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Les fondements étatiques de la persécution des ahmadis au Pakistan

Entre arrestations arbitraires et discriminations quotidiennes, la communauté ahmadie du Pakistan fait face à une persécution soutenue par l’État

La question des ahmadis du Pakistan a été ravivée par une actualité récente, oubliée par la grande majorité des médias internationaux, impliquant un conflit entre liberté de religion et contrôle étatique de la religiosité.

Le 5 décembre dernier, des membres du Counter Terrorism Department (« Département anti-terroriste ») du Pakistan ont donné l’assaut à Rabwah, dans le centre historique de la communauté musulmane ahmadie. Plusieurs personnes ont été arrêtées, sans mandat de perquisition ou mandat d’arrêt, du matériel informatique a été saisi, tout cela en contrariété totale avec le droit pakistanais.

Le 12 décembre dernier, plus de 1 000 personnes se sont réunies autour d’une mosquée appartenant aux ahmadis à Chackwal puis l’ont brûlée et y ont jeté des pierres, alors même que la communauté ahmadie avait attiré l’attention des autorités locales sur la nécessité d’obtenir une protection contre certaines rixes dangereuses.  

Ce ne sont que les derniers incidents d’une série d’attaques quotidiennes au Pakistan. Par exemple, certaines devantures de boutiques affichent ouvertement que les ahmadis ne sont pas les bienvenus dans le magasin. En outre, la déclaration devant être remplie afin de déclarer que l’on est musulman pour obtenir son passeport, qui porte la mention de la religion, suppose que l’on insulte le fondateur du mouvement islamique ahmadiyya.

Mais pourquoi tout cet acharnement contre cette minorité religieuse du Pakistan ?

Pakistan et religion d’État

Depuis sa création, le Pakistan contrôle de plus en plus étroitement les religions : et pourtant, ce n’était pas sa vocation première, laquelle se voulait foncièrement laïque.

Certaines devantures de boutiques affichent ouvertement que les ahmadis ne sont pas les bienvenus dans le magasin

Lors de l’Assemblée Constituante qui s’est tenue le 11 août 1947, chargée de réfléchir à un projet de Constitution, qui interviendra que neuf années plus tard, soit en 1956, Muhammad Ali Jinnah, alors président de l’Assemblée nationale du Pakistan déclarait haut et fort que chacun était libre de se rendre dans sa mosquée ou son église ; que les pouvoirs publics ne pouvaient pas forcer les citoyens à être d’une obédience religieuse particulière.

Or, ce Pakistan souhaité par Jinnah — qui est décédé peu après la création du pays — ne restera qu’un leurre. Au Pakistan, qui signifie en Ourdou « Pays des purs », c’est l’aspect religieux qui devient finalement principal : les autorités marquent leur volonté omniprésente de faire naître au sein du peuple pakistanais le souhait d’appartenir au pays non seulement sur le plan national, mais aussi sur le plan religieux, en étant musulman. C’est au nom de la religion musulmane que ce pays s’est fondé et a fait scission avec l’Inde en 1947, et c’est la raison pour laquelle cette quête d’identité le pousse à toujours plus de conflits entre religiosité et laïcité.

Cette religiosité d’État a des effets sur la minorité ahmadie, qui s’est retrouvée ainsi réprimée par l’État, dans le cadre de ce qui s’apparente à un véritable apartheid social et juridique.

Différences interprétatives des ahmadis et apartheid social

Les ahmadis sont membres d’une minorité qu’ils considèrent comme appartenant à l’islam. Ils prient cinq fois par jour, pratiquent l’aumône, font le pèlerinage à la Mecque et prononcent la même profession de foi (« Shahada ») que les musulmans. Seulement, leur islamité est contestée sur un point fondamental : selon eux, Mirza Ghulam Ahmad de Qadian est un Prophète de Dieu et est la figure messianique attendue dans le monde musulman, et non Jésus de Nazareth au sens physique.

Les membres de la communauté musulmane ahmadie prient dans le Hampshire au Royaume-Uni (AFP)

Les ahmadis reconnaissent le Prophète Mohammed comme le dernier des Prophètes ayant amené une loi. Toutefois, selon leur interprétation d’un verset du Coran, d’autres prophètes, totalement subordonnés à la loi coranique, peuvent intervenir par la suite.

Cette différence de croyance suscite les foudres de plusieurs mouvements nés en Inde, dans l’État de l’Uttar Pradesh, dont notamment celles de la Majlis-e-Ahrar-e-Islam (parti politique radical conservateur sunnite deobandi) — qui possède diverses ramifications — qui estime que les ahmadis sont non seulement des non-musulmans, mais qu’ils représentent des « égarés » qu’il convient de considérer comme « éligibles à la mort » (Wajibul Qatl’). Ce groupe, qui a été jusqu’à rejeter un temps la création même de l’État pakistanais, s’est fait excuser par Jinnah, et a désormais pignon sur rue au Pakistan sous différents noms (Tahafuz-e-Khatm-e-Nabuwwat, Ahl-e-Hadith etc.)

