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Comment une agence de santé de l’ONU est devenue l’apologiste des atrocités d’Assad

En gardant le silence sur la destruction des services de santé par le gouvernement et ses alliés, l’OMS est complice de crimes de guerre, affirme le Dr Annie Sparrow

Depuis des années, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) traficote avec le gouvernement syrien alors que la Syrie brûle, saigne et meurt de faim. Malgré les centaines de millions de dollars dépensés par l’OMS en Syrie depuis le début du conflit en mars 2011, l’état de la santé publique du pays est passé d’inquiétant en 2011 à catastrophique aujourd’hui.

Mettons cela en perspective : alors que l’espérance de vie pour une personne née aux États-Unis a augmenté de six mois entre 2010 et 2015, passant de 78,7 ans à 79,3 ans, sur la même période en Syrie, elle a chuté de plus de 15 ans : de 70,8 ans en 2010 à 55,4 ans en 2015.

Ce nouveau chiffre accablant est comparable à celui du Soudan du Sud (57,3 ans) et considérablement inférieur à celui de l’Afghanistan (60,5 ans), du Rwanda (66,1 ans) et de l’Irak (68,9 ans). Tandis que l’espérance de vie moyenne mondiale pour les bébés nés en 2015 est de 71,4 ans, les garçons en Syrie peuvent s’attendre à vivre seulement 48 ans, les filles, 65 ans.

Même les bébés haïtiens peuvent s’attendre à vivre en moyenne 63,5 ans, malgré deux siècles de troubles politiques et les pires taux de maladies infectieuses comme le VIH et le choléra de l’hémisphère occidental.

La raison de l’effondrement de la santé publique en Syrie peut être illustrée par la chute définitive et dévastatrice de l’est d’Alep.

Bombardement systématique

Comme les habitants de Mouadamiya, Homs et Daraya avant eux, le dernier quart de million de civils de l’est d’Alep et 10 000 membres de milices ont succombé après des mois de siège ajoutés aux années de ciblage systématique des maisons civiles, des hôpitaux et des magasins par des missiles, des bombes barils, des attaques chimiques, des bombes anti-bunkers, des armes incendiaires et des munitions à fragmentation.

Les principaux agresseurs sont le gouvernement syrien de Bachar al-Assad et ses principaux alliés, la Russie surtout depuis les airs, avec le soutien sur le terrain de l’Iran et du Hezbollah.

Des dizaines de milliers de civils ont été évacués de l’est d’Alep vers la campagne à l’ouest de la ville et le gouvernorat d’Idleb, tous deux encore contrôlés par des groupes d’opposition tels que Ahrar al-Sham (principale force rebelle) et Jabhat al-Nosra (qui s’est récemment rebaptisé, affirmant qu’il s’était séparé d’al-Qaïda).

Une telle dislocation ne fait qu’exacerber la crise sanitaire à laquelle sont confrontés environ 2,5 millions de civils à Idleb – les personnes déplacées et leurs communautés d’accueil – et le demi-million d’habitants des zones de l’ouest d’Alep contrôlées par les rebelles. Sans compter les 4 millions de civils supplémentaires vivant dans d’autres zones de l’opposition, dont plus d’un million vivent dans des zones encore assiégées par le gouvernement.

Des civils syriens arrivent à un poste de contrôle des forces pro-gouvernementales, après avoir quitté les quartiers de l’est d’Alep, le 10 décembre 2016 (AFP)

Cela rend d’autant plus nécessaire l’assistance de l’OMS en Syrie, qui devrait être dispensée selon les besoins et le principe d’impartialité, l’un des principes éthiques fondamentaux de l’OMS.

Cependant, l’OMS en Syrie a été tout sauf une agence impartiale au service des nécessiteux. Comme l’indique le discours d’Elizabeth Hoff, représentante de l’OMS en Syrie, devant le Conseil de sécurité des Nations unies le 19 novembre 2016, l’OMS a accordé la priorité aux relations cordiales avec le gouvernement syrien pour répondre aux besoins les plus urgents du peuple syrien.

À LIRE : Réponse de l’OMS à l’article du Dr Annie Sparrow sur son travail en Syrie

Reflet de cette mauvaise priorisation, l’exposé de Hoff regorgeait d’imprécisions, manquait de faits et était profondément faussé en faveur du régime syrien. Ce parti pris peut être illustré par trois éléments particulièrement troublants de sa présentation.

