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Sans précédent et explosif : pourquoi le boycott d’al-Aqsa compte

Les nouvelles procédures de sécurité au Haram al-Sharif violent les accords entre la Jordanie et Israël, ne peuvent empêcher une récidive de l’attaque de vendredi dernier et mettent de l’huile sur le feu

Vendredi dernier, trois citoyens israélo-palestiniens de la ville d’Umm al Fahm, dans le nord, ont attaqué la police à l’extérieur du Haram al-Sharif (Noble sanctuaire), le troisième site le plus saint de l’islam (connu des juifs israéliens sous le nom de mont du Temple).

Au cours des dernières années, Israël a imposé une série de mesures restreignant l’accès des musulmans au site, tout en organisant périodiquement des assauts armés par la police sur la mosquée al-Aqsa et les fidèles à l’intérieur.

De telles violations du caractère sacré de ce lieu saint ont mis en colère les musulmans à travers le monde, mais en particulier les Palestiniens en Israël et en Cisjordanie. Une grande partie des violences continuelles des attaques de « loups solitaires » contre des cibles israéliennes, qui ont tué près de 50 Israéliens et 250 Palestiniens, a été motivée par une indignation religieuse suscitée par la conduite d’Israël.

L’attaque de vendredi était la plus audacieuse de ces dernières années. Trois membres d’un clan local, tous nommés Muhammad Jabareen, ont réussi à transporter des armes dans la vieille ville de Jérusalem, puis à les récupérer et à tirer sur la police. Ils ont tué deux policiers druzes israéliens et en ont légèrement blessé un autre.

Des personnes en deuil se rassemblent aux funérailles de Kamil Shanan, l’un des policiers israéliens tués, dans le village druze de Hurfeish dans le nord d’Israël le 14 juillet 2017 (AFP)

Comme d’habitude dans ces situations, le Shin Bet a imposé une obligation de silence concernant certains aspects de l’affaire. Bien que connaissant l’identité des tireurs et disposant de leurs cartes d’identité, il a refusé de les nommer publiquement. J’ai publié leurs noms et les photos de leurs cartes d’identité avec l’aide d’une source confidentielle dans la sécurité israélienne. Plus tard, l’obligation de silence a été levée.

Après avoir attaqué la police, les tireurs ont fui à l’intérieur du Haram al-Sharif, où les forces de sécurité israéliennes les ont pourchassés et exécutés. Une vidéo filmée par des Palestiniens montre l’un des attaquants au sol, non armé. Lorsqu’il se lève et essaie de s’enfuir, il est abattu par une rafale de balles.

Il est courant dans de telles situations que les forces israéliennes tuent les agresseurs, qu’ils soient ou non armés ou qu’ils aient blessé ou non d’autres personnes. La méthode d’exécution est parfois appelée « kill shot » (tirer pour tuer). Lorsqu’un Palestinien a tué ou blessé un Israélien dans de telles circonstances, sa vie est considérée comme perdue dans la plupart des cas.

Aucune responsabilité

Dans d’autres pays, après une importante violation de la sécurité, les autorités examineraient attentivement les circonstances qui ont permis l’incident, le public exigerait haut et fort que les responsabilités soient établies.

Alors qu’il se peut que les responsables de la sécurité israélienne entreprennent un tel examen, peu se sont interrogés sur la façon dont le Shin Bet et la police ont permis à trois hommes armés de perpétrer une attaque meurtrière. Au lieu de cela, ces deux agences se sont engagées dans une guerre visant à tenir l’autre pour responsable. Pendant ce temps, personne n’en assume réellement la responsabilité.

Des Palestiniens manifestent à Gaza en solidarité avec les musulmans qui boycottent les prières à la mosquée al-Aqsa de Jérusalem le 19 juillet 2017 (AFP)

Le principal objet de la querelle consiste à savoir si les détecteurs de métaux, qui ont été installés immédiatement après l’agression, auraient dû être utilisés plus tôt et s’ils auraient empêché l’attaque.

Cependant, une telle garantie n’existe pas à moins que la police israélienne ne soit disposée à obliger tous les Palestiniens qui entrent par les portes de la vieille ville à se soumettre à ces inspections. Cela nécessiterait la militarisation complète de l’une des villes les plus saintes du monde et l’installation de dizaines, voire de centaines, de détecteurs de métaux. Cela signifierait de longues files d’attente pour ceux qui cherchent à entrer, y compris pour les touristes, qui sont essentiels à l’économie locale.

Les policiers et les tireurs

L’identité ethnique des policiers morts et de leurs tueurs revêt une importance particulière. Les policiers étaient des druzes israéliens. Leur religion est une ramification de l’islam, mais a toujours été considérée comme une minorité et parfois persécutée.

Depuis la fondation d’Israël en 1948, l’État a cultivé des relations amicales avec les druzes, lesquels ont rendu la pareille en servant dans l’armée israélienne, contrairement au reste des musulmans palestiniens, qui refusent le service militaire en Israël.

Bien que cela ait changé ces dernières années, les druzes sont considérés comme plus zélés que le soldat juif israélien moyen. Des soldats druzes ont été impliqués dans plusieurs meurtres controversés de civils non armés à Gaza et ailleurs.

La relation entre les druzes et les juifs israéliens semble suivre un modèle colonial commun dans lequel le pouvoir dominant cherche à diviser une population majoritairement indigène en favorisant une seule tribu minoritaire au détriment des autres. En d’autres termes, diviser pour mieux régner.

VIDÉO : Sur la route de la mosquée al-Aqsa

Les tireurs étaient, comme je l’ai mentionné, originaires d’une ville du nord d’Israël. Umm al Fahm est un foyer de soutien pour la branche nord du Mouvement islamique, dirigé par le dirigeant musulman Imam Raed Salah. C’est également sa ville natale. Il a été régulièrement arrêté pour incitation à la résistance contre la gestion israélienne des lieux saints musulmans de Jérusalem.