Le second amendement ou l’apartheid juridique des ahmadis

Outre cette discrimination sur le plan social, l’adoption du second amendement de 1974, qui déclare les ahmadis comme étant des « non-musulmans », contribue sur le plan juridique à la discrimination de la minorité religieuse.

Au Pakistan, les religieux fondamentalistes se sont inscrits peu à peu comme les fondateurs les plus actifs de l’identité pakistanaise

Pourquoi et dans quelles circonstances a-t-il été accepté ?

Au Pakistan, les religieux fondamentalistes se sont inscrits peu à peu comme les fondateurs les plus actifs de l’identité pakistanaise.

Cela s’est constaté lorsqu’en 1973, Zulfiqar Ali Bhutto, ancien Président de la République du Pakistan, a souhaité imposer son modèle du socialisme islamique. En effet, pour réviser la Constitution de l’époque, il devait obtenir l’accord de la majorité des trois quarts du Parlement. Pour obtenir cette majorité, Bhutto a dû discuter avec les religieux fondamentalistes, ayant des idées orthodoxes sur la vision de l’islam, alors représentés au Parlement, et notamment avec Abul Ala Maududi, théologien pakistanais fondamentaliste et fondateur du parti Jamaat el-Islami.

Afin d’obtenir l’assentiment de ces religieux et de Maududi, qui considérait le socialisme comme un modèle contraire à l’islam, il devait concéder un certain nombre de velléités de ces derniers, et notamment le fait de déclarer les ahmadis comme étant des non-musulmans.

Bhutto, qui avait structuré une Constitution comprenant pourtant la liberté de religion (article 20), a dû toutefois faire adopter ce second amendement, déclarant légalement les ahmadis comme étant des « non-musulmans ».

Renforcement juridique de la discrimination envers les ahmadis

Si les ahmadis se sont retrouvés discriminés juridiquement, ils ont toutefois continué à suivre des rituels musulmans tels que la prière, le ramadan bien que le pèlerinage à la Mecque leur a été interdit de fait dans le cadre du second amendement à la Constitution.

L’Ordonnance XX précise que les ahmadis n’ont plus le droit de prononcer le salut islamique, la profession de foi islamique, n’ont plus le droit d’appeler une mosquée « mosquée »

Zia ul Haq, instigateur du coup d’État qui a renversé Bhutto puis président de la République du Pakistan, a décidé de faire adopter une ordonnance du gouvernement, l’Ordonnance XX, laquelle s’inscrit dans sa politique d’islamisation du Pakistan avec l’Ordonnance sur le Hudood — un terme qui renvoie aux systèmes de punitions islamiques.

L’Ordonnance XX précise que les ahmadis n’ont plus le droit de prononcer le salut islamique, la profession de foi islamique, n’ont également plus le droit d’appeler une mosquée « mosquée » et, plus généralement, de faire quoi que ce soit qui pourrait s’analyser en une « posture islamique ».

Servant de base à une discrimination fondée sur l’identité religieuse, cette ordonnance contribue très largement et directement à la persécution des ahmadis. En effet, son application jurisprudentielle est plutôt tendancieuse, et donne carte blanche aux autorités étatiques de mener toutes formes de discriminations contre les ahmadis. De nombreuses plaintes fictives sont par exemple enregistrées par les services de police pakistanais sur la base de cette ordonnance.

Aujourd’hui, cette discrimination juridique s’est constatée à travers les événements d’actualité en date du 5 et du 12 décembre — rendus permissibles par l’Ordonnance XX — ainsi que les autres événements mentionnés au début de cet article.

Mais alors qu’espérer d’un pays qui a trahi la mémoire de son fondateur qui aspirait à un Pakistan ouvert et tolérant ? N’est-il pas temps que l’origine de tous les maux, le second amendement à la Constitution, soit abrogé afin de laisser place à un principe universel, cher à tous, qui est celui de la liberté de religion ? Affaire à suivre.

- Asif Arif est avocat au Barreau de Paris, enseignant et auteur d’un ouvrage sur les ahmadis du Pakistan. Son  dernier ouvrage s'intitule France – Belgique, la Diagonale terroriste. Marc Trévidic en a écrit la préface.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : une foule met le feu à du mobilier appartenant à un un membre de la minorité musulmane ahmadie à Gujranwala au Pakistan, le 27 juillet 2014 (AFP).

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