Représentation erronée des maladies infectieuses

Tout d’abord, en ce qui concerne les maladies infectieuses – une préoccupation mondiale car les germes ne respectent pas les frontières –, Hoff a présenté de manière positive les efforts du gouvernement syrien tout en inventant un rôle central de secours pour son bureau de l’OMS. Elle a affirmé qu’avant le conflit, « les taux nationaux de couverture vaccinale étaient de 95 % », mais maintenant, « presque six ans plus tard […] les taux de couverture vaccinale ont diminué de moitié ».

La promotion par Elizabeth Hoff, représentante de l’OMS en Syrie, des surévaluations du gouvernement concernant la vaccination contribue à masquer la politisation de cette forme fondamentale de soins par ce dernier

Elle a également témoigné devant le Conseil de sécurité que la poliomyélite, une maladie infantile mortelle qui est réapparue en Syrie en 2013 après avoir été éliminée en 1995, a été « ré-éradiquée grâce aux efforts concertés de l’OMS et de l’UNICEF ».

En fait, bien que le gouvernement syrien insiste sur le fait que le taux national de couverture vaccinale contre la poliomyélite pour 2009 et 2010 était de 99 %, l’OMS et l’UNICEF estiment que ce taux était seulement de 83 % – et même ce chiffre s’est vu décerné le degré de fiabilité le plus faible en raison du manque de données pour l’appuyer. Ces estimations et les « chiffres officiels » contrastés sont cités dans le Plan stratégique 2013 de l’OMS et de l’UNICEF pour l’élimination de la poliomyélite au Proche-Orient.

Hoff informe le Conseil de sécurité des Nations unies en novembre 2016 (AFP)

En effet, parmi les raisons de l’insurrection de 2011 en Syrie figuraient les années pendant lesquelles le régime d’Assad a refusé la vaccination standard des enfants – qui les protègent contre les maladies telles que la poliomyélite, la coqueluche et la rougeole – dans des zones considérées politiquement hostiles comme les provinces d’Idleb, d’Alep et de Deir ez-Zor, tandis que les zones pro-régime comme Damas et Tartous ont bénéficié d’une couverture totale. Le gouvernement syrien insiste sur le fait que la couverture de la rougeole était de 99 % en 2010 et allègue une couverture de 100 % pour la vaccination contre la diphtérie, la coqueluche et le tétanos, contrairement aux estimations de l’OMS et de l’UNICEF s’élevant à 82 % et 87 % respectivement.

La promotion par Hoff des surévaluations du gouvernement concernant la vaccination contribue à masquer la politisation de cette forme fondamentale de soins par ce dernier. Pour être plus précis, bien que Hoff ne le sache pas, étant donné son manque d’expertise médicale, si les taux de couverture nationale avaient été vraiment aussi élevés avant le conflit, comme l’affirment le gouvernement d’Assad et elle, la polio ne serait jamais réapparue en 2013.

En effet, la propagation de la poliomyélite nécessite une immunité collective (la protection conférée à toute la population lorsque la couverture vaccinale atteint un seuil critique) pour tomber en dessous de 80 – 86 %. Il faudrait plus de trois ans pour que l’immunité collective passe de 99 % à un quelconque niveau approchant, compte tenu notamment de la baisse concomitante du taux brut de natalité et de fécondité.

En outre, Hoff lie le risque de polio et d’autres maladies invalidantes et mortelles pour les enfants non vaccinés au conflit. Cette justification selon laquelle la polio est le résultat du conflit – qui se reflétait également dans le rapport de l’OMS de 2014 « Polio: War in Syria opens the door to an old enemy » – est souvent répétée par le gouvernement syrien. Mais blâmer le conflit en soi est paresseux et faux.

La polio n’est pas réapparue en Irak tout au long des huit années de la guerre en Irak (2003-2011), mais a explosé en Syrie après seulement deux ans de guerre – puis s’est propagée en Irak, presque certainement suite au déplacement forcé de civils du nord-est de la Syrie.

En août 2014, des Irakiens déplacés qui ont fui les combats entre l’État islamique et les combattants kurdes irakiens dans les régions de Mossoul et d’Anbar reçoivent des vaccins contre la poliomyélite dans une mosquée près de Bassora (AFP)

La réémergence de la poliomyélite en Syrie est cohérente avec les faibles taux de vaccination préexistants et la vulnérabilité des enfants syriens vivant dans des régions éloignées du gouvernement comme Deir ez-Zor, Alep et d’autres gouvernorats du nord.

