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Offre spéciale pour le Liban : un voyage dans le temps avec l’armée israélienne

Un ministre israélien a-t-il récemment suggéré qu’Israël renvoie le Liban au Moyen Âge pour s’absoudre de futurs crimes de guerre ?

Le ministre israélien de l’Éducation Naftali Bennett estime qu’une nouvelle guerre entre Israël et son voisin libanais « signifierait renvoyer le Liban au Moyen Âge ».

Cette engageante petite phrase a été rapportée le 13 mars par le correspondant de Haaretz, Amos Harel, à la suite d’une conversation avec Bennett. Selon l’article, le ministre a invoqué les remarques du président libanais Michel Aoun concernant le rôle important du Hezbollah dans l’appareil de défense libanais pour justifier cette approche médiévale.

Le traitement moyenâgeux semble aboutir à l’éradication de toute distinction entre l’État libanais et le Hezbollah et entre les éléments militaires et civils

Certes, les fonctions défensives du Hezbollah se sont révélées particulièrement agaçantes pour les Israéliens lorsque, en 2000, l’organisation fut à l’origine de l’expulsion d’Israël du territoire libanais après plus de vingt ans d’occupation.

En attendant, le traitement moyenâgeux semble aboutir à l’éradication de toute distinction entre l’État libanais et le Hezbollah et entre les éléments militaires et civils dans le pays.

Bennett regrette une prétendue promesse israélienne faite au gouvernement des États-Unis en 2006 « de ne pas frapper les infrastructures du Liban » pendant la guerre qui a duré 34 jours cet été-là – une promesse qui a, selon le ministre de l’Éducation, entravé une victoire israélienne. Il propose la formule suivante pour les conflits futurs :

« Les institutions du Liban, ses infrastructures, ses aéroports, ses centrales électriques, ses carrefours, les bases de l’armée libanaise – tout cela devrait constituer des cibles légitimes si une guerre éclate. »

Continuité stratégique

Outre l’approbation on ne peut moins subtile de crimes de guerre, il existe un autre problème majeur avec le raisonnement de Bennett : Israël ne s’est jamais vraiment soucié de faire la distinction entre civils et militaires.

D’une part, tous les éléments de sa liste de « cibles légitimes » ont déjà été bombardés en 2006. Harel devrait techniquement le savoir puisque lui-même les a signalées à l’époque, mais il a néanmoins décidé désormais qu’« il est intéressant d’écouter » les opinions de Bennett sur ces questions.

Un citoyen libanais prend des photos d’un cratère de boue et d’eau provoqué par les frappes aériennes israéliennes du début de matinée à Dahieh, banlieue de Beyrouth, le 14 juillet 2006 (AFP)

On ne peut que supposer que si le Hezbollah appelait à bombarder aveuglément les carrefours de Tel Aviv, le phénomène serait considéré comme tout autre chose qu’« intéressant ».

Quant aux prochains massacres israéliens de civils libanais, cela relèverait davantage d’une continuation de la routine habituelle que d’une nouvelle stratégie.

En 2006, la plupart des 1 200 personnes tuées au Liban étaient des civils, dont des enfants abattus à bout portant par un hélicoptère israélien alors qu’ils tentaient d’évacuer leurs villages en vertu d’ordres explicites israéliens.

Parmi les personnes se classant également de toute évidence dans la catégorie des civils figurait la centaine de réfugiés qui ont été éliminés par Israël en 1996 alors qu’ils s’abritaient dans un complexe des Nations unies dans la ville libanaise de Cana.

À LIRE : Tout n’est pas de tout repos sur le front du Golan : l’équation israélo-syrienne change

En remontant un peu plus loin dans le temps, l’invasion israélienne du Liban en 1978 a tué des milliers de Libanais et de Palestiniens, tandis que l’invasion suivante de 1982 a exterminé quelque 20 000 personnes, des civils en grande majorité.

Si les dirigeants israéliens se souciaient un tant soit peu des analyses de cause à effet, ils pourraient penser que l’origine du Hezbollah n’est autre que l’affaire de 1982 – et que bombarder des gens de façon à les renvoyer au Moyen-Âge n’est probablement pas la meilleure façon de réfréner l’animosité envers Israël.

Autres escales du voyage

Il se trouve que la période médiévale n’est pas la seule option de voyage dans le temps imposée au public libanais ; d’autres représentants de l’État d’Israël ont proposé l’exil à une variété d’époques historiques.

Les décombres dus aux frappes israéliennes qui caractérisent souvent Gaza et le Liban confèrent à l’ensemble du concept d’« âge de pierre » une nouvelle connotation

En 2014, par exemple, le Times of Israel a rapporté que le député israélien Yisrael Katz avait menacé de ramener le Liban à l’âge de pierre – une destination qui est également régulièrement suggérée pour la bande de Gaza. Certes, les décombres omniprésents dus aux frappes israéliennes qui caractérisent souvent des zones de ces deux territoires confèrent à l’ensemble du concept d’« âge de pierre » une nouvelle connotation.

Au début de la guerre de 2006, le chef d’état-major de l’armée israélienne, Dan Halutz, mettait en garde contre « le retour du Liban vingt ans en arrière » – ce qui, si cela s’était littéralement produit, aurait commodément ramené le pays en 1986, à l’apogée de l’occupation israélienne.

En fin de compte, ce retour en arrière a entraîné la perte de nombreuses vies et la destruction de ponts, de voies de circulation et de quartiers entiers. Lorsque je suis allée au Liban peu de temps après la guerre, les cratères avaient remplacé les appartements dans de nombreux quartiers.

Exonération préventive ?

Selon Bennett, le but de la menace d’un retour au Moyen Âge est finalement d’essayer d’éviter les conflits, une allégation qui semblerait plutôt contradictoire avec le passif d’Israël.

Une fonction plus plausible de l’attention continuelle sur la disparition des frontières entre civils et militaires au Liban – faisant de tout le monde et de tout dans le pays une cible légitime d’attaque – est l’exonération préventive d’Israël pour crimes de guerre lors des inévitables épreuves de force à venir.

Un jeune Palestinien cherche des déchets recyclables et d’autres articles qu’il espère pouvoir vendre, à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 16 avril 2015 (AFP)

Harel cite les propos inintelligibles de Bennett pour expliquer pourquoi un bombardement massif des infrastructures civiles libanaises sera nécessaire si la guerre devient inévitable : « Vous ne pouvez pas combattre des roquettes avec des pincettes ». C’est une leçon que Bennett a apparemment apprise en 2006 quand, écrit Harel, « il commandait une unité d’élite envoyée au fin fond du sud du Liban pour trouver les escadrons de lance-roquettes du Hezbollah ».

Personnellement, je ne peux imaginer CV plus approprié pour un ministre de l’Éducation. Et avec des va-t-en-guerre pour exécuter le numéro israélien avec l’aide bien commode d’un système de service militaire obligatoire, le monde ferait bien de réfléchir aux limites entres civils et militaires soi-disant en place dans une nation qui menace ses voisins de les expulser vers les siècles passés.

Belen Fernandez est l’auteure de The Imperial Messenger : Thomas Friedman at Work (Verso). Elle collabore à la rédaction du magazine Jacobin.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des soldats israéliens se tiennent à côté d’une unité mobile d’artillerie alors qu’ils tirent des obus de 155 mm vers des cibles du Hezbollah basées dans le sud du Liban voisin, le 12 juillet 2006, dans une zone de transit militaire le long de la frontière israélo-libanaise (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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