse suffisante pour que Riyad commence à « punir » le Liban : cessation d’accords d’une valeur de 3,5 milliards d’euros visant à équiper et soutenir les forces de sécurité libanaises, émission d’avertissements aux citoyens du Golfe voyageant au Liban, licenciement de dizaines de travailleurs libanais dans le Golfe et classification du Hezbollah comme organisation terroriste, parmi d’autres mesures qui doivent encore être officiellement présentées.

Ce n’est que le début d’une voie disciplinaire sur laquelle s’engage l’Arabie saoudite vis-à-vis des dirigeants libanais. Le Liban ne peut plus rester « neutre » ou même prétendre l’être. Les politiques libanais ont quelques tours dans leurs manches qui sont susceptibles de choquer la scène politique libanaise et d’impressionner le royaume. La mesure dans laquelle les maîtres de la politique au Liban peuvent inverser la rupture avec Riyad est dans les faits marginale. Cependant, la façon dont ils cherchent à y remédier mérite d’être étudiée.

Manœuvres politiques au Liban

Depuis le début de la crise présidentielle, le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah a rappelé que le candidat du parti est Michel Aoun. Il a justifié cette décision apparemment immuable par deux assertions. La première est d’ordre moral : Aoun est un allié digne de confiance et c’est donc un devoir moral de soutenir sa candidature. La seconde est que le parti d’Aoun, le Courant patriotique libre (CPL), serait le plus grand représentant des chrétiens libanais. En ce sens, Aoun est le candidat le plus légitime à la présidentielle.

Début février, cette position ferme a été mise à mal par une manœuvre politique initiée secrètement par Walid Joumblatt et présentée publiquement par Saad Hariri, ex-Premier ministre libanais proche de Riyad. De façon inattendue, Hariri a appuyé la candidature de Soleimane Frangié, fidèle allié de Bachar al-Assad au Liban. Compte tenu de la position pro-régime syrien de Frangié, il est considéré comme l’un des hauts responsables du camp politique du Hezbollah. Ainsi, le mouvement de Hariri a testé la force de l’alliance du Hezbollah avec les deux leaders chrétiens, Aoun et Frangié, et, par conséquent, a mis la balle des élections présidentielles dans le camp du Hezbollah.

Depuis lors, l’inattendu dans la politique libanaise s’est produit. Anéanti par l’initiative de Hariri, le leader chrétien de droite anti-Hezbollah Samir Geagea s’est retiré de la course présidentielle en faveur du propre candidat du Hezbollah, Michel Aoun, qui se trouve être également son farouche rival politique contre lequel il a mené une guerre sanglante il n’y a pas si longtemps.

Depuis la décision de Geagea, la scène politique a été dominée par une série de manœuvres politiques rapides et soudaines, chaque homme politique essayant de faire ciller l’autre. Avec le changement de la politique de l’Arabie saoudite envers le Liban, ce jeu s’est intensifié. Le très expérimenté président du Parlement libanais et chef du mouvement Amal, Nabih Berri, a fait le pas le plus audacieux.

Nabih Berri jette les dés

Berri est l’un des politiques libanais les plus expérimentés. Il est président du Parlement depuis plus de vingt ans, maîtrisant l’art de la politique libanaise. La maîtrise de cet art fut également acquise lors de son expérience comme chef de guerre pendant la guerre civile libanaise. Son parti, le mouvement Amal, s’était allié au Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt pour combattre les milices chrétiennes de droite.

Aujourd’hui, Berri se positionne lui-même de manière stratégique vis-à-vis de la polarisation régionale entre l’Arabie saoudite et l’Iran. De sa position, il est devenu clair qu’il ne veut pas voir Aoun devenir président. Même après le soutien de Geagea à Aoun, les ministres de Berri ne voulaient pas aller au Parlement et mettre Aoun au pouvoir. Cependant, Berri n’a pas appuyé Frangié non plus. Avant le revirement des Saoudiens, il semblait que la vacance présidentielle était une meilleure alternative pour Berri que ces deux candidats.

Tout cela a changé lorsque le mouvement politique suivant n’est pas venu de rivaux locaux, mais d’une puissance régionale : l’Arabie saoudite. Lorsque celle-ci a commencé sa stratégie disciplinaire aux répercussions dangereuses pour le Liban, Berri a vu qu’un compromis sur la présidence pourrait relancer la voie diplomatique avec l’Arabie saoudite et enrayer la division.

Le 19 mars, pendant l’hypermédiatisation des tensions saoudo-libanaises, Berri a finalement annoncé son soutien à la candidature de Frangié et, plus important encore, a exhorté son allié, le Hezbollah, à céder au consensus quasi-national sur Frangié et à retirer son appui à Aoun.

Effectivement, le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah a réagi rapidement dans un discours télévisé le 21 mars en atténuant son soutien à Aoun et suggérant clairement que le soutien de son parti envers Aoun « ne signifie pas qu’[il] n’approuv[e] pas un autre candidat ».

Le lendemain matin, Berri a envoyé au roi Salmane un message par l’intermédiaire de l’ambassadeur saoudien au Liban Awad Al-Asiri et a annoncé, dans la même interview accordée au journal Annahar, que le « fruit présidentiel a mûri ».

Un Liban discipliné par l’Arabie saoudite est impossible

Malgré les efforts de Berri, son allié, le Hezbollah, ne fera pas trop de compromis. Frangié est un allié fiable d’Assad. Approuver sa candidature n’est pas un énorme compromis pour le Hezbollah, tant qu’elle aide à contrôler la fureur saoudienne. Toutefois, il est peu probable que cela répare la fracture.

Le Hezbollah est devenu l’un des adversaires les plus dangereux de l’Arabie saoudite dans la région. Son implication militaire en Syrie, en particulier, son influence croissante sur les communautés chiites dans le Golfe, son emprise croissante sur les affaires libanaises et son soutien flagrant aux Houthis au Yémen ont fondamentalement fait reculer l’Arabie saoudite dans ses confrontations par procuration avec l’Iran.

Riyad continuera d’utiliser son pouvoir de conviction sur le Liban. Davantage d’expatriés libanais dans le Golfe en subiront les conséquences. L’immobilier, qui est considéré comme le seul secteur en croissance au Liban, sera durement touché par le retrait des investissements et des dépôts bancaires du Golfe. L’élite politique libanaise va bientôt devoir affronter la difficile vérité : le Liban ne peut pas être sur le banc de touche dans un jeu qui implique un parti libanais, le Hezbollah, comme acteur majeur.

- Ibrahim Halawi est chercheur et doctorant à la Royal Holloway University de Londres. Ses travaux portent sur la relation théorique entre révolution et contre-révolution, en particulier sur les soulèvements arabes. Il est également le cofondateur d’un mouvement et d’un journal étudiants laïcs au Liban. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @ibrahimhalawi

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le président du Parlement libanais Nabih Berri (à droite) avec le roi saoudien Salmane (à gauche) le 24 janvier 2015 au palais royal Diwan à Riyad (AFP/DALATI AND NOHRA).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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