Tous les cas de poliomyélite en Syrie se sont déclarés dans des zones qui étaient depuis longtemps opposées au régime d’Assad, reflétant la dimension politique de l’épidémie.

Aucun cas ne s’est déclaré dans un territoire contrôlé par le gouvernement. À Deir ez-Zor, où la polio est d’abord réapparue en 2013, la couverture vaccinale contre la poliomyélite a chuté à 36 %. C’était une épidémie causée par l’homme. Hoff a ignoré tout cela.

Dissimulation de la polio

Lorsque la polio est réapparue en juillet 2013, le ministère syrien de la Santé l’a cachée pendant des mois, insistant sur le fait que son système d’alerte précoce et de réaction, mis en place en septembre 2012 avec l’aide technique et l’appui financier exclusif de l’OMS, était fiable.

Puis, au cours de la première semaine d’octobre 2013, des échantillons d’un groupe d’enfants infirmes de Deir ez-Zor introduits clandestinement en Turquie pour y être analysés ont également été envoyés au laboratoire national de Damas.

Damas a d’abord insisté sur le fait que les échantillons étaient contaminés, puis qu’ils présentaient le syndrome de Guillain-Barré, bien que ce syndrome soit déterminé par un diagnostic clinique, et non par un test de laboratoire.

L’affirmation de Hoff selon laquelle la poliomyélite a été « ré-éradiquée grâce aux efforts concertés de l’OMS et de l’UNICEF » est une tentative incroyablement scandaleuse de réécrire l’histoire

C’est seulement en octobre 2013 que le ministère syrien de la Santé a reconnu qu’une épidémie de poliomyélite était en cours après que des preuves irréfutables en laboratoire ont été fournies grâce aux efforts coordonnés des médecins travaillant dans les zones de conflit, de l’Assistance Coordination Unit (UCA) soutenue par l’opposition, du gouvernement turc et des Centers for Disease Control (CDC) des États-Unis.

L’affirmation de Hoff selon laquelle la poliomyélite a été « ré-éradiquée grâce aux efforts concertés de l’OMS et de l’UNICEF » est une tentative incroyablement scandaleuse de réécrire l’histoire et de s’attribuer un mérite qui n’a pas lieu d’être.

En fait, comme indiqué, l’OMS n’a rien à voir avec la découverte ou le confinement de l’épidémie de poliomyélite, se conformant à la ligne du gouvernement pendant les premiers stades de l’épidémie de poliomyélite, démentant la réémergence de la poliomyélite pendant des mois, et soutenant le système de surveillance du gouvernement alors qu’il n’a pas réussi à détecter l’épidémie.

Ce n’est que lorsque des preuves indépendantes ont rendu tout déni impossible que l’OMS a finalement reconnu la réapparition de la polio en Syrie le 29 octobre 2013, au lendemain du ministère syrien de la Santé.

En ce qui concerne l’endiguement de l’épidémie de poliomyélite, tout le mérite va au Polio Control Task Force (PCTF) indépendant, un groupe d’ONG syriennes et internationales de santé formé pour faire face à l’urgence de la polio en l’absence d’un gouvernement efficace avec un réseau de 8 000 bénévoles dans les gouvernorats du nord.

Il a été soutenu par le gouvernement turc, qui l’a aidé à acheter des vaccins indépendamment de l’OMS et de son organisation sœur de l’ONU, l’UNICEF. Sans l’aide de l’OMS ou de l’UNICEF, le PCTF a vacciné 1,4 million d’enfants au cours de huit campagnes de vaccination distinctes menées dans sept gouvernorats, atteignant un taux de couverture de 92 %. Cela a mis fin à la poliomyélite.

Le PCTF a été soutenu dans cet effort non pas par l’OMS ou l’UNICEF, auxquels le gouvernement syrien a interdit de participer, mais par le Comité International de Secours (IRC), l’International Medical Corps (IMC) et les gouvernements turc et français.

