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Les Saoudiens peuvent-ils faire réélire Trump ?

Davantage de questions devraient être posées – en particulier par les démocrates – sur la manière dont les investissements saoudiens dans les infrastructures américaines peuvent influencer l’administration Trump

À 2 h 55 du matin, lors d’une froide nuit de novembre à New York, Donald Trump est devenu le président de la plus grande économie de la planète. Il a prononcé un discours à l’hôtel Hilton de Manhattan, devant lequel se trouvaient des manifestants.

Trump a immédiatement promis de reconstruire l’Amérique – pas seulement avec son infame mur anti-mexicain, mais avec des autoroutes, des aéroports, des ponts et des tunnels. « Nous allons reconstruire nos infrastructures », a-t-il promis. « Et nous allons faire travailler des millions de personnes en la reconstruisant. »

La question sur les lèvres de tout républicain, et de l’inquiet responsable du Trésor, était de savoir comment diantre leur nouveau président allait payer tout cela.

Et s’il ne peut pas, comment les millions d’électeurs de Trump, à qui avaient été promis des emplois, réagiront aux prochaines élections ?

La réponse, ou du moins une bonne partie, est survenue il y a environ dix semaines. Les États-Unis allaient se reconstruire – et l’Arabie saoudite allait payer pour cela.

Construire des ponts

En mai, Blackstone, le fonds de Wall Street dirigé par le magnat privé et proche allié de Trump Stephen A. Schwarzman, a confirmé qu’il avait levé 20 milliards de dollars auprès du Fonds d’investissement public, un fonds souverain saoudien, à investir dans le plan d’infrastructure de Trump, montant doublé par d’autres investisseurs encouragés par la participation des Saoudiens.

En utilisant cette caisse de 40 milliards de dollars, Blackstone affirme que, avec les Saoudiens, il peut investir environ 100 milliards de dollars dans les autoroutes, les aéroports, les ponts et les tunnels. Compte tenu de l’intérêt particulier de Schwarzman pour la politique et le président, il n’est pas déraisonnable de présumer que cet argent sera ciblé sur les swing states de la Rust Belt, ces États dont Trump aura besoin pour rester à la Maison-Blanche.

Schwarzman (au centre) et Chris Liddell (à droite), directeur des initiatives stratégiques de la Maison-Blanche, rient avant une réunion avec Trump à Washington en avril 2017 (AFP)

Schwarzman et Trump sont des businessmen de la vieille garde de New York, des amis et maintenant des alliés politiques.

Bien que Trump lui-même n’ait pas pu se rendre à la somptueuse fête donnée pour les 70 ans de Schwarzman en février, le président a envoyé sa fille, Ivanka, et son mari, Jared Kushner, ainsi que plusieurs membres éminents du gouvernement.

La fête était somptueuse même selon les normes des milliardaires new-yorkais – Gwen Stefani a chanté joyeux anniversaire, avant que les invités ne dégustent un gigantesque gâteau d’anniversaire en forme de temple chinois.

Le fait que beaucoup de membres du clan Trump étaient présents était en soi parlant. Trump lui-même avait assisté aux 60 ans de Schwarzman, il y a dix ans.

Donateur républicain de longue date, Schwarzman a soutenu Trump haut et fort contre Ted Cruz pendant les primaires.

Ce n’est qu’après que les élites politiques et économiques américaines et leur entourage se sont envolés de l’aéroport international du roi Khaled à Ryad que la nature exacte de l’accord de Schwarzman est apparue

Schwarzman et Trump se voient encore beaucoup. Schwarzman préside actuellement le très puissant « Forum stratégique et politique du président », un réseau d’hommes d’affaires alliés au président et mis en place par Trump quelques semaines après son élection.

Schwarzman a également accompagné Trump lors de sa visite en Arabie saoudite au mois de juin, participant au Forum inaugural des PDG saoudiens et américains, où ont été signés de nouveaux contrats pour plusieurs milliards de dollars.

Ce n’est qu’après que les élites politiques et économiques américaines et leur entourage se sont envolés de l’aéroport international du roi Khaled à Ryad que la nature exacte de l’accord de Schwarzman est apparue.

À LIRE : Un prince ambitieux, des îles sableuses, un émirat rebelle et beaucoup de riz : un grand deal ?

Il y a eu un énorme battage médiatique au sujet de l’accord d’armement de « 110 milliards de dollars » qui, comme on pouvait s’y attendre, s’est révélée être du pipeau. « Il n’y a pas de transaction à 110 milliards de dollars. Au lieu de cela, il y a une flopée de lettres d’intérêt ou d’intention, mais aucun contrat », écrit Bruce Riedel, un chercheur de la Brookings Institution et directeur du Brookings Intelligence Project.

