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Le Yémen et ses perspectives de guerre et de paix

Lauréate du prix Nobel de la paix, Tawakkol Karman explique à MEE qu’un cessez-le-feu au Yémen exige le retour au pouvoir du président Hadi et de son gouvernement

Comme presque tout le reste au Yémen, la guerre semble également être soumise à des interprétations contradictoires. Ce qui est pourtant certain, c’est que le coup d’État sanglant contre le gouvernement légitime du Yémen, fomenté par les milices houthies et les forces du président déchu Ali Abdallah Saleh, a échoué.

Celui-ci s’est avéré immoral et impopulaire. Aujourd’hui, les milices perdent le territoire dont elles s’étaient emparées. Le coup d’État et les actions militarisées ont tué des milliers de personnes, dont des civils. Des villes ont été détruites et des politiciens et des militants ont été enlevés. Ils ont entraîné le Yémen dans une horrible bataille par procuration.

Pour les Yéménites, la guerre actuelle a commencé six mois avant l’intervention des « forces de la coalition arabe ». Pour être plus précis, elle a commencé en septembre 2014, au moment où les milices houthies et les forces de Saleh ont défilé dans la capitale Sanaa et ont occupé les institutions gouvernementales, une occupation rendue possible par le soutien de l’Iran.

De toute évidence, cette intervention a nui au gouvernement et sapé le processus de transition politique. Il faut rappeler que les Yéménites étaient prêts à voter une constitution comme prétexte à des élections libres et équitables.

Le complot visant à renverser l’État yéménite a commencé bien avant la crise actuelle.

Le 11 février 2011, des Yéménites de tous horizons – d’âges, de régions et d’orientations intellectuelles et politiques différents – ont marché main dans la main. Cela marquait le commencement d’une révolution pacifique considérée comme une première en son genre dans l’histoire moderne du Yémen. L’aspect pacifique était un miracle étant donné que, à cette époque-là, les Yéménites possédaient environ 70 millions d’armes. Le peuple a opté pour la lutte pacifique afin de susciter le changement souhaité.

La transition

Ce faisant, les Yéménites ont réalisé que la résistance non-violente était la meilleure méthode pour lutter contre l’autoritarisme et renverser la dictature, qui avait perdu sa légitimité dès le moment où elle avait commencé à tuer des manifestants pacifiques. Les gens exigeaient simplement du changement et l’exercice de leurs droits, appelant à une égalité d’accès et de citoyenneté. Ils voulaient un vrai chemin vers la démocratie.

Saleh a été contraint de démissionner et son vice-président, Abd Rabbo Mansour Hadi, a ainsi été élu président de la transition par consensus. Peu après, il a remporté un référendum réunissant six millions des suffrages. Dans ce contexte, un gouvernement de consensus a été formé comprenant tous les partis politiques. Cela a ouvert la voie pour le lancement de la Conférence de dialogue national (CDN).

Environ 565 délégués ont été nommés par les divers intervenants, dont les partis politiques, les organisations de la société civile, les femmes et les jeunes. Surtout, les milices houthies étaient bien représentées lors de la conférence, dépassant la représentation d’un parti politique plus important.

Les discussions de la CDN ont duré environ dix mois et, sur la base de ses conclusions, une nouvelle constitution yéménite a été rédigée. Cette constitution soulignait les importants principes d’égalité des citoyens, de l’État de droit et une transition vers un système fédéral – un système dans lequel tout le monde aurait également eu un accès partagé : le pouvoir et la richesse, mais pas sans responsabilité. Ceci a été réalisé au cours des deux premières années de la période de transition.

Les forces armées

Cependant, la restructuration des forces armées n’a pas été réalisée. L’ensemble de l’establishment militaire est resté sous le contrôle de Saleh. Au cours des trois décennies de son régime, il avait réussi à former une armée fidèle à lui-même et non au pays ni à son peuple. L’armée est principalement constituée de sa propre famille, de sa tribu, de sa région et de ses fidèles.

Le Yémen a de grandes provinces, notamment l’Hadramaout, mais seuls quelques officiers de l’armée en sont originaires, tandis que 25 % des forces armées, soit 90 000 hommes et 17 000 officiers, viennent d’une province du nord qui se trouve être le fief des partisans de Saleh. Voilà pourquoi les Yéménites l’appellent l’« armée familiale », celle du président déchu Ali Saleh.

Le processus de transition politique a été étroitement supervisé et contrôlé par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, le Conseil de coopération du Golfe et le secrétaire général des Nations unies par l’intermédiaire d’un envoyé spécial pour assurer le succès du dialogue. À cette époque, les milices houthies ont poursuivi leur insurrection contre le gouvernement et ses institutions tandis que Saleh et ses partisans ont continué à entraver le processus de restructuration de l’armée.

