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Vers des États-nations inclusifs : burkini, hijab et autodétermination

Les policières canadiennes et écossaises peuvent porter le hijab parce que cela ne fait pas obstacle à l’adhésion au projet d’État-nation

En France, aux États-Unis et dans de nombreux coins autrement éclairés d’Europe, des individus et des responsables politiques se posent une question embarrassante : les musulmans font-ils partie de l’État-nation moderne ?

L’histoire nous montre que lorsque des individus se voient refuser l’autodétermination, ils se battent pour l’obtenir. Alors pourquoi tant d’États-nations modernes limitent-ils l’influence que les nouveaux arrivants peuvent avoir sur leur propre avenir ?

La question est inconfortable, mais elle est également opportune. Nous vivons au lendemain de la plus grande crise de migration transfrontalière depuis la Seconde Guerre mondiale, lors de laquelle plus d’un million de demandeurs d’asile principalement musulmans ont afflué vers l’Europe pour fuir un Moyen-Orient de plus en plus réduit en poussière.

Nous sommes également frappés par une série apparemment sans fin de terreur urbaine, en grande partie attribuée à des membres ou à des dévots du groupe terroriste État islamique. Nous ne vivons pas dans une époque facile pour tout individu visiblement musulman dans les pays à minorité musulmane.

La mode comme mise à l’épreuve

Au cours des dernières semaines, deux approches contrastées de cette question se sont jouées contre toute attente à travers le prisme de l’habit féminin.

En France, des photos de policiers armés appréhendant une femme en maillot de bain intégral sur une plage de la Côte d’azur pour faire respecter une interdiction du burkini, partagées sur les médias sociaux, ont déclenché une tempête de commentaires autour de la liberté, de la foi et de la signification du fait d’être français. Malgré l’annulation de l’interdiction par un tribunal de Nice une semaine plus tard, le débat quant à savoir si le burkini est acceptable en tant que tenue de plage et à qui la décision appartient fait rage.

Pendant ce temps, les services de police locaux au Canada et en Écosse se sont vu proposer un hijab officiel. De nouvelles politiques au sein de Police Scotland et de la Gendarmerie royale du Canada ont intégré le hijab à l’uniforme de police. Ils rejoignent le Metropolitan Police Service de Londres, où le hijab fait partie de l’uniforme depuis plus d’une décennie.

Un porte-parole du ministère canadien de la Sécurité publique a déclaré à la chaîne canadienne que les femmes pouvaient porter le foulard « si elles le [souhaitaient] ». La décision, a-t-il indiqué, est le reflet des valeurs de l’institution : « La Gendarmerie royale du Canada est un service de police progressiste et inclusif qui valorise et respecte les personnes de toutes origines culturelles et religieuses. »

« Bienvenue chez vous »

La question porte sur l’appartenance. En décembre, le Premier ministre canadien Justin Trudeau et son pays sont sortis du lot en accueillant les réfugiés syriens à bras ouverts, en les présentant comme des futurs citoyens et en les intégrant au projet national : « Bienvenue chez vous », a-t-il ainsi déclaré.

Ses propos ont détonné par rapport à un accueil européen tiède. La chancelière allemande Angela Merkel, qui fait face à un bien plus grand nombre de demandeurs d’asile non vérifiés, a clairement fait savoir que l’Allemagne s’attendait à ce que les individus rentrent chez eux lorsque ces guerres auront pris fin. Le Danemark exige que les réfugiés remettent leurs objets de valeur pour bénéficier du système de protection sociale du pays, et certaines femmes musulmanes nées et élevées en France affirment ne pas se sentir bienvenues sur les plages de leur pays.

Ces incidents, dans un contexte de frictions sociales à travers l’Europe, soulèvent des questions sur la façon dont les musulmans originaires de pays à majorité musulmane peuvent s’intégrer dans les pays occidentaux démocratiques à minorité musulmane.

La lutte pour l’autodétermination

Au sein de la droite conservatrice, à travers les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Europe, un chœur grandissant de voix nous affirme qu’ils ne le peuvent pas, que les musulmans ne font pas partie d’un État-nation moderne et laïc – que l’intégration ne peut se produire parce que les musulmans sont habitués d’une manière ou d’une autre à vivre dans un autre type d’État.

