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Vous pensez que 2016 a été une année difficile pour le Moyen-Orient ? Préparez-vous pour 2017 !

Le Moyen-Orient ne connaîtra de période de stabilité que si les différents gouvernements de la région s’engagent à privilégier des stratégies diplomatiques plutôt que des stratégies militaires

Il est difficile d’être optimiste quant à l’avenir du Moyen-Orient pour 2017.

Les effusions de sang qui ont lieu aux quatre coins de la région, que ce soit à Alep, à Mossoul ou encore au Yémen, n’ont fait qu’accroître la colère, la haine et les tensions entre les différentes communautés.

À l’heure où certains montrent du doigt Téhéran qui fête sa victoire à Alep, le succès sur le champ de bataille s’accompagne de divisions encore plus profondes entre l’Iran et certains de ses voisins arabes et sunnites, laissant ainsi présager une aggravation du conflit plutôt qu’une réconciliation.

Tandis que la région toute entière est susceptible de s’engager dans une période d’instabilité encore plus grande pour l’année à venir, l’effervescence de cette fin d’année semble des plus incongrues

En fin de compte, comme tous les acteurs de la région devraient le savoir, la véritable sécurité naît uniquement de la capacité à vivre en paix avec ses voisins, et non de la capacité à faire preuve d’une puissance militaire supérieure.

Tandis que la région toute entière est susceptible de s’engager dans une période d’instabilité encore plus grande pour l’année à venir, l’effervescence de cette fin d’année semble des plus incongrues.

Face au massacre qui se déroule dans la région, il est aujourd’hui de bon ton, à Washington, d’accuser l’administration Obama d’afficher une certaine passivité et de refuser de faire prendre aux États-Unis une position militaire plus engagée au Moyen-Orient.

Un tel comportement tend à ignorer les causes structurelles les plus profondes qui ont contribué à déclencher la crise actuelle,des facteurs structurels qui préexistaient à l’arrivée d’Obama et sur lesquels les États-Unis ne peuvent avoir qu’une influence limitée.

Le sergent de l’armée américaine Monica McCluskey monte la garde avec d’autres soldats de la 101e division aéroportée tandis que leur convoi d’assaut terrestre marque un arrêt le 24 mars 2003 dans le sud de l’Irak (AFP)

Le fait est que depuis le début des années 1990, la région vit selon un ordre purement artificiel.

La politique double endiguement mise en place par l’administration Clinton garantissait l’ordre dans la région en soutenant les principaux alliés des États-Unis, à savoir Israël, l’Arabie Saoudite et l’Égypte, tout en isolant et en « maîtrisant » l’Iran et l’Irak.

Si cet ordre a apporté à la région une certaine stabilité, il n’est pas parvenu à se suffire à lui-même dans la mesure où il dépendait directement du pouvoir militaire et économique des États-Unis.

Les principaux acteurs de cet ordre qui sont, rappelons-le, Israël, l’Arabie Saoudite et l’Égypte n’ont jamais eu le pouvoir ni la volonté politique de le faire respecter. Ils avaient la chance de pouvoir s’en remettre à la puissance des États-Unis et ne voyaient donc aucune raison d’agir autrement.

L’invasion de l’Irak

Un ordre régional qui repose sur l’exclusion de deux des plus puissants États de la région n’a que très peu de chances de subsister sur le long terme, quelles que soient les circonstances.

Mais ce ne sont pas les opposants à cet ordre, en premier lieu l’Iran, qui y ont mis fin, ce sont les États-Unis eux-mêmes.

En envahissant l’Irak en 2003 et en échouant à stabiliser le pays au cours de la période d’après-guerre, les États-Unis n’ont pas simplement détruit le pays. L’instabilité en Irak s’est répandue dans toute la région, ce qui a ainsi eu pour conséquence de mettre fin à l’ordre régional et, peut-être plus important encore, d’affaiblir les États-Unis à un point tel que le pays n’avait désormais plus le pouvoir, la crédibilité et la volonté politique de stabiliser le Moyen-Orient et d’y établir un nouvel ordre.

La Pax Americana ayant été tuée et enterrée, les puissances régionales se sont lancées dans un jeu à somme nulle interminable afin de préserver leurs intérêts

Cette période difficile, initiée par les États-Unis eux-mêmes, a laissé un vide qui a également contribué à faire apparaître de nouvelles difficultés sociétales, alors sous-jacentes, dans le monde arabe dont l’émergence avait été empêchée durant la période pré-2003.

Alors que les États-Unis jouissaient de leur toute-puissance, ses alliés autocratiques avaient la conviction de pouvoir mettre un terme aux désaccords internes. Ils pouvaient compter sur le silence des États-Unis : qu’importent les contestations et les appels à la réforme qui s’élevaient à Washington, le pays n’a jamais remis en cause le statu quo politique de ses alliés.

Mais en 2011, les choses étaient d’ores et déjà bien différentes. Les États-Unis étaient désormais affaiblis de manière significative.

Le coût du maintien de l’ordre dans la région s’était envolé, alimenté par la guerre en Irak, tandis que les avantages financiers accompagnant l’hégémonie américaine connaissaient une diminution fulgurante.

À cette époque, maintenir l’ordre supposait non seulement de maintenir la stabilité entre les pays, mais également de reconstruire les États effondrés ou en plein effondrement.

Même si les États-Unis ont tenté de pérenniser Moubarak au pouvoir, les manifestants de la place Tahrir ont révélé une nouvelle réalité : le pays n’avait désormais plus la même capacité que par le passé à influer sur les événements au Moyen-Orient.

