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Les États du Golfe en font-ils assez pour les réfugiés syriens ?

Selon le ministre des Affaires étrangères du Qatar, au regard de sa taille et de sa population, le pays en fait beaucoup plus que des pays comme la Grande-Bretagne et la France

Au milieu des querelles européennes pour savoir qui devrait accueillir plus de réfugiés dans la crise actuelle, la question de savoir ce que font certains des pays les plus riches du monde arabe pour assumer leur part de responsabilité est sans cesse évoquée.

Les organisations des droits de l’homme ont accusé les États du Golfe en particulier de rester les bras croisés alors que l’Europe se débat face à l’un des plus importants afflux de migrants et de réfugiés de son histoire. En effet, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 350 000 personnes ont traversé l’Europe rien que pour la période allant de janvier à août 2015.

Dans un rapport publié l’an dernier, Sherif Elsayed-Ali, responsable du programme Droits des réfugiés et des migrants d’Amnesty International, a qualifié la réponse des États du Golfe de « particulièrement honteuse », soulignant que « les liens linguistiques et religieux devraient placer les États du Golfe au premier rang des pays offrant un asile aux réfugiés fuyant la persécution et les crimes de guerre en Syrie ». Pendant ce temps, Kenneth Roth, directeur exécutif de Human Rights Watch, a également fustigé les pays du Golfe pour n’avoir offert « aucune place de réinstallation aux réfugiés syriens ». Des images satiriques sur l’inaction apparente des États du Golfe ont également défrayé la chronique.

Le hashtag en arabe « Accueillir des réfugiés syriens est un devoir pour les pays du Golfe » était récemment très populaire sur Twitter. Des dizaines de milliers d’internautes l’ont utilisé pour demander pourquoi le Golfe ne faisait pas plus pour assouplir les restrictions de visa pour les réfugiés syriens, tandis que le journal saoudien Makkah Newspaper publiait un dessin représentant un homme en costume traditionnel du Golfe qui passe la tête par une porte protégée par des barbelés et désigne une porte ornée du drapeau de l’UE, en disant : « Pourquoi ne les laissez-vous pas entrer, espèces de malpolis ?! »

Alors que l’Allemagne reste la référence absolue en matière de réponse européenne du fait de son engagement à accueillir 800 000 demandeurs d’asile, la France s’est engagée à en accueillir seulement 24 000 et le Royaume-Uni 20 000 sur cinq ans, tandis que la Hongrie a construit une clôture de barbelés controversée de 175 km le long de sa frontière avec la Serbie pour les empêcher de pénétrer dans le pays.

Pleins feux sur les pays du Golfe

À la lumière des tensions actuelles au sein de l’Europe, beaucoup ont commencé à pointer du doigt le Golfe : sa richesse, sa proximité géographique relative, ainsi que ses affinités linguistiques et religieuses avec certains pays d’origine des réfugiés semblent faire des pays du Golfe d’excellents candidats à l’accueil d’un grand nombre de réfugiés.

En effet, bien que les réfugiés viennent de divers pays, 50 % de l’ensemble des réfugiés sont originaires de Syrie (38 %) et d’Afghanistan (12 %). D’autres soulignent que ces États comptent parmi les principaux acteurs du conflit syrien et que leur flux d’aide financière et d’armes fourni aux rebelles combattant le président syrien Bachar al-Assad implique une responsabilité particulière envers les réfugiés issus du conflit.

La grande majorité des réfugiés en provenance de Syrie, plus spécifiquement, sont passés dans les pays limitrophes que sont le Liban, la Jordanie et la Turquie, mais ces États ont du mal à gérer l’afflux – dans certains cas, de millions de réfugiés – tandis que les nations européennes ont également fait valoir qu’elles ne peuvent pas faire face au grand nombre de personnes devant être réinstallées.

Dans une récente interview, le ministre des Affaires étrangères du Qatar S.E. Dr Khalid al-Attiyah a répondu aux allégations selon lesquelles le Qatar manque à sa responsabilité d’accueil des réfugiés : « Que les choses soient claires, a-t-il affirmé, l’État du Qatar n’a en aucun cas failli à ses responsabilités en ce qui concerne la crise syrienne ». Il a cité diverses initiatives – humanitaires, économiques, diplomatiques et d’autres encore – prises en charge ou directement lancées par le Qatar, tout en soulignant la nécessité d’une solution en définitive politique à la crise.

L’argent ne suffit pas – les Syriens ont besoin d’un refuge

Selon le Qatar, sa contribution officielle s’élève à elle seule à plus d’1,4 milliard d’euros en soutien aux réfugiés. En effet, les pays du Golfe sont reconnus comme les principaux donateurs des Nations unies. Le soutien aux réfugiés syriens en termes d’éducation, de secours médicaux et de logement n’a pas fait défaut, mais leurs détracteurs affirment que ce qu’il faut aux réfugiés c’est un endroit sûr pour vivre et s’installer, pas seulement une aide ou des visas de travail temporaires.

En réponse, le Qatar en particulier a souligné la nécessité de résoudre la crise sous-jacente en Syrie et l’importance de ne pas priver la Syrie des personnes nécessaires à sa reconstruction, à savoir une classe moyenne éduquée. Pour ce riche État arabe, la solution à la crise actuelle doit se concentrer sur ses causes sous-jacentes et non sur la redistribution des populations, qu’il considère finalement comme essentielles pour les éventuels efforts de reconstruction nationale après le conflit.

