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Les Palestiniens devraient-ils demander justice devant la Cour pénale internationale ?

Avec l’expansion des colonies et la lune de miel entre Trump et Netanyahou, il semble clair que l’AP devrait aller à La Haye – mais n’y comptez pas

Il ne fait aucun doute que la lune de miel entre Netanyahou et Trump a encore affaibli les espoirs palestiniens déjà ténus d’une paix durable basée sur un compromis politique.

Le plus gros coup a été l’abandon désinvolte de la solution à deux États par le président Trump, couplé à l’approbation d’une solution à un État, à condition que les parties acceptent une telle solution – un résultat presque impossible à imaginer.

Il semblerait aisé pour l’Autorité palestinienne de sensibiliser le public sur la situation palestinienne en demandant fermement justice devant la Cour pénale internationale (CPI)

Avec la bravade géopolitique qui convient au magnat de l’immobilier qu’il est toujours, en dépit des manœuvres présidentielles, Trump a aussi vaguement promis de négocier un accord important pour la région qui, évidemment, dépasse le territoire contesté de la Palestine, longtemps enfermée dans le conflit, et englobe les pays voisins voire l’ensemble de la région.

On peut aisément supposer que de tels sous-entendus de la part de Trump n’ont pas bien été accueillis en Jordanie ou en Égypte, des lieux présumés où échoueront les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza pour s’assurer qu’Israël maintienne une majorité juive confortable si la solution à un seul État devait s’appliquer.

Ce qui enflamme en partie ce nouveau contexte est l’expansion accélérée du réseau existant de colonies israéliennes illégales situées en Palestine occupée. Bien que presque unanimement condamné dans une résolution prise par le Conseil de sécurité en décembre, Israël a annoncé l’approbation de milliers de logements de colons supplémentaires, a approuvé les plans d’une toute nouvelle colonie et, par une initiative de la Knesset, a légalisé non sans provocation les avant-postes, dont une cinquantaine sont disséminés en Cisjordanie en violation directe de l’ancienne loi israélienne.

À LIRE : Trump lance un défi à l’Autorité palestinienne

Il est possible que la Cour suprême israélienne tienne compte des défis judiciaires prévus par cette dernière initiative et finisse par annuler cette loi de la Knesset, mais même si cela se produit, l’adoption d’une telle loi envoie le message clair d’une solide détermination des forces politiques dirigeant la politique israélienne de ne jamais permettre l’établissement d’un État palestinien viable.

Sensibiliser

Dans ces circonstances, il incombe à l’Autorité palestinienne de montrer au monde qu’elle est encore là, et elle a peu de moyens de le faire. De ce point de vue, il semblerait aisé pour l’Autorité palestinienne de sensibiliser le public sur la situation palestinienne en demandant fermement justice devant la Cour pénale internationale (CPI).

Un dénouement favorable à la CPI serait d’une grande valeur pour les Palestiniens. Cela placerait Israël dans une position défavorable par rapport à l’ONU, au droit international et à l’opinion publique mondiale

Après tout, il existe un large consensus sur la scène internationale : toutes les colonies, et pas seulement les avant-postes, violent l’article 49 (6) de la quatrième Convention de Genève. Ces colonies constituent depuis des décennies un obstacle majeur à la recherche d’une solution diplomatique satisfaisante au conflit.

Bien entendu, il serait naïf de s’attendre à ce qu’Israël se conforme à un jugement défavorable de la CPI ou participe à une telle procédure autrement qu’en contestant la compétence du tribunal.

Cependant, un dénouement favorable serait d’une grande valeur pour les Palestiniens. Cela placerait Israël dans une position défavorable par rapport à l’ONU, au droit international et à l’opinion publique mondiale et, sans aucun doute, favoriserait la croissance du mouvement de solidarité mondiale.

Pourtant, malgré ces circonstances qui font de la CPI une option si attrayante, la décision par l’Autorité palestinienne de s’engager dans cette voie est loin d’être évidente. La semaine dernière, l’ancien ministre des Affaires étrangères de l’Autorité palestinienne et membre du comité central du Fatah, Nasser al-Kidwa, a effectivement rejeté l’option de la CPI, indiquant à Middle East Eye qu’elle était « compliquée », sans autre explication.

Des signaux mitigés émanent des milieux dirigeants palestiniens. Le secrétaire général de l’OLP, Saeb Erekat, n’a pas, contrairement à Kidwa, mâché ses mots en insistant pour que la CPI enquête sur « ce régime colonial ».

Il semble utile de spéculer sur la raison de cette ambivalence parmi les dirigeants palestiniens. Après tout, le droit international et l’opinion publique semblent résolument du côté des Palestiniens. Et Israël, dans une attitude de défi, montre tous les signes d’une nouvelle expansion.

Au cœur de ce débat réside la question délicate de savoir si la soumission aux aléas de la géopolitique sert les intérêts palestiniens en ce moment.

Peser les avantages et les inconvénients

Les arguments en faveur du recours à la CPI sont plutôt évidents. Celui-ci mettrait Israël au pied du mur. Il est certain que le gouvernement de Netanyahou réagirait avec colère et hostilité à une telle initiative de l’AP. Une telle réaction serait largement considérée comme une confirmation solide de la vulnérabilité d’Israël à tout test impartial visant à déterminer si ses politiques de colonisation répondent aux exigences minimales du droit international.

Le recours à la CPI aiderait à restaurer l’adhésion aux déclarations chancelantes de l’Autorité palestinienne selon lesquelles elle constitue le seul représentant légitime du peuple palestinien

Et surtout, pour l’AP, cela démontrerait qu’en dépit des récentes déceptions politiques, la direction de Ramallah serait prête à poursuivre une action controversée qui ferait preuve de courage politique, et notamment de la volonté de supporter les actes de représailles attendus.