L’autosatisfaction de Hoff vis-à-vis d’une campagne que l’OMS s’est vue interdire de soutenir par le même gouvernement qui a créé les conditions ayant rendu possible le retour de la poliomyélite ne mentionne pas non plus le personnel médical et les bénévoles qui ont perdu la vie durant cette campagne de vaccination sous les frappes aériennes ciblées de l’aviation du régime d’Assad.

La dépendance de l’OMS à la surveillance et aux informations limitées et politisées de la santé publique du gouvernement syrien s’étend au-delà de la polio.

Tuer des médecins, bombarder les hôpitaux

Dans « Cholera in the time of war », publié en octobre 2016 par le British Medical Journal of Global Health, mes collègues et moi-même décrivons des problèmes semblables en ce qui concerne le choléra – une autre maladie qui reflète la négligence d’avant la guerre puis la destruction délibérée du système de santé publique dans les zones d’opposition en temps de guerre.

Le gouvernement syrien a censuré la plupart des informations concernant une épidémie de choléra qui a éclaté en 2009 ainsi que les décès de plusieurs enfants dus au choléra en octobre 2015.

Le deuxième aspect troublant du témoignage de Hoff en novembre concerne sa mention des « attaques répétées contre des établissements de santé en Syrie ».

Sur les 768 médecins tués au cours de cette période, tels que documentés par PHR, 713 ont été tués par les forces gouvernementales syriennes et russes

Elle a cité 126 attaques de ce type entre janvier et septembre 2016, mais ne note pas que le principal responsable de ces attaques était le régime syrien, auquel s’était joint son allié russe.

Selon Physicians for Human Rights (PHR), les forces syriennes et russes étaient responsables de plus de 90 % des quelque 400 attaques perpétrées contre 276 établissements de soins différents entre mars 2011 et juillet 2016.

Des hommes pêchent dans une rivière dans la ville de Deir ez-Zor, en Syrie, en février 2014 (AFP)

Sur les 768 médecins tués au cours de cette période, tels que documentés par PHR, 713 (près de 93 %) ont été tués par les forces gouvernementales syriennes et russes.

Ces attaques coïncident avec le fait que le gouvernement cible des civils dans des zones de l’opposition où vivent environ sept millions de civils.

Entre le 1er août et le 30 novembre 2016, la Société médicale syro-américaine (SAMS) a documenté 112 attaques supplémentaires contre des établissements de santé dont 111 commises par des forces pro-régime. Ces attaques figurent dans un rapport SAMS publié au début du mois.

Depuis août, au moins 29 autres professionnels de santé ont été tués, comme en témoigne le Réseau syrien pour les droits de l’homme, ce qui porte le total à 797, dont 742 (93 %) tués – en service – par des frappes aériennes pro-régime.

De nouveau, Hoff n’a pas mentionné tout cela dans son témoignage.

Ne rien voir, ne rien dire

Au-delà du refus de nommer les auteurs de ces attaques, Hoff a obscurci la question en décrivant la « militarisation des établissements de soins par plusieurs parties au conflit » comme « une autre violation visible », tout comme le « ciblage du personnel médical ».

Cette militarisation existe en effet, mais il s’agit d’un problème insignifiant comparé au ciblage par les gouvernements syrien et russe des établissements de santé où il n’y avait pas de militarisation en vue.

L’ASL, Ahrar al-Sham et même Jabhat al-Nosra ont demandé que les hôpitaux ne soient pas construits près de leurs bases militaires pour ne pas subir de dommages collatéraux lorsque les hôpitaux sont ciblés par l’armée de l’air syrienne

En effet, les médecins syriens qui ont été en contact avec des groupes militaires non étatiques tels que l’Armée syrienne libre, Ahrar al-Sham et même Jabhat al-Nosra m’ont dit que ces groupes avaient demandé à ce que les hôpitaux ne soient pas construits près de leurs bases militaires car ils ne veulent pas subir de dommages collatéraux lorsque les hôpitaux sont ciblés par l’armée de l’air syrienne.

Il est symptomatique que le témoignage de Hoff, apporté moins de 24 heures après la destruction des derniers hôpitaux de soins post-traumatiques de l’est d’Alep par des attaques aériennes syriennes et russes ciblées, y compris le seul hôpital pédiatrique, ne mentionne pas ces attaques ni les civils tués.

Hoff n’a pas non plus décrit les conséquences de ces frappes incessantes sur les établissements de santé.

