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Abdallah, le roi saoudien qui s’est livré aux mauvaises guerres

Le roi Abdallah d'Arabie saoudite s'est livré aux mauvaises guerres, avec les mauvais alliés, et a ainsi rendu son pays vulnérable

Il y a un homme pour qui l'acquittement de Hosni Moubarak sera source de soulagement: le roi Abdallah, son ami et homologue potentat. L'inquiétude du roi saoudien vis-à-vis de Moubarak était telle qu'il a poussé l'armée égyptienne à se montrer plus active au nom de l'ancien dictateur.

Le roi Abdallah a laissé entendre à plusieurs reprises que son assistance était subordonnée à la libération de Moubarak. En août 2013, juste après le coup d'Etat en Egypte, Abdallah a fait pression en faveur de Moubarak alors que l'Arabie saoudite agitait une carotte de 10 milliards de dollars d'aide économique. Moubarak a quitté sa cellule pour être transféré à l'hôpital. Dernièrement, certains signes portent à croire que la libération de Moubarak pourrait ouvrir la voie à une conférence internationale de donateurs que le roi a été le premier à appeler de ses vœux.

L'histoire entre ces deux hommes remonte à l'époque où Abdallah était prince héritier. Moubarak joua un rôle important dans la première guerre du Golfe lorsque la Ligue arabe hésitait à soutenir l'invasion du Koweït. Le président égyptien parvint non seulement à renverser l'opinion arabe, mais il déploya également 33 500 soldats, soit le 4e plus gros contingent de la coalition.

Comme Moubarak, Abdallah se voyait en réformateur. Il est effectivement arrivé au pouvoir avec de grandes espérances. Le royaume dont il a hérité était le premier pays exportateur de pétrole au monde, le gardien des sites les plus sacrés de l'Islam et le centre du monde arabe. Le pays entretenait de bonnes relations avec la plupart de ses voisins arabes. Abdallah saisit également l’occasion pour être maître de lui-même. En mai 2001, il refusa une invitation de Washington suite au soutien apporté par les Etats-Unis à Israël au cours de la seconde Intifada.

Comparez cela au royaume que ce roi âgé pourrait bientôt laisser derrière lui. Quel sera son héritage ?

Le bilan de réformateur d'Abdallah est mitigé. Plus de 70 000 étudiants ont certes accepté sa proposition d'aller étudier dans des universités aux Etats-Unis, en Europe et en Australie. Un cinquième des membres de la choura sont des femmes. Cependant, celles-ci ont toujours l'interdiction de voyager ou d'aller à l'hôpital sans la permission de leur tuteur de sexe masculin. L'homme qui a enfermé quatre de ses filles et les a empêchées de se déplacer librement pendant treize ans n'a pas l'intention de procéder à des changements radicaux dans ce domaine.

Au sujet des droits de l'homme en général, le royaume reste l'un des pays les plus répressifs au monde : les groupes politiques et de défense des droits de l'homme sont interdits, les arrestations arbitraires et les mauvais traitements en détention sont monnaie courante, les enfants peuvent être jugés pour crime capital s'ils montrent des signes de puberté. Et lorsque les autorités sont à court de charges contre des activistes comme Mohammed Saleh al-Bajadi, l'un des fondateurs de l'Association saoudienne pour les droits civils et politiques (ACPRA), elles le rejugent tout simplement avec les mêmes chefs d'accusation.

Dans l'affaire qui le concerne, al-Bajadi est accusé de conjuration criminelle pour avoir « participé à la création d’une organisation non autorisée, entaché l’image de l’État dans les médias, encouragé les familles de prisonniers politiques à manifester et organiser des sit-in, contesté l’indépendance du pouvoir judiciaire et possédé des livres interdits ».

Au niveau national, le mécontentement gronde indéniablement. 70 % des habitants d'un des pays les plus riches de la planète ne sont pas propriétaires de leur logement. Les salaires sont bas et depuis deux ans des campagnes sur Internet reprenant le slogan « Notre salaire est trop bas » se sont répandues comme une traînée de poudre. Les infrastructures ne cessent de se détériorer, comme les habitants de Djeddah en sont régulièrement témoins lorsque leur ville est inondée. Les richesses du royaume n'ont pas atteint les masses.

C'est toutefois en matière de politique extérieure que le déclin du royaume sous le règne d'Abdallah a été si marquant. Abdallah a hérité d'un paysage géopolitique dans lequel le royaume jouissait d’une grande influence au nord comme au sud, et où les aspirations de son rival historique dans la région, l'Iran, étaient contenues. Abdallah entretenait même de bonnes relations avec la Syrie, bénéficiant d'un lien personnel avec le clan Assad. L'une des nombreuses épouses du roi Abdallah (les estimations varient entre 27 et 70 ex-épouses) est la belle-sœur de Rifaat al-Assad, l'oncle de Bachar al-Assad. A la fin de la guerre civile au Liban, c'est dans la ville saoudienne de Taëf que l'accord entre les belligérants a été signé. Lorsque le Hamas et le Fatah ont tenté de se réconcilier, c’est à La Mecque qu’ils ont essayé de le faire la première fois. L'Initiative de paix arabe proposée par Abdallah, bien que malheureuse, est toujours techniquement dans les tiroirs. En fait, si vous aviez un problème dans le monde arabe, vous alliez voir les Saoudiens pour servir de médiateurs, ils avaient des amis partout.