La promesse de faire don de 100 millions de dollars à un fonds « inspiré par Ivanka Trump » était typique de l’hypocrisie de Trump, un homme qui a dit à Hillary Clinton de « rendre tout l’argent venant de ces pays ! » Que les Saoudiens reconstruisent l’Amérique et que Trump paie pour cela en nature, de façon particulièrement brutale et déstabilisante, est passé largement inaperçu.

Méga-motivations ?

Quelques jours après avoir quitté Riyad, Trump soutenait publiquement l’embargo du CCG sur le Qatar – lequel s’est depuis transformé en siège total. Sa réaction au siège a été assez extraordinaire pour que le département d’État américain publie le contraire.

Qu’est-ce qui provoquerait un comportement aussi inhabituel de la part du président ? Était-ce l’argent de Blackstone qui parlait ?

Puis, Trump s’est tourné les pouces pendant le mini-coup d’État du vice-prince héritier, désormais prince héritier, Mohammed ben Salmane – qui se trouve être comme par hasard également président du Fonds d’investissement public.

Le méga-accord que Trump a établi dans le Golfe porte les caractéristiques de ses antécédents dans le développement immobilier. Il a brouillé les lignes entre les considérations familiales, politiques et commerciales – alors que les aspects géostratégiques, sans parler de l’intérêt national, sont loin derrière.

Jared Kushner et Ivanka Trump en chemin pour rejoindre Air Force One avant de partir de l’aéroport international Ben Gurion à Tel Aviv en mai 2017 (AFP)

Il est intéressant de noter que Jared Kushner a ses propres doléances : son père et lui n’avaient pas su soutirer 500 millions de dollars au cheikh Hamad ben Jassim al-Thani, ancien Premier ministre qatari, pour contribuer à refinancer un investissement immobilier douteux sur la Cinquième avenue. Les discussions entre Kushner Companies et al-Thani se seraient poursuivies jusqu’au printemps dernier.

« Si l’affaire n’est pas entièrement morte », selon The Intercept, qui a révélé l’information, « cela signifie que, d’un côté, Jared Kushner encourage le recours au pouvoir de la diplomatie américaine pour rosser une petite nation, tandis que de l’autre, sa firme espère en tirer des capitaux considérables pour un investissement défaillant. Si, cependant, l’affaire tombe complètement à l’eau, cette correction peut être considérée comme une intimidation pour d’autres investisseurs tentant de faire affaire avec Kushner Companies. »

Coûts – et coûts

Ne vous méprenez pas – le Qatar est loin d’être parfait. Mais le niveau d’agression et l’absence de volonté des turbulents princes héritiers – Mohammed ben Zayed al-Nahyane d’Abu Dhabi et maintenant le riche ben Salmane – de revenir sur leurs exigences sont terrifiants. Leur dangereuse brutalité, qui déstabilise la région, aurait été bien moins susceptible de s’exprimer si Trump ne leur avait pas donné sa bénédiction.

Davantage de questions devraient être posées, en particulier par les démocrates, à propos de l’éthique de « l’accord dans le désert » de Trump

Il ne fait aucun doute que la Rust Belt américaine a besoin d’emplois et d’investissements, qu’il s’agisse de swing states ou non. L’état des infrastructures américaines est honteusement pitoyable. Mais se tourner vers les Saoudiens a un coût.

La façon dont Trump a offert la stratégie géopolitique de l’Amérique comme monnaie d’échange pour ses propres fins politiques n’est guère inattendue – il est de plus en plus possible que Trump ait promis de lever les sanctions liées à la situation en Ukraine en échange du soutien de la Russie lors des élections.

Le pont commémoratif Frederick Douglass à Washington D.C., l’un des 61 000 à travers l’Amérique à avoir besoin de réparation en 2015 (AFP)

Cependant, davantage de questions devraient être posées, en particulier par les démocrates, sur la moralité de « l’accord dans le désert » de Trump.

Mais n’y comptez pas trop : la Fondation Clinton a reçu entre 10 et 25 millions de dollars des Saoudiens.

Assécher le marais pourrait prendre plus de temps que promis.

- Alastair Sloan s’intéresse à l’injustice et à l’oppression en Occident, en Russie et au Moyen-Orient. Il écrit régulièrement pour The Guardian, Al-Jazeera et Middle East Eye. Vous pouvez suivre ses travaux sur www.unequalmeasures.com.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Mohammed ben Salmane, alors vice-prince héritier, rencontre Trump à la Maison-Blanche en mars 2017 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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