Le recours à la CPI rencontrera un accueil favorable auprès du peuple palestinien, en particulier ceux qui vivent sous occupation. Ils vivent des tensions quotidiennes à cause notamment des groupes de colons violents et ne voient aucun avenir pour eux-mêmes en l’absence de confrontation avec Israël. Si l’Autorité palestinienne choisit une telle voie, cela aiderait à restaurer l’adhésion aux allégations de cette dernière selon lesquelles elle constitue le seul représentant légitime du peuple palestinien.

Les arguments contre le fait d’aller à la CPI sont un peu plus compliqués. Il ne fait aucun doute que la Palestine, reconnue par l’ONU comme un État, jouit maintenant des qualifications juridictionnelles nécessaires pour prendre part aux procédures de la CPI. Ce qui est moins clair est de savoir si la CPI y serait réceptive.

Au cours de ses quinze années d’activité, la CPI s’est montrée très réticente à agir de manière proactive, sauf en Afrique, et même là, elle a été piquée par une vive résistance des gouvernements africains et de l’Union africaine. La CPI a été réticente à susciter une opposition politique en Occident, ce qui se produira certainement si elle lance une enquête complète sur les griefs pénaux palestiniens contre Israël.

Ruines d’un bâtiment palestinien démoli par les autorités israéliennes à Jérusalem-Est (AA)

Il existe aussi le problème inverse : l’action de la CPI pourrait décevoir l’Autorité palestinienne. Pour paraître équitable, la CPI pourrait étendre son enquête pour y inclure des allégations relatives à des tirs de roquettes aveugles depuis Gaza. Elle pourrait alors décider qu’il existe un dossier solide de probable responsabilité pénale imputable au Hamas, et qu’en revanche les allégations contre Israël ne tiennent pas en raison de l’incapacité à établir une intention criminelle.

La CPI a été réticente à susciter une opposition politique en Occident, ce qui se produira certainement si elle lance une enquête complète sur les griefs pénaux palestiniens contre Israël

Il s’agirait certes d’un revers pour l’Autorité palestinienne, mais un tel résultat à la CPI serait toutefois critiqué à l’international comme étant contraire aux interprétations raisonnables du droit international et serait largement considéré comme un reflet des pressions politiques exercées par Washington.

Il est probable que l’Autorité palestinienne soit particulièrement entravée par la campagne de « guerre juridique » menée par Israël et les États-Unis à son encontre. Déjà sous la présidence d’Obama, une loi avait été passée au Congrès mettant fin à l’aide financière accordée à l’AP en cas de recours à la CPI.

Depuis Trump, ces avertissements se sont multipliés, notamment la suspension totale de l’aide financière, la fermeture des bureaux de l’OLP à Washington et les menaces de remettre l’OLP et le Fatah sur la liste américaine des organisations terroristes. Il est évident que l’Autorité palestinienne prend au sérieux ces menaces déplacées.

Par ailleurs, l’Autorité palestinienne craint que toute initiative à la CPI incite Israël à un blocage définitif concernant le conflit sous-jacent, annexant la plus grande partie ou la totalité de la Cisjordanie. Une telle réaction serait conforme à la tendance d’Israël à répondre de manière disproportionnée à toute action formelle ciblant la légalité de ses politiques et de ses pratiques. Israël est particulièrement sensible aux accusations de crimes de guerre.

Maintenant que Netanyahou peut compter sur un soutien inconditionnel de la Maison-Blanche et du Congrès américain, il ne serait pas surprenant de le voir saisir l’occasion d’une initiative à la CPI pour proclamer la souveraineté israélienne sur toute la Palestine historique.

Paralysie de l’Autorité palestinienne

Compte tenu de ce contexte, il semble presque certain que l’Autorité palestinienne ne saisira pas l’option de la CPI. Elle est susceptible d’adopter une posture ni/ni, qui n’exclut pas explicitement le recours à la CPI, ni l’activation de cette option.

L’Autorité palestinienne est susceptible d’adopter une posture ni/ni, qui n’exclut pas explicitement le recours à la CPI, ni l’activation de cette option

Cela reflète la réalité d’une Autorité palestinienne prise entre le marteau des tactiques d’intimidation américaines et israéliennes et l’enclume d’une population palestinienne de plus en plus rétive, et à laquelle la sombre réalisation que 2017 marque le 50e anniversaire de l’occupation israélienne rappelle vivement son épreuve.

La posture américaine, bien qu’un peu plus agressivement pro-Israël avec Trump, n’a rien de nouveau. Même l’administration Obama s’était opposée à toute tentative de l’Autorité palestinienne de s’appuyer sur le droit international pour faire avancer sa lutte nationale.

Au lieu de se féliciter de l’utilisation du droit plutôt que des armes, le gouvernement américain avait fustigé les efforts de la Palestine pour devenir membre du système des Nations unies ou obtenir réparation auprès des instances internationales. Ce revirement contre le droit international, et contre l’ONU, est clairement un cheval de bataille pour la présidence Trump, et pas seulement en ce qui concerne la Palestine. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour le monde.

 

- Richard Falk est un spécialiste en droit international et relations internationales qui a enseigné à l’université de Princeton pendant 40 ans. En 2008, il a également été nommé par l’ONU pour un mandat de six ans en tant que Rapporteur spécial sur les droits de l’homme dans les territoires palestiniens.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le bâtiment de la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye, Pays-Bas (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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