Comparez cette situation à celle d'aujourd'hui. Sous le règne d'Abdallah, au moins trois capitales (Bagdad, Beyrouth et Damas) sont tombées sous influence iranienne.

Abdallah a perdu l'Irak au profit de l'Iran lorsqu'il a soutenu l'invasion de 2003. Il a perdu son influence au Liban au cours de la guerre entre Israël et le Hezbollah en 2006. Rafiq Hariri, le Premier ministre assassiné, ainsi que son fils Saad, avaient tous deux un passeport saoudien. Le roi Abdallah a désormais perdu toute influence dans son arrière-cour, le Yémen, où une machination inspirée par les Emirats arabes unis pour écraser le groupe islamiste Islah s'est retournée contre lui de façon spectaculaire, ouvrant la porte aux miliciens houthis soutenus par l'Iran. Sanaa pourrait devenir la quatrième capitale arabe perdue par Abdallah.

Le roi saoudien s'est tout simplement livré à de mauvaises guerres, avec de mauvais alliés, laissant dans chacune d'entre elles un vide aspirant les vrais ennemis du royaume.

La plus grosse erreur de calcul d'Abdallah a été sa réaction au printemps arabe en 2011, au cours duquel la famille al-Saoud s'est sentie personnellement menacée. Les Saoud ont été secoués par ces dix-huit jours de révolte sur la place Tahrir, pensant pouvoir être les prochains sur la liste. Le roi Abdallah, considérant l'islam politique comme une menace existentielle, a fait le serment de le combattre partout où il le pourrait.

Cette campagne lui a coûté extrêmement cher. Abdallah a perdu la Turquie, un autre acteur essentiel de la stratégie visant à contenir l'Iran. Il a cherché querelle au Qatar, menaçant même à un certain moment d'assiéger cette minuscule enclave du Golfe. Ce faisant, il a quasiment provoqué l'implosion du Conseil de coopération du Golfe, instrument principal de la puissance saoudienne. En tentant de détruire l'islam politique, Abdallah est aujourd'hui témoin de la résurgence d'un véritable ennemi : l'islam extrémiste takfiri ou l'Etat islamique.

Il n’est pas simplement question de propagande. Abou Bakr al-Baghdadi s'est adressé à lui comme « chef des hypocrites » lorsqu'il a menacé le roi personnellement dans son dernier discours. « La famille al-Saoud ne sera plus en sécurité ni en paix », a déclaré le chef de l'Etat islamique. « Sortez votre épée. » Le drapeau noir de l'Etat islamique flotte à la frontière septentrionale de l'Arabie saoudite, en Irak, mais également au sud, au Yémen, ainsi qu'à l'ouest, dans la péninsule du Sinaï. Les chiites étouffés dans l'est du pays, en proie à l'instabilité, constituent une autre force à ne pas négliger. La condamnation pour sédition du cheikh Nimr Baqer al-Nimr, figure de proue des manifestations à Qatif au plus fort du printemps arabe en 2011, a causé un véritable tollé.

Dernier point, et non des moindres, le roi Abdallah a divisé sa propre famille en sabotant le processus de succession. Le prince héritier Salman est en mauvaise santé et serait atteint d'Alzheimer ou d'une certaine forme de démence. Abdallah a tenté de verrouiller la succession avec un décret « immuable » aboutissant à la création du poste de vice prince héritier, qui a été attribué au prince Moqren ben Abdelaziz. A 69 ans, celui-ci est le plus jeune fils encore vivant du roi Abdelaziz. Cependant, Moqren est considéré comme un souverain éphémère.

Il reste donc trois prétendants réels au trône : le prince Miteb, propre fils d'Abdallah, Mohammed Ben Nayef, ministre de l'Intérieur, et Ahmed ben Abdelaziz, le plus jeune frère encore vivant du clan Sudairi. Pour la première fois depuis des décennies, une réelle incertitude règne quant à l'identité du futur dirigeant saoudien.

Additionnez tout cela, et vous avez une idée de l’héritage que le roi Abdallah va léguer.

Un pays qui a échoué à ouvrir son système politique, qui n’est pas parvenu à améliorer le sort de son peuple, qui s'est engagé dans les mauvaises guerres, qui a voué toute son énergie à tenter d'écraser le seul antidote réel à l'islam takfiri, et qui abrite des milliers d'individus désireux d'agiter le drapeau noir de l'Etat islamique. C’est en effet un pays vulnérable.

- David Hearst est rédacteur en chef de Middle East Eye. Il était précédemment journaliste au Guardian où il a occupé les positions de rédacteur en chef adjoint et contributeur principal de la rubrique Actualités internationales, éditeur de la rubrique Affaires européennes, chef du bureau de Moscou, correspondant européen, et correspondant en Irlande. Avant The Guardian, Hearst était correspondant pour la rubrique Education au journal The Scotsman.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo: Le roi d'Arabie saoudite Abdallah ben Abdelaziz al-Saoud s’entretient avec le secrétaire d’Etat américain lors d’une réunion au campement royal en janvier dernier (AFP)

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