Par exemple, elle a fait remarquer sans plus de précisions que les femmes enceintes n’accouchent pas en toute sécurité, mais que les femmes enceintes dans les villes gouvernementales comme Damas, Tartous, Soueïda, Lattaquié, Quneitra ont, elles, bien accès à des accouchements sécurisés, des obstétriciens et des transfusions sanguines.

Une Syrienne s’occupe de son mari dans le dernier hôpital en service alors que les gens attendent d’être évacués le 18 décembre 2016 dans la dernière poche rebelle d’Alep (AFP)

Il n’y a que dans les zones de l’opposition que les services de santé sont compromis en raison des dommages et des destructions résultant des frappes aériennes effectuées par les forces pro-gouvernementales.

Dans la Ghouta orientale, par exemple, où vivent 450 000 civils et où près de 600 bébés naissent chaque mois, les obstétriciens se font rares.

Par ailleurs, en raison des attaques, il est trop dangereux pour les femmes enceintes de passer des heures dans les hôpitaux comme le demande souvent un accouchement normal. À la place, elles doivent subir des césariennes. Selon les données recueillies par les médecins auxquels j’ai parlé et qui ont été corroborées par la SAMS, le taux de césariennes dans les zones fortement ciblées, comme l’est d’Alep (jusqu’à sa chute) et la Ghouta orientale, était de 60 à 70 %.

C’est plus du double de la moyenne américaine pour les césariennes à faible risque (26 %).

Ne jamais nommer le responsable

Elizabeth Hoff a déclaré que l’OMS condamne les attaques contre les services de santé « dans les termes les plus fermes », mais l’OMS en Syrie n’a signalé aucune attaque jusqu’en 2016, et même maintenant n’indique jamais qui est responsable.

La seule exception fut en mars 2015, trois ans après le début des assauts systématiques du régime contre les services de santé de territoires hostiles sur le plan politique, quand Hoff a rapporté non pas une attaque syrienne, mais une attaque des forces de la coalition menée par les États-Unis à Deir ez-Zor.

Les subventions de l’OMS libèrent également les fonds du ministère de la Défense syrien, ce qui leur permet d’être utilisés pour financer le ciblage des hôpitaux et des infrastructures civiles

Elle n’a pas non plus expliqué que cette attaque particulière visait l’aile d’un hôpital qui avait été repris par des combattants de l’État islamique (EI) à des fins militaires.

Il est absurde de se plaindre devant le Conseil de sécurité de l’ONU, comme l’a fait Hoff, que « nos appels répétés à la protection des services, des installations et du personnel de santé tombent toujours dans l’oreille d’un sourd » : à l’exception du cas susmentionné impliquant des forces non syriennes, l’ONU ne mentionne jamais le responsable.

Pour être juste, il s’agit d’une politique adoptée non seulement au niveau d’Elizabeth Hoff, mais aussi par le siège de l’OMS à Genève.

Ces obscurcissements et ces euphémismes sont particulièrement préoccupants car la santé est l’un des rares domaines où il serait possible de parvenir à un consensus mondial, même au milieu d’un conflit armé.

Par exemple, la variole a été éradiquée par de nombreux États travaillant ensemble, sous la direction de l’OMS. Mais le gouvernement syrien, plutôt que de se préoccuper de la santé de ses citoyens, utilise la maladie et la privation de soins comme un élément de crime de guerre dans sa stratégie de guerre – comme l’OMS le sait sans doute, même si elle ne veut pas le reconnaître publiquement.

Complicité dans la dissimulation

L’OMS ne se contente pas de couvrir les méfaits médicaux du gouvernement syrien, elle en est aussi activement complice.

« Blood and war », un article que j’ai récemment co-écrit, montre que l’OMS en Syrie a menti régulièrement aux donateurs et aux médias à propos de son subventionnement du ministère de la Défense syrien entre 2014 et 2016, achetant pour lui des millions de dollars de kits de transfusion sanguine, de tests de dépistage des maladies transmises par le sang telles que le VIH, les hépatites B et C, et du matériel.

Il en résulte non seulement que le contrôle de ces biens essentiels pour sauver des vies a été remis entre les mains d’une institution qui a longtemps ignoré les principes humanitaires et refusé des transfusions sanguines sûres non seulement aux soldats blessés de l’opposition mais aussi à des dizaines de milliers de civils blessés chaque mois à Alep Est, dans la Ghouta et d’autres zones tenues par les rebelles.

