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Les médias occidentaux marcheraient-ils sur des œufs si des Palestiniens scandaient « Mort aux juifs ! » ?

Les slogans racistes et génocidaires entonnés par des manifestants juifs à Jérusalem le week-end dernier ont été occultés par la presse occidentale, ce qui témoigne d’une politique flagrante de deux poids, deux mesures dans la couverture médiatique du conflit israélo-palestinien
Le législateur israélien d’extrême droite Itamar Ben-Gvir brandit un drapeau israélien sur la place Safra de Jérusalem au début d’une « marche des drapeaux », le 20 avril 2022 (AFP)
Le législateur israélien d’extrême droite Itamar Ben-Gvir brandit un drapeau israélien sur la place Safra de Jérusalem au début d’une « marche des drapeaux », le 20 avril 2022 (AFP)

Des scènes horribles se sont déroulées à Jérusalem le mois dernier. Lors des funérailles de la journaliste d’Al Jazeera assassinée Shireen Abu Akleh, la police israélienne a chargé les participants et les personnes qui portaient son cercueil. Le week-end dernier, la « marche des drapeaux » organisée dans le cadre de la « Journée de Jérusalem » a confirmé sa réputation d’étalage de haine, de fanatisme et de violence à l’encontre des Palestiniens

Ces derniers n’ont pas besoin qu’on leur dise tout cela. C’est ce qu’ils vivent. Si ce ne sont pas les soldats israéliens, ce sont les colons qui les frappent, les harcèlent et brûlent leurs récoltes. Nombre de ces colons ont participé à la marche à Jérusalem. 

Pourtant, pour le monde extérieur, Israël est une démocratie éprise de liberté, fondée sur des valeurs partagées avec l’Occident (ce qui est peut-être vrai, si l’on parle du Far West).

Les médias occidentaux souffrent d’une incapacité chronique à souligner l’asymétrie du conflit entre l’occupant et l’occupé

Depuis des années, les médias contribuent à étouffer les critiques légitimes à l’égard des agissements d’Israël et à ignorer le discours palestinien. La couverture mondiale des récents événements a une fois de plus mis en évidence cette défaillance. Prenons l’exemple de la BBC, grand diffuseur britannique dont la couverture des questions internationales est généralement excellente.

Un reportage de la BBC publié au moment de la marche était intitulé « Vives tensions à Jérusalem avant la marche des drapeaux de la jeunesse israélienne ». Malgré la mention de l’occupation, souvent omise par les médias internationaux, d’autres éléments de contexte cruciaux manquaient à l’appel.

« Traditionnellement, à l’occasion de cette marche, des milliers de jeunes juifs, dont beaucoup brandissent des drapeaux israéliens, dansent et entonnent des chants patriotiques en traversant le dédale de ruelles qui traverse les quatre quartiers historiques », indiquait une version initiale de l’article, qui précisait que les Palestiniens considéraient cet événement « comme une provocation ». L’article ne mentionnait pas la source habituelle de ce sentiment de provocation : les slogans racistes et pro-génocide entonnés par les colons israéliens.

Des passages effacés

Une version ultérieure de l’article faisait référence à l’agression d’une équipe de la BBC, qui « a été agressée verbalement et bousculée par deux manifestants, ce qui a fait perdre à un caméraman une partie de son matériel […]. Des membres des forces israéliennes présents à proximité les ont interrompus mais n’ont pas pris de mesures supplémentaires ». Le reportage précise également que les manifestants scandaient « Mort aux Arabes ! ».

Aussi incroyable que cela puisse paraître, ces passages ont été effacés dans une version ultérieure. La BBC ne m’a fourni aucune explication, si ce n’est que certains éléments auraient été oubliés lors du « processus de mise à jour ». Les passages sont réapparus plus tard après un certain nombre de plaintes. 

Une version ultérieure incluait également le slogan « Que vos villages brûlent ! ». Bien sûr, ce slogan ne figurait pas en tête de l’article, mais dans le neuvième paragraphe. Et de nombreux autres slogans racistes tels que « La seconde Nakba est pour bientôt ! » ou « Vous finirez dans des camps de réfugiés ! » n’ont même pas été mentionnés.

Des manifestants israéliens se rassemblent à la porte de Damas à Jérusalem, le 29 mai 2022 (AFP)
Des manifestants israéliens se rassemblent à la porte de Damas à Jérusalem, le 29 mai 2022 (AFP)

La BBC m’a indiqué que d’après ses équipes sur le terrain, les slogans racistes étaient « répandus » mais pas omniprésents. Si cette description est juste, il ne faut pas minimiser l’ampleur de ces slogans racistes. Ce ne sont pas juste quelques pommes pourries.