Des sympathisants de l’ancien président égyptien, Hosni Moubarak, brandissent le portrait du dirigeant déchu à l’intérieur de la Cour d’appel du Caire le 5 novembre 2015, à l’occasion de l’ouverture du procès en appel de l’ancien homme fort (AFP)

Prêts pour la révolution, mais pas pour la démocratie

Les États-Unis avaient alors perdu tout pouvoir de faire pencher la balance en faveur de Moubarak. Le pays étant été affaibli à la suite de l’invasion malavisée de l’Irak, Washington n’était désormais plus en mesure de protéger ses alliés autoritaires arabes dans la région.

Dès lors que les États-Unis ont cessé d’afficher leur soutien à ces dictatures, les facteurs sociétaux qui existaient de longue date et convergeaient tous dans le sens d’un changement se sont retrouvés au premier plan et ont permis à ces États d’être prêts pour la révolution

Dès lors que les États-Unis ont cessé d’afficher leur soutien à ces dictatures, les facteurs sociétaux qui existaient de longue date et convergeaient tous dans le sens d’un changement (mais qui s’étaient largement heurtés à l’appui porté par Washington aux autocrates) se sont retrouvés au premier plan et ont permis à ces États d’être prêts pour la révolution, mais pas pour la démocratie.

Tout comme il est important d’équilibrer les pouvoirs, il est important de rétablir l’ordre là où règne le désordre.

La Pax Americana ayant été tuée et enterrée, les puissances régionales se sont lancées dans un jeu à somme nulle interminable afin de préserver leurs intérêts, et d’établir un nouvel ordre servant leurs propres besoins en matière de sécurité.

Ces périodes de transition entre différents ordres ont été particulièrement marquées par la violence et l’instabilité.

Alors qu’une position militaire américaine plus affirmée aurait sans doute pu permettre de protéger une partie des intérêts de Washington, ou qu’elle aurait peut-être pu permettre de retarder provisoirement la dégradation de la sécurité dans la région, l’idée qu’une politique américaine plus engagée aurait pu apporter une solution à tous les problèmes n’est qu’une illusion.

Comme l’a indiqué Philip Gordon, ancien directeur en charge de la région Moyen-Orient au sein du Conseil national de sécurité sous l’administration Obama :

« Les États-Unis sont intervenus en Irak et ont occupé le pays, et les conséquences en ont été désastreuses. Les États-Unis sont intervenus en Libye et n’ont pas occupé le pays, les conséquences en ont été désastreuses. Les États-Unis ne sont pas intervenus en Syrie et n’ont pas occupé le pays, les conséquences en ont été désastreuses. »

En l’absence d’une tentative généralisée visant à établir un nouvel ordre – une tâche que Washington n’est pas en mesure d’entreprendre seule –, quelques cas isolés d’intervention militaire ne permettront pas d’instaurer une stabilité durable dans la région ou d’infléchir la trajectoire prise sur le plan politique.

Il serait par ailleurs erroné de dire que l’instabilité actuelle est la conséquence de l’accord historique sur le nucléaire signé avec l’Iran en 2015.

Un tracteur retire les décombres tandis que le gouvernement syrien commence à nettoyer les zones précédemment occupées par les forces de l’opposition dans la ville d’Alep, au nord du pays, le 27 décembre 2016 (AFP)

Le jeu des alliances

Si la rivalité entre l’Arabie Saoudite et l’Iran s’est intensifiée au fil des années, elle trouve ses racines dans le désordre de la période post-2003, et est la conséquence de leur tentative visant à influer sur l’équilibre de la région.

En 2006, l’Arabie Saoudite était déjà, de fait, l’un des partenaires d’Israël dans son combat contre le Hezbollah au Liban

Même la convergence des intérêts saoudiens et israéliens afin de combattre l’Iran préexistait à l’accord sur le nucléaire.

En 2006, l’Arabie Saoudite était déjà, de fait, l’un des partenaires d’Israël dans son combat contre le Hezbollah au Liban.

Aujourd’hui, la différence est que l’Arabie Saoudite est bien plus encline à coopérer avec Israël. L’accord sur le nucléaire n’’est pas la cause, de fait, de leur alliance, il a simplement contribué à la révéler au grand jour.

Peu de signes laissent présager un retour de la stabilité dans la région en 2017. Même si la bataille d’Alep marque un tournant dans la guerre en Syrie, il est peu probable qu’elle en annonce la fin.

La Russie et l’Iran fêtent sans doute leur victoire, mais la région ne connaîtra de véritable période de stabilité qu’à partir du moment où l’ensemble des gouvernements régionaux se seront engagés dans un processus diplomatique visant à établir un nouvel ordre.

Cependant, à l’heure actuelle, les engagements pris touchent davantage à des stratégies militaires qu’à des stratégies diplomatiques. Si cette situation venait à perdurer, l’année 2017 pourrait bien se révéler encore plus sombre que l’année 2016.

- Trita Parsi est le président du Conseil national irano-américain et l’auteur de l’ouvrage à paraître Losing an Enemy - Obama, Iran and the Triumph of Diplomacy (La perte d’un ennemi – Obama, l’Iran et le triomphe de la diplomatie) (Yale University Press, 2017).

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Convoi se préparant à quitter la partie est d’Alep le 15 décembre 2016 (MEE/Zouhair al-Shimale)

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