Ces subventions libèrent également les fonds du ministère de la Défense qui auraient été consacrés à ces besoins liés au sang, lui permettant ainsi de financer le ciblage des hôpitaux et des infrastructures civiles, l’incarcération et la torture des médecins – bref, toute chose qui s’oppose aux prétendues priorités de l’OMS en matière de santé publique.

Voici la correspondance qui a eu lieu en mars dernier entre Hoff et le major-général Ussama Jamil Ahmad, médecin, troisième plus haut responsable du ministère de la Défense et directeur de la Banque nationale du sang, qui est contrôlée par le ministère de la Défense :

Trois mois plus tard, à l’occasion de la Journée mondiale du don de sang le 14 juin, le major-général Ahmad a décerné cette plaque à Hoff – en son absence – lors d’une cérémonie tenue à la Banque du sang de Damas.

Une plaque dédicacée à Elizabeth Hoff en reconnaissance de ses efforts a été présentée lors d’une cérémonie tenue par le gouvernement syrien à Damas en juin 2016 (SANA)

Traduction du libellé sur la plaque : « L’établissement général du sang et du matériel médical ; Journée mondiale du don de sang 14 juin 2016 ; Remerciements et reconnaissance ; Me Elizabeth Hoff, Représentante régionale de l’OMS ; Pour ses efforts envers le développement et le soutien à l’institution »

Minimiser les sièges

Le troisième point problématique du témoignage de Hoff concerne l’accès humanitaire.

À ce sujet, on peut féliciter Hoff d’avoir accusé nommément le gouvernement syrien de différer l’autorisation concernant la livraison de fournitures médicales et chirurgicales dans les endroits « difficiles à atteindre » et « assiégés ».

Elle n’a toutefois pas expliqué que ces termes politiquement neutres sont des euphémismes désignant les territoires contrôlés par l’opposition, évitant ainsi de souligner la dimension politique du blocage de l’aide ou la responsabilité du gouvernement envers 98 % de plus d’un million de personnes contraintes de vivre dans une zone assiégée (jusqu’à la chute d’Alep, 1,3 million de personnes).

Hoff s’est abstenue de mentionner le massacre de Hass en octobre 2016 par les forces pro-gouvernementales qui ont soigneusement visé cinq établissements scolaires lors d’un bombardement qui a tué vingt-deux enfants et six enseignants

De même, tout en attirant l’attention sur l’est d’Alep, décrit comme « la plus grande vitrine des souffrances de la Syrie », Hoff n’a pas mentionné que les impitoyables frappes aériennes des forces syriennes et russes – à l’aide de missiles, de bombes barils, de bombes anti-bunkers et de roquettes – ont détruit les huit derniers hôpitaux de cette zone en novembre.

Elle n’a pas non plus mentionné les munitions à fragmentation et les autres armes illégales, notamment les bombes chimiques utilisées par les forces gouvernementales pour cibler les civils d’Alep Est.

En revanche, elle a attiré l’attention sur une attaque au mortier effectuée par les forces rebelles sur une école de l’ouest d’Alep, qui a fait six victimes.

Elle a affirmé à cette occasion que « des dizaines d’enfants [avaient] été tués ou blessés », tout en s’abstenant de mentionner le massacre de Hass en octobre par les forces pro-gouvernementales qui ont soigneusement visé cinq établissements scolaires lors d’un bombardement qui a tué vingt-deux enfants, six enseignants et onze autres civils.

Un de mes collègues, le Dr Khaled Alaji, a réalisé ce jour-là 90 drainages thoraciques sur des enfants dont les poumons étaient remplis de sang.

Fables et vérité sur l’aide bloquée

Lorsque Hoff a décrit le rôle humanitaire de l’OMS, son discours était vague et obscur.

Elle a déclaré que l’OMS « [avait] livré plus de neuf millions de traitements médicaux dans toute la Syrie » et que l’agence et ses partenaires onusiens avaient atteint pour la première fois depuis plusieurs années toutes les zones assiégées.

À LIRE : Réponse de l’OMS à l’article du Dr Annie Sparrow sur son travail en Syrie

Si Hoff ne cherchait pas à donner une image aussi positive de la réalité, elle aurait peut-être noté qu’il aura fallu plusieurs années avant que le gouvernement syrien n’autorise l’accès ne serait-ce qu’une fