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Pourquoi Cameron se trompe complètement sur Daech

En mettant tous les islamistes dans le même sac, Cameron s’aliène des alliés essentiels dans la lutte contre Daech

Il est bien connu que la plupart des premiers ministres britanniques n’ont plus toute leur tête sur la fin. Margaret Thatcher, Tony Blair et Gordon Brown étaient tous les trois au moins partiellement dans ce virage au moment où ils ont perdu le pouvoir.

Je me souviens du moment où je me suis rendu compte que Tony Blair perdait prise sur la réalité. C’était lors de son discours de conférence du parti travailliste en 2001, quelques semaines après la destruction des Twin Towers. Il a parlé alors de la création d'un nouvel ordre mondial sur les ruines du 11 septembre, il était clair que M. Blair était hors-jeu.

A ce jour, David Cameron a été dans l'ensemble un Premier ministre particulièrement bien équilibré (notamment grâce au fait qu'il est épaulé par une femme sensible, Samantha). Il voit les choses en perspective, et n'a pas été submergé par ses hautes fonctions.

Cependant, il a récemment fait paraître des signes inquiétants. Tout comme Tony Blair avait perdu toute perspective à propos d’al-Qaïda, Cameron semble avoir été pris de cours par le développement du groupe Etat islamique (Daech).

À certains égards, c’est compréhensible. Comme Premier ministre, il est naturel et de bon droit de se sentir personnellement responsable des Britanniques morts sur la plage pendant l’attaque atroce de la semaine dernière. Et avec ce sens de la responsabilité vient le désir d'agir.

Néanmoins la réaction du Premier ministre suite à l'horreur en Tunisie suggère qu'il pourrait avoir atteint une sorte de tournant personnel. À long terme, cela peut devenir très dangereux, non seulement pour lui, mais pour tout le monde.

Tout d'abord, examinons l'affirmation de Cameron comme quoi la présence de Daech est une menace « existentielle » pour la Grande-Bretagne. C’est complètement fou. Il n'y a aucune chance que le drapeau noir de Daech flotte sur Downing Street, ou que la reine soit remplacée par un calife.

En revanche, en 1940, il y avait une réelle possibilité que la croix gammée soit placardée sur les bâtiments publics britanniques et que les nazis conquièrent la Grande-Bretagne. Pendant la guerre froide contre la Russie soviétique, nous vivions sous la menace de l'anéantissement nucléaire. Ce sont des exemples au 20ème siècle, de véritables menaces « existentielles ».

Daech est certainement une menace pour la stabilité régionale au Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et peut-être au-delà. Mais le problème doit être combattu sérieusement et de manière réfléchie. Cela doit commencer par une compréhension de la façon dont la Grande-Bretagne et l'Occident ont joué un rôle important dans la création des conditions du développement de Daech.

Il y a douze ans Cameron a voté pour l'invasion de l'Irak, ce qui a incité le chaos dans lequel le groupe Etat islamique est apparu. Un de ses premiers actes en tant que Premier ministre a été d'ignorer l'avis de ses généraux les plus hauts placés et d’attaquer la Libye, une entreprise calamiteuse qui a déstabilisé l'Afrique du Nord. La preuve en est, Saif Rezgui, le tireur qui a tué trente-huit touristes à Sousse ce vendredi, aurait été formé en Libye.

La politique syrienne de Cameron exige également d’être examinée. Dans les premières années de la guerre civile, la Grande-Bretagne a soutenu des groupes qui ont sûrement muté en Daech par la suite. L'insistance répétée de Cameron pour que le Président Assad s’en aille était bien intentionnée. Elle a également contribué à créer l'instabilité chronique qui a permis à Daech de prospérer.

La lutte contre Daech au Moyen-Orient exige une politique étrangère beaucoup plus mature, informée et sensible que celle que le Premier ministre britannique a conduit jusqu'ici. Cela signifie la construction d'une alliance avec l'Iran ainsi que l'Arabie saoudite et le dialogue avec des mouvements comme ceux des Frères musulmans, du Hamas et du Hezbollah - tous des alliés contre Daech.

Le Premier ministre semble incapable de ce genre d’art politique. Il semble penser que tous les mouvements politiques islamiques sont les mêmes. Comme Tony Blair, il a l'intention de diviser le monde en noir et blanc, en bien et mal, entre l’Occident et les islamistes. « Peut-être la chose la plus importante », a fait remarquer le Premier ministre mardi, « est de faire face à cette idéologie toxique qui est le moteur des actions terribles comme celles que nous avons vu vendredi ».

Il a précisé que cette idéologie toxique s’étendait bien au-delà de Daech. Elle comprend ce qu'il appelle « l'extrémisme ». Selon Cameron, quiconque étant en désaccord avec les doctrines occidentales les plus modernes du 21ème siècle, sur les droits des femmes ou des homosexuels, est en voie de devenir un extrémiste. Toute personne qui s’oppose à l'Ouest est un extrémiste. Toute personne qui croit en un califat (un système de gouvernement qui a plutôt bien fonctionné pendant plus de mille ans) est un extrémiste.

La doctrine de Cameron soulève de nombreux problèmes intellectuels. (Par exemple, il doit expliquer pourquoi le Pape François et l'église catholique romaine ne devraient pas être traités comme des extrémistes, être supprimés ou enfermés en conséquence.)

Mais ce sont les difficultés pratiques qui sont les plus troublantes. La menace de Daech ne peut être contestée si les puissances régionales au Moyen-Orient ne se mobilisent pas pour lutter contre elle. Pourtant, la quasi-totalité d'entre elles sont (selon l'analyse de Cameron) extrémistes d'une façon ou d'une autre.

Sur le plan intérieur, le discours de Cameron pose un problème parallèle. Il a identifié un ennemi de l'intérieur, tout comme Mme Thatcher l’avait fait lors de la grève des mineurs il y a trente ans. Les Frères musulmans, Hizb ut-Tahrir, le Hamas, le Muslim Council of Britain sont, selon lui, des extrémistes. L'effet des doctrines de Cameron sera lamentable. L'État britannique a besoin de l'aide de certains de ces mouvements pour dissuader les jeunes hommes et les jeunes femmes désœuvrés d'aller se battre aux côtés de Daech.

De récents discours de Cameron suggèrent que des jours sombres sont à prévoir ici en Grande-Bretagne. La communauté musulmane fait face à des persécutions pour ses croyances. La lutte contre le terrorisme se transforme en chasse aux sorcières. Les alliés sont redéfinis comme des ennemis. Il est très triste de voir un Premier ministre conservateur répéter les erreurs de son prédécesseur.

- Peter Oborne a gagné le prix du meilleur chroniqueur de presse britannique en 2013. Il a récemment démissionné de son poste de chroniqueur politique en chef du Daily Telegraph. Ses livres comprennent The Triumph of the Political Class; The Rise of Political Lying; et Why the West is Wrong about Nuclear Iran.

Les opinions exprimées dans cet article appartiennent à l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye

Photo: une peinture murale représentant le Premier ministre britannique David Cameron est affichée au Festival de Glastonbury près du village de Pilton, dans le sud-ouest de l'Angleterre, le 29 Juin (AFP)

Traduction de l’anglais (original) par Margaux Pastor.

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