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Attentat de l’EI à Dhaka : l’oppression, la pauvreté et la tyrannie engendrent la terreur

La répression continuelle menée par Sheikh Hasina contre des groupes islamiques non-violents a conduit une minorité extrêmement marginale à recourir à la violence

Lorsque j’ai entendu la nouvelle de l’attaque à l’arme à feu perpétrée par l’État Islamique (EI) à Dhaka le 1er juillet dernier, j’ai immédiatement pensé que le Bangladesh avait atteint un point critique. Étant d’origine bangladaise, j’ai visité la « mère-patrie » en de nombreuses occasions. Ma dernière visite remonte à 2012, et la situation politique à Sylhet, d’où sont originaires plus de 90 % des Bangladais britanniques, était volatile.

Le chômage avait grimpé en flèche, la pauvreté était devenue une réalité acceptée par des millions de personnes et la frustration suscitée par le régime autocratique de la Première ministre Sheikh Hasina s’était manifestée par de violentes bagarres de rues et par des grèves. Le Bangladesh n’est pas étranger à la violence politique. Des centaines de milliers de Bangladais ont perdu la vie durant la guerre d’indépendance avec le Pakistan en 1971. Depuis, le pays est devenu en quelque sorte insensibilisé à la violence.     

Dans un enregistrement audio publié en février 2014, le chef suprême d’al-Qaïda, le Dr. Ayman al-Zawahiri, a exhorté les musulmans du Bangladesh à se soulever contre la dictature laïque de Sheikh Hasina. Ses mots et intentions étaient clairs – le rêve d’une nation bangladaise indépendante qui sauvegarderait les droits de l’islam et des musulmans avait échoué – et une insurrection armée contre le régime de Hasina était la seule voie vers une véritable libération.

Bien que de nombreux partis politiques et mouvements islamiques au Bangladesh aient dénoncé la méthodologie d’al-Qaïda et l’appel aux armes de Zawahiri, il n’est pas inhabituel dans ce pays de penser qu’accroître le rôle public de l’islam au sein de la société représente une solution. En fait, des groupes comme Jamaat-e-Islami, Hefazat-e-Islam, Tablighi Jamat et, plus récemment, Hizb ut-Tahir, ont tous exprimé cette idée à leur façon.

Mais comment le Bangladesh a-t-il pu, deux ans plus tard, atteindre un stade où 22 personnes – essentiellement des travailleurs expatriés – se sont fait massacrer dans l’une des zones les plus sécurisées de la capitale par des militants liés à l’EI ?

Soyez assurés que ce crime haineux ne sort pas de nulle part. Au contraire, il découle d’une situation dotée de tous les prérequis sociaux, économiques et politiques donnant habituellement naissance à des groupes comme l’EI, et qui représente une menace latente depuis des décennies.

La tyrannie du régime de Hasina

Nous avons pu observer de nos propres yeux des cas réels où l’instabilité politique, les dictatures laïques, les guerres occidentales et la régression économique ont créé l’environnement parfait pour que des groupes violents réactionnaires non seulement se développent, mais obtiennent également le soutien de certains segments désespérés de la société.

Ceci a sans doute été le cas avec l’EI en Irak, en Syrie et en Libye, et avec al-Qaïda au Pakistan, au Yémen et en Somalie. Le Bangladesh n’est pas si éloigné de ces pays d’un point de vue politique et économique. Le chômage atteint des sommets, la corruption à tous les niveaux de la société est une norme acceptée, la pauvreté est la réalité pour la majorité de la population rurale et des banlieues et, plus important encore, les entraves aux libertés religieuses et politiques imposées par le régime de Hasina se sont aggravées au cours des années.         

Sheikh Hasina jouit du pouvoir depuis près de treize ans dans le cadre d’un système politique d’alternance bipartisane en tandem avec ses rivaux du Parti nationaliste du Bangladesh (BNP), dirigé par Khaleda Zia. Son gouvernement a été considéré comme étant peut-être le plus répressif et violent qu’ait connu le pays depuis son indépendance vis-à-vis du Pakistan.