Un aspect du défi à relever par les États du Golfe et qui est souvent souligné par leurs responsables est leur environnement naturel. « Le Qatar a une petite population et pas beaucoup de terres », a vivement répondu le ministre des Affaires étrangères aux accusations selon lesquelles l’État ne répondait pas à ses obligations humanitaires. En effet, le pays importe environ 93 % de sa nourriture, moins de 15 % de ses terres étant arables et le dessalement étant nécessaire pour pratiquement toute sa consommation d’eau.

Pour beaucoup, ces politiques ne sont pas seulement intenables au regard de la situation démographique du pays, mais aussi préoccupantes sur le plan écologique. En outre, étant données les implications géopolitiques de son emplacement dans une région politiquement instable, ses dirigeants sont aussi sans doute préoccupés par l’effet déstabilisateur d’une population étrangère jeune, sans emploi et potentiellement agitée dans le pays.

« Nous sommes un petit pays »

Dans une interview exclusive, le Dr al-Attiyah a souligné les défis uniques auxquels fait face la petite nation qui se développe rapidement – et qui, bien que parmi les plus riches au monde, est également confrontée à d’importants défis logistiques liés à sa situation géographique et démographique. La population indigène du Qatar compte moins de 250 000 personnes pour une population totale estimée à 2,3 millions de personnes : « Les travailleurs étrangers sont déjà plus nombreux que les Qataris, selon un ratio d’environ six pour un, et un afflux massif de réfugiés engloutirait notre population indigène », a-t-il déclaré dans une entrevue avant l’Assemblée générale de l’ONU à New York. Si l’on compare ce chiffre au nombre de migrants qui sont arrivés jusqu’à présent cette année en Europe (soit 200 000 personnes), ce qui constitue seulement 0,027 % de sa population totale estimée à 740 millions d’habitants, le défi qu’affrontent ces petits États devient évident.

Malgré cela, le Dr al-Attiyah a ajouté que le Qatar a, contrairement aux rapports, ouvert ses portes aux réfugiés syriens. « Plus de 54 000 Syriens vivent au Qatar [...] Il y a plus de 2 millions de personnes vivant au Qatar, les 54 000 Syriens représentent donc une part importante de la population de notre pays. » Pendant ce temps, le voisin du Qatar, les Émirats arabes unis, ont annoncé avoir accueilli 100 000 Syriens avec des visas de travail, tandis que l’Arabie saoudite affirme que 2,5 millions de Syriens disposent de visas de travail dans le royaume.

Dans un récent éditorial, Hossam Shaker a appelé les nations du Golfe à changer leur politique actuelle de refus d’accueillir des réfugiés et a remis en cause l’assertion de certains États du Golfe selon laquelle ils sont incapables d’accueillir un plus grand nombre de personnes. Les pays du Golfe permettent actuellement aux Syriens de venir après avoir obtenu des visas de travail, mais ne reconnaissent pas la notion juridique de réfugiés, car ils ne sont pas signataires de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, un fait historique lié à la question des réfugiés palestiniens.

Le Qatar affirme avoir en fait réinstallé plus de 25 000 Syriens depuis le début des combats, ce qui représente un peu plus que la France, un pays de 46 fois sa taille, et plus que le Royaume-Uni, également beaucoup plus grand. Cependant, ce nombre de 25 000 paraît petit au regard du Liban, pays comparativement plus petit, qui a accueilli plus d’1,1 million de réfugiés syriens, malgré des ressources économiques beaucoup moins abondantes. Qui plus est, pour ses détracteurs, les visas de travail, qui n’offrent qu’un répit temporaire et qui peuvent être facilement annulés, sont une offre d’aide pitoyable.

D’autres ont suggéré que le nombre relativement faible de réfugiés réinstallés par les États du Golfe relevait moins de préoccupations nationales par rapport au logement des nouveaux arrivants que d’une politique de « nationalisation » en Arabie saoudite et au Koweït, en particulier, où les gouvernements ont, ces dernières années, cherché à donner la priorité à l’emploi des autochtones et où la préservation de la culture locale est depuis longtemps un sujet de préoccupation.

Quelle que soit la motivation des pays du Golfe à continuer de refuser le statut de réfugié aux personnes fuyant les persécutions en Syrie et ailleurs, la réalité reste dure pour les Syriens ayant besoin d’un réconfort temporaire en attendant un dénouement au conflit. Et pour les Syriens qui ont vécu côte à côte avec les camps « temporaires » de réfugiés palestiniens – dont certains datent de 1948 – la perspective de générations de ressortissants syriens condamnés à résider dans des espaces transitoires laisse entrevoir un avenir sombre.
 

- Myriam François-Cerrah, journaliste franco-britannique, animatrice de radio et télévision, écrit des articles sur l'actualité, en France et au Moyen-Orient.

Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : une femme porte son bébé près du district d’Ayvacık dans la province de Çanakkale (Turquie), après avoir été surprise en train d’embarquer dans un bateau pour Lesbos, le 25 septembre 2015 (AA).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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