Au cours des dernières années, la plupart des attaques de Palestiniens contre des Israéliens ont été perpétrées par ceux qui vivent dans ou autour de Jérusalem-Est ou en Cisjordanie. Un nombre relativement peu élevé d’attaques de ce genre ont impliqué des citoyens palestiniens d’Israël, qui sont généralement considérés comme une population plus loyale et « digne de confiance » que ceux qui sont en dehors d’Israël (en Cisjordanie et à Gaza).

Alors que de tels troubles affectent maintenant la minorité palestinienne israélienne, Israël entre dans une période encore plus tendue et instable que par le passé.

Résistance à la répression

La réponse officielle israélienne à l’attaque a été rapide et sévère. L’ensemble du Haram al-Sharif a été fermé pour la première fois depuis qu’un chrétien évangéliste australien perturbé a tenté de déclencher une guerre sainte en faisant exploser la mosquée al-Aqsa en 1969.

En outre, les forces de sécurité ont scellé toute la vieille ville avec plusieurs check-points conçus pour empêcher quiconque d’entrer dans la partie palestinienne fortifiée de la ville. Les commerçants du souk ont été menacés de lourdes amendes s’ils ouvraient leurs magasins. Ceci était aussi une mesure sans précédent.

Les forces israéliennes arrêtent des Palestiniens à la porte des Lions (MEE / Mahfouz Abu Turk)

Alors qu’Israël a qualifié ces mesures de tentative visant à empêcher les Palestiniens de se livrer à des manifestations de masse qui pourraient conduire à une nouvelle intifada, les Palestiniens les ont considérées comme une forme de sanction collective pour l’attaque contre la police israélienne. De telles actions constituent une violation des Conventions de Genève, qu’Israël envoie fréquemment promener dans de telles circonstances.

Lundi, Israël a rouvert le Haram al-Sharif ainsi que la vieille ville, bien que la majorité de ses portes soient restées fermées. Mais des changements radicaux sont intervenus dans les procédures de sécurité. Les responsables de la sécurité ont installé unilatéralement des détecteurs de métaux et une surveillance vidéo. C’était une violation du soi-disant statu quo, auquel le Premier ministre Benyamin Netanyahou a faussement prétendu qu’Israël adhérait.

En vertu de ces règlements, tout changement apporté aux sites saints doit être accepté par les Jordaniens (qui sont les intendants des sites musulmans) et les autorités israéliennes. Mais Israël a appliqué ces changements sans aucune consultation.

Si la Grande-Bretagne réprimait les catholiques

Le résultat a été un boycott du Noble sanctuaire par les musulmans. Ces derniers jours, les fidèles ont prié juste à côté des nouveaux détecteurs de métaux, refusant d’entreprendre l’acte dégradant de se soumettre à ce nouveau dispositif. Les musulmans le voient comme une profanation du statut sacré du site et une insulte à leur foi.

Traduction : Pour la 1e fois depuis des années, les juifs visitent le mont du Temple sans être escortés par des représentants de l’organisation jordanienne après avoir refusé de se conformer à de nouvelles mesures de sécurité.

PHOTO : Des juifs récitant le kaddish dans la zone où 2 policiers ont été assassinés sur le mont du Temple, profitant de l’absence de responsables du Waqf.

Imaginez que la Grande-Bretagne, dont la religion officielle est l’anglicanisme, estime que les fidèles catholiques représentent une menace pour la sécurité nationale et impose des détecteurs de métaux, des caméras vidéo et une présence massive de la police en dehors de la principale cathédrale catholique. Il y aurait certainement un grand tollé, pas seulement parmi les catholiques, mais aussi parmi les anglicans.

La classe politique israélienne traite les problèmes palestiniens d’une manière schizoïde. Elle refuse de voir les intérêts palestiniens dans le cadre des intérêts globaux israéliens. Ils sont divisés en deux catégories distinctes : les intérêts juifs israéliens qui sont primordiaux et tout le reste qui est isolé et secondaire.

C’est ainsi que Netanyahou, alors qu’il est confronté à une énorme crise de confiance avec la minorité israélienne palestinienne, a pu ignorer la question et embarquer pour une tournée de cinq jours dans les capitales de l’Europe centrale (Budapest et Varsovie notamment) dont les gouvernements soutiennent largement son propre programme islamophobe et anti-réfugiés.

Les médias israéliens ont vu ce voyage comme une tentative désespérée de se dégager d’un scandale impliquant l’achat de plusieurs sous-marins nucléaires allemands pour plusieurs milliards de dollars.

Personne n’a suggéré à Netanyahou de reporter son voyage pour faire face à la crise de Jérusalem. Cela ne fait pas partie de ses considérations politiques.

 

Richard Silverstein est l’auteur du blog « Tikum Olam » qui révèle les excès de la politique de sécurité nationale israélienne. Son travail a été publié dans Haaretz, le Forward, le Seattle Times et le Los Angeles Times. Il a contribué au recueil d’essais dédié à la guerre du Liban de 2006, A Time to speak out (Verso) et est l’auteur d’un autre essai dans une collection à venir, Israel and Palestine: Alternate Perspectives on Statehood (Rowman & Littlefield).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des fidèles musulmans palestiniens, qui refusent d’entrer dans le complexe de la mosquée al-Aqsa pour protester contre les mesures de sécurité israéliennes récemment mises en œuvre, prient à côté de la porte des Lions, l’une des entrées principales du lieu saint, dans la vieille ville de Jérusalem, le 18 juillet 2017 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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