Sa croisade contre « l’islam politique », et Jamaat-e-Islami en particulier, a montré que Hasina n’a ni secret ni honte au sujet de sa répression brutale de groupes islamiques de tous bords. Ceci est illustré par les exécutions très médiatisées de hauts responsables de Jamaat-e-Islami pour des crimes présumés commis durant la guerre d’indépendance – des verdicts qui ont été prononcés par l’instance politiquement motivée qu’est le Tribunal international des crimes (ICT) du Bangladesh.  

Outre ses assassinats extrajudiciaires d’adversaires politiques via l’ICT, le 5 mai 2013, le régime de Hasina a perpétré l’un des plus lugubres meurtres de masse depuis la guerre d’indépendance – le massacre de Motijheel. Des milliers de manifestants pacifiques appartenant au mouvement apolitique Hefazat-e-Islam s’étaient rassemblés dans le quartier financier de Shapla Square pour protester contre les réformes laïques de la constitution menées par Hasina. Les autorités donnèrent aux manifestants qui prenaient part à un sit-in l’ordre d’évacuer la place avant la tombée de la nuit, ce qui malheureusement conduisit au terrible massacre de centaines de manifestants non armés au cours de la nuit – dont les corps furent enterrés dans des fosses communes avant le lever du soleil. C’était l’équivalent bangladais du massacre de la place Rabia el-Adaouïa en Égypte, et peut-être l’un des plus sombres chapitres de l’histoire du pays.  

Convoyeur de violence               

Vous vous demandez peut-être ce que tout ceci a à voir avec l’attentat du 1er juillet 2016 inspiré par l’EI à Dhaka. Il me semble que c’est désormais d’une évidence aveuglante. Comme je l’ai dit ci-dessus, nous avons vu de nos propres yeux comment la violence anti-régime est devenue une option viable dans le monde arabe quand la censure de la liberté religieuse et politique n’a pu être tolérée davantage, quand les voix islamiques modérées ont été étouffées, et les richesses nationales monopolisées par l’élite au pouvoir.

N’est-ce pas là la justification morale qui a provoqué ce qui a été surnommé alors le « Printemps arabe » ? C’est lorsque Mouammar Kadhafi et Bachar al-Assad ont dirigé leurs fusils contre leur propre peuple pour avoir manifesté pacifiquement contre des décennies d’oppression étatique que celui-ci a répondu à la violence par la légitime défense. Je me rappelle aussi que c’est seulement après la destitution du premier président élu démocratiquement en Égypte, et la répression qui a suivi contre les Frères musulmans, que nous avons vu l’EI cabrer sa vilaine tête dans le Sinaï.

En prenant tout cela en compte, les analystes politiques et les journalistes devraient comprendre que l’histoire et les événements récents ont invariablement prouvé que là où règnent la pauvreté, le chômage et la censure religieuse, des groupes violents réactionnaires comme l’EI non seulement remplissent le vide politique, mais sont aussi susceptibles de prospérer et de continuer à le faire sous différentes formes.

La triste réalité est que la violence engendre la violence – et le barbarisme irréfléchi devient pour certains une option viable et attractive quand des années d’oppression sous le joug de dictatures laïques ne parviennent pas à faire naître les « fruits » de la démocratie.

Bien que les crimes abjects des criminels liés à l’EI soient indubitablement contre tous les principes de guerre islamiques, il est indéniable que la répression continuelle menée par Sheikh Hasina à l’encontre de groupes islamiques non-violents a conduit une minorité extrêmement marginale à recourir à la violence ; et la possibilité que cela fasse boule de neige et se transforme en une guerre civile de type syrien entre le régime de Hasina et les nombreuses factions qui s’y opposent avec véhémence n’est pas si éloignée.

- Dilly Hussain est le rédacteur en chef adjoint du nouveau site d’information britannique musulman 5Pillars. Il écrit aussi pour le Huffington Post, Al Jazeera English, Foreign Policy Journal et Ceasefire Magazine. Il apparaît régulièrement sur Islam Channel, Russia Today et la BBC TV et radio pour discuter des questions politiques au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, de la politique étrangère britannique, de l’islamophobie et de la guerre contre le terrorisme. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @dillyhussain88

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : un montage composé de photos publiées par la branche bangladaise du groupe État islamique montre les cinq auteurs présumés de l’attaque à l’arme à feu perpétrée dans la capitale Dhaka le 1 juillet 2016 (AFP).

Traduit de l’anglais (original).

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