Promesses non tenues

Quelques semaines avant la date du nouveau référendum sur la Constitution, les milices houthies et leur allié Saleh ont renié leurs promesses et ont occupé Sanaa. Les Houthis, qui avait été une partie intégrante du dialogue politique et participé activement à la rédaction du premier projet de constitution, ont placé le président légitime en résidence surveillée et ont commencé à fermer et confisquer les licences des médias, fermer les bureaux de partis politiques, retirer les licences d’organisations de la société civile et fermer leurs bureaux. Des milliers de personnes ont été arrêtées.

En conséquence, le Conseil de sécurité des Nations unies a publié deux résolutions appelant les parties à rétracter toutes les mesures adoptées lors du coup d’État, à restituer toutes les armes au gouvernement de transition, à se retirer de toutes les villes prises après le coup d’État et à libérer tous les détenus.

Saleh et les Houthis ont refusé de s’y conformer et, au contraire, ont poursuivi leur insurrection armée.

Le président Hadi

Pendant ce temps, le président Hadi a réussi à échapper à son assignation à domicile à Sanaa. Il a fui vers Aden puis à Riyad après que les milices houthies ont attaqué sa résidence avec des roquettes. Une fois le président à Riyad, les Yéménites et le monde ont appris le lancement de l’intervention militaire de la coalition arabe au Yémen.

Toutefois, cette intervention n’était pas le seul événement important survenant au Yémen ; il y a eu d’autres événements, tout aussi importants. Après l’invasion houthie des villes yéménites, une résistance populaire généralisée a émergé, allant de Ma’rib à Jawf, Dhaleh, Ta’izz et Aden.

Un an après

Un an après, la souffrance des Yéménites est grande, en raison des pénuries de biens et services de première nécessité tels que la nourriture, les soins médicaux, l’électricité et l’eau, ainsi que d’autres besoins sociaux et éducatifs.

Le seul travail accessible est de commercer sur le marché noir ou de faire partie de la milice houthie.

Le leader houthi est persuadé que Dieu lui a donné le droit de gouverner le Yémen. De même, depuis que Saleh a perdu le pouvoir, il est déterminé à détruire le Yémen à travers ses gangs et réseaux.

Le Yémen est impatient de voir la fin de cette guerre, en particulier après avoir entendu parler d’un accord qui a été négocié pour arrêter les combats et reprendre les négociations au Koweït sur la base de l’application des résolutions du Conseil de sécurité. Ce sont des nouvelles réjouissantes et encourageantes.

L’avenir

Pour que la paix s’établisse, le Yémen doit créer les bases empêchant un retour de la guerre.

Les négociations de paix doivent reprendre en abandonnant toutes les mesures prises pour renverser le gouvernement et en adhérant aux principes adoptés par les Yéménites au cours de la CDN. Au cours de cette conférence, les Yéménites sont parvenus à conclure un accord clair et à affirmer explicitement que l’État est le seul organisme qui possède le droit exclusif de posséder des armes et d’exercer la souveraineté sur le territoire national.

Les citoyens devraient jouir de tous les droits substantiels, notamment le droit à la libre expression et le droit d’association et de création de partis politiques. La démocratie et les élections sont le seul moyen de transférer le pouvoir.

Ayant dit tout cela, je voudrais maintenant renouveler l’appel à un cessez-le-feu global au Yémen – à condition qu’il coïncide avec le retour au pouvoir à la fois du président et du gouvernement de transition.

Dans cette optique, je voudrais également demander la restitution à l’état de toutes les armes du gouvernement pillées par les milices et le retrait de toutes les villes occupées par les milices. Les milices houthies devraient se transformer en un parti politique et ne pas utiliser la violence pour atteindre des objectifs politiques.

Par la suite, nous pourrons organiser un référendum sur la Constitution. Pour créer des institutions nouvelles et fiables, la nouvelle Constitution peut nous fournir un cadre pour la tenue d’élections à plusieurs niveaux : locales, régionales, législatives et présidentielles.

Dans ce contexte, il est essentiel que l’ensemble de ces mesures coïncident avec la prise de mesures adéquates visant à parvenir à une justice transitionnelle, qui assure une véritable réconciliation nationale. Compenser les victimes de la guerre et de la violence contribuerait également à parvenir à la justice et à la réconciliation.

Enfin, je demande aux pays chapeautant la transition politique d’aider au processus de reconstruction des infrastructures du pays qui ont été ravagées par la guerre et de fournir un soutien économique nécessaire à la réussite du processus politique.

Il est important de continuer à soutenir le Yémen afin d’établir une paix durable et un système politique sain, lequel peut nous aider ou donner l’impulsion nécessaire pour la construction d’un Yémen démocratique assurant l’égalité pour tous.

- Tawakkol Karman est une journaliste yéménite, militante pour les droits de l’homme et femme politique qui est devenue le visage international de l’insurrection yéménite en 2011 dans le cadre du Printemps arabe. Elle est co-récipiendaire du prix Nobel de la Paix 2011.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des civils yéménites se mettent à l’abri lors d’une récente attaque aérienne (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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