Mais cela est incorrect. Des recherches ont prouvé que 93 % des musulmans du monde vivent dans des États modernes, dont les structures étatiques centrales sont beaucoup plus puissantes que toute structure non étatique. Soixante-treize pour cent de la population musulmane du monde vit dans des pays qui faisaient autrefois partie des empires multinationaux européens.

L’Irak, la Syrie et l’Afghanistan, trois des États à majorité musulmane dont l’effondrement alimente la crise mondiale des réfugiés, se désintègrent en grande partie en raison de l’acceptation universelle du principe d’autodétermination nationale : les citoyens souhaitent avoir une influence sur leur avenir politique. L’autodétermination nationale telle que nous en bénéficions en Occident a alors eu un impact énorme sur la vie de la majorité des musulmans du monde.

L’histoire nous montre que lorsque des individus se voient refuser l’autodétermination, ils se battent pour l’obtenir. Alors pourquoi tant d’États-nations modernes limitent-ils l’influence que les nouveaux arrivants peuvent avoir sur leur propre avenir ? Ou, en repensant aux événements de ces dernières semaines, pourquoi des responsables gouvernementaux nerveux forcent-ils les femmes à ôter leur burkini au nom de l’intégration ou de l’assimilation ?

Une édification inclusive de la nation

Le bien-être d’une société dépend du sentiment d’appartenance de ses membres composites. Dans une démocratie pluraliste comme le Canada ou le Royaume-Uni, cela implique de favoriser le développement du sentiment d’être canadien, autant que celui d’être musulman, arabe ou encore syrien. Les policières canadiennes et écossaises peuvent porter le hijab parce que cela ne fait pas obstacle à l’adhésion au projet d’État-nation.

Nous pouvons voir en France et en Belgique le fruit de l’incapacité d’un État-nation à inclure une génération d’immigrés musulmans

Sous ce contexte figure un sous-entendu encore plus important. Le visage de la police canadienne et écossaise peut être musulman, comme peut l’être le visage de ceux qu’elle surveille : les musulmans font partie de la société canadienne ou écossaise. Dans l’ensemble, on considère qu’il y a plus à gagner en autorisant les officières à porter le hijab qu’en proscrivant une telle expression d’identification religieuse.

À travers ce prisme, l’édification inclusive de la nation – adressée à tous les membres de la société – offre un moyen de ne faire qu’un de l’État et du peuple. En favorisant la participation de tous les membres de la société à la vie des communautés, à la société civile et à la politique, les responsables peuvent faire en sorte que la culture de leur État corresponde à celle de ses citoyens dans leur totalité.

Lorsqu’on se tourne vers les plages du sud de la France, il y a deux façons de lire le message : soit les femmes musulmanes n’ont pas leur place ici – même si elles sont des citoyennes françaises –, soit elles sont tolérées à condition qu’elles laissent les manifestations visibles de leur foi à la porte. Ni l’un ni l’autre de ces messages ne favorise un État-nation inclusif. Tous deux comportent le risque d’entraîner l’exclusion et d’approfondir les divisions.

Nous pouvons voir en France et en Belgique le fruit de l’incapacité d’un État-nation à inclure une génération d’immigrés musulmans : des jeunes nés citoyens mais privés de leurs droits, qui ont leur place dans la banlieue parisienne ou à Molenbeek, que l’on isole du système d’emploi et d’opportunités classique et que l’on regroupe dans un coin perdu insignifiant, éloigné du centre. Les racines de la croyance extrémiste supranationaliste trouvent ici un terrain fertile.

- David Taylor dirige l’Institut pour l’étude des civilisations musulmanes de l’Université Aga Khan de Londres (AKU-ISMC). Auparavant, il était membre du corps professoral de l’École d’études orientales et africaines (SOAS) de l’Université de Londres, où il est devenu doyen puis directeur adjoint chargé de l’enseignement. Il a été chercheur invité à l’Université du Panjab de Chandigarh (Inde), à l’Université Jawaharlal-Nehru de New Delhi et du Zentrum Moderner Orient de Berlin. Cet article est tiré de recherches présentées dans le cadre de la série de dialogues organisée par l’AKU-ISMC.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : photo d’une plage de Nice, où l’interdiction du burkini a été justifiée par des motifs d’ordre public (Reuters).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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