La couverture par la BBC de la marche des drapeaux de 2021 a été tout aussi déficiente, bien différente de celle des médias locaux. Le Times of Israel a mis en lumière ce racisme pro-génocide en mettant en avant le slogan « Mort aux Arabes ! » dans son titre principal. Si au cours d’une marche, on entendait des manifestants scander « Mort aux juifs ! », la BBC n’aurait-elle pas raison de s’y intéresser ?

Lorsqu’un groupe d’hommes a scandé des slogans antisémites depuis une voiture dans le nord de Londres l’an dernier, la BBC a couvert l’incident, mentionnant d’emblée les propos injurieux et précisant que la police avait rapidement interpellé les suspects. Pourtant, à Jérusalem, la police israélienne n’a pas procédé à la moindre arrestation pour chants racistes – et la plupart des médias ont ignoré ce fait. 

Une question d’impartialité journalistique

En journalisme, les notions d’équité, d’impartialité et de professionnalisme voudraient que des manifestants juifs israéliens qui scandent « Mort aux Arabes ! » soient au centre de l’attention médiatique internationale. Cela n’a pas été le cas et les Palestiniens n’ont pas non plus eu l’occasion de partager leur ressenti face à cette violence. Les médias occidentaux souffrent d’une incapacité chronique à souligner l’asymétrie du conflit entre l’occupant et l’occupé. 

La colère des Ukrainiens contre les occupants russes est couverte dans le contexte d’une occupation violente. L’agression israélienne contre les Palestiniens est rarement couverte à travers le prisme de l’occupation, d’une discrimination et d’une dépossession systémiques

En ce qui concerne les funérailles de Shireen Abu Akleh, la BBC a noté que le cercueil de la journaliste assassinée avait été « bousculé lors d’affrontements entre la police israélienne et des Palestiniens à sa sortie d’un hôpital de Jérusalem-Est », alors même que des preuves vidéo irréfutables et disponibles à l’époque montraient que la police israélienne avait lancé une charge gratuite contre les participants. 

À la suite de plaintes, l’article a été modifié une nouvelle fois, même si la formulation n’est toujours pas optimale : « Son cercueil a failli tomber lorsque des policiers [israéliens], dont certains étaient armés d’une matraque, sont intervenus dans une foule de Palestiniens rassemblés tout autour. » Les preuves vidéo sont effroyablement claires : le cercueil a basculé parce que la police israélienne frappait ses porteurs.  

Shireen Abu Akleh : comment les médias occidentaux reprennent la propagande israélienne
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Pour être juste envers la BBC, il y a bel et bien une procédure de réclamation et les articles ont bel et bien été modifiés. Mais ce sont les premières versions qui ont le plus d’importance lorsque l’on lit un article sur un événement en cours.  

La BBC, tout comme de nombreux autres médias occidentaux, marchent sur des œufs quand ils couvrent ce conflit. La couverture est parsemée de tournures passives et de formulations vagues, telles que « des affrontements ont éclaté » ou « des violences lors des funérailles d’une journaliste ».

La colère des Ukrainiens contre les occupants russes est couverte dans le contexte d’une occupation violente. L’agression israélienne contre les Palestiniens est rarement couverte à travers le prisme de l’occupation, d’une discrimination et d’une dépossession systémiques. Le racisme anti-arabe est réel et répandu.

Cette absence de couverture médiatique adéquate, surtout lorsque les faits sont aussi flagrants, montre tout le travail que les médias occidentaux doivent encore accomplir.

- Chris Doyle est le directeur du Council for Arab-British Understanding (CAABU). En tant que principal porte-parole de CAABU et expert reconnu de la région, Chris Doyle intervient régulièrement à la télévision et à la radio et donne de nombreuses conférences sur des questions telles que le printemps arabe, la Libye, la Syrie, la Palestine, l’Irak, l’islamophobie et les Arabes en Grande-Bretagne. Il a publié de nombreux articles dans la presse britannique et internationale. Il a organisé le voyage et accompagné de nombreuses délégations parlementaires britanniques dans les pays arabes.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Chris Doyle is the director of CAABU (Council for Arab-British Understanding). As the lead spokesperson for CAABU and as an acknowledged expert on the region, Chris is a frequent commentator on TV and Radio and gives numerous talks around the country on issues such as the Arab Spring, Libya, Syria, Palestine, Iraq, Islamophobia and the Arabs in Britain. He has had numerous articles published in the British and international media. He has organized and accompanied numerous British Parliamentary delegations to Arab countries.
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