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Les déboires du PSG, quel impact pour la diplomatie sportive du Qatar ?

La défaite du PSG en huitièmes de finale de la Coupe d’Europe, mardi 6 mars, ne sera pas sans conséquences. Car la réussite du club pèse lourdement dans l’image que le Qatar cherche à promouvoir

C’est une nouvelle désillusion pour tous les supporters parisiens. Après la cruelle « remontada » l’an dernier face au FC Barcelone, c’est un autre club espagnol qui vient doucher les espoirs d’une formation qui croyait à sa bonne étoile.

Après un été particulièrement démonstratif où le Paris Saint-Germain (PSG) a frappé fort en décrochant coup sur coup les arrivées des stars Neymar Junior et Kylian Mbappé, beaucoup pensaient que l’heure du club avait sonné.

Il ne faut pas faire semblant et le premier sentiment qui doit aujourd’hui animer l’esprit des dirigeants qataris est la colère. Sans vouloir le cacher, le président du club l’a lui-même affirmé en déclarant dès la fin du match : « Nous sommes très énervés ».

Nasser al-Khelaïfi, le président qatarien du PSG, lors des huitièmes de finale retour de la Coupe d’Europe, le 6 mars 2018 au Parc des Princes (AFP)

Pour Nasser al-Khelaïfi, président du PSG mais aussi président et directeur général du groupe qatarien beIN Media Group et président de Qatar Sports Investment, en plus de la cuisante élimination de la Ligue des champions, c’est aussi une lourde défaite personnelle.

Très engagé dans le projet sportif qu’il a contribué à construire depuis plus de sept ans, le quadragénaire est furieux car, au-delà des joueurs et de l’entraîneur, c’est désormais lui qui est dans la ligne de mire.

Après des centaines de millions d’euros dépensés depuis tant d’années, certains risquent en effet de lui jeter un doigt accusateur, voire même de réclamer son départ.

Avec un milliard d’euros injecté depuis sept ans, dont plus de 400 millions rien que cet été, le club a fait moins bien ces deux dernières années que lors des quatre saisons précédentes

Il faut dire que son bilan est effectivement loin des attentes : même si le club trône sur le football français de manière insolente depuis 2011 (hormis le dérapage en championnat l’an dernier, le PSG a quasiment tout raflé dans le circuit domestique), la feuille de route initiale lui fixant un succès en Ligue des champions dans les cinq ans est loin d’avoir été remplie.

Pire, avec un milliard d’euros injecté depuis sept ans, dont plus de 400 millions rien que cet été, le club a fait moins bien ces deux dernières années que lors des quatre saisons précédentes… De quoi faire grincer beaucoup de dents.

Des changements en urgence

Concernant la suite des choses, il est clair que de nombreux changements vont être opérés rapidement. Il y a d’abord le renouvellement d’entraîneur, qui s’impose comme une évidence.

Mais même si tout le monde s’accorde à dire que l’histoire de Unai Emery avec le PSG s’écrit au passé, la question centrale qui se pose est celle de savoir quel autre entraîneur sera disposé à le remplacer ?

Les dirigeants doivent en effet penser à un coach qui dispose d’une forte dimension sportive tant en termes d’expérience que sur le plan du charisme afin de gérer au mieux l’effectif. Le problème est qu’après l’avoir identifié, il faudra être en mesure de le convaincre de poser ses bagages à Paris.

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Avec cette fâcheuse réputation d’être une machine à défaite, le PSG est en effet en passe de devenir un club que les entraîneurs fuient, tellement son histoire est jonchée de mésaventures et désillusions.

L’autre péril que les dirigeants devront gérer avec la grande attention est le cas de Neymar. Si le jeune prodige semble serein, il n’est pas certain que son avenir continue à s’écrire sous les couleurs parisiennes. Jamais en effet depuis son installation sur le continent européen, la star n’avait été écartée si tôt de la Ligue des champions. Dans la tête du Brésilien, c’est aussi son rêve de remporter le Ballon d’or qui s’effondre, du moins pour cette année.

En effet, il faut toujours se rappeler que si Neymar a opté pour Paris l’été dernier, c’est d’abord et surtout pour disposer d’un club qui lui soit entièrement dévoué de sorte à décrocher la Ligue des champions, préalable indispensable pour décrocher le titre de meilleur joueur du monde.

La rancœur pouvait se lire dans la mine de l’émir du Qatar, Cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, qui s’est même éclipsé avant la fin de la rencontre

Pour cette année, cet objectif semble durablement compromis et si on ajoute à cette déconvenue les quelques couacs de son intégration (« Penaltygate », sifflets au Parc des Princes, mésentente avec certains joueurs etc.), on peut légitimement penser qu’un projet alternatif pourrait germer dans son esprit.

Dans cet éventuel scénario, un départ de la star en direction du Real Madrid pourrait arranger les plans des dirigeants madrilènes soucieux de remplacer à court terme Cristiano Ronaldo dont l’âge avancé (33 ans) fait de lui un joueur en fin de carrière.

Certes, on est loin aujourd’hui du divorce entre le PSG et sa star mais il est clair que de nombreuses cartes vont être rebattues prochainement.

Un carrefour du sport mondial

En plus de la frustration des supporters, la rancœur pouvait se lire dans la mine de l’émir du Qatar, Cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, qui, présent au Parc hier soir, s’est même éclipsé avant la fin de la rencontre, juste après l’exclusion de Marco Verratti.

Cette attitude s’explique par le fait que le chef d’État a placé beaucoup d’espoir dans le PSG, particulièrement depuis cet été. Dans son esprit, le club ne répond pas qu’à un impératif sportif. Il doit aussi représenter à la face du monde la vitrine réussie de sa diplomatie d'engagement qu’il a contribué à mettre en place depuis une vingtaine d’années.

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Pour les dirigeants qataris en effet, l’enjeu est de se placer sur la carte du monde comme un carrefour du sport mondial et un hub du divertissement dans un double objectif.

D’abord, cette situation géopolitique draine une réputation positive, à l’heure où l’enjeu des perceptions joue un rôle majeur dans la régulation des rapports de force entre États.

De même, cette dimension du soft power doit permettre au pays de dégager une image de fraîcheur qui devienne un tremplin de promotion du tourisme, lui-même considéré comme un levier de croissance d’une économie du futur en partie débarrassée de la dépendance aux hydrocarbures.

Le succès du PSG sonne comme la réussite du pays, mais cette dynamique doit s’accompagner d’un récit sportif jalonné de victoires épiques et de célébrations mémorables

Dans cet esprit, le succès du PSG sonne comme la réussite du pays, mais cette dynamique doit s’accompagner d’un récit sportif jalonné de victoires épiques et de célébrations mémorables.

Le problème d’aujourd’hui est que le projet du PSG est en panne et que c’est l’ensemble de l’édifice sportif qui est en train de battre de l’aile. Pour y remédier, les dirigeants semblent ne pas avoir d'autre choix que de patienter encore une année en confirmant Nasser al-Khelaïfi à son poste. Avec l'espoir de voir une dynamique de victoires s'enclencher jusqu'à l'étape finale pour enfin hisser à la face du monde la fameuse coupe aux grandes oreilles. 

- Nabil Ennasri est docteur en science politique, spécialiste de la région du Golfe, et directeur de L'Observatoire du Qatar. Il est aussi l'auteur de L'énigme du Qatar (Armand Colin). Vous pouvez le suivre sur Twitter : @NabilEnnasri

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : L'émir du Qatar, Cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, assiste à un entraînement de football avant une rencontre entre le PSG et le Milan AC, en janvier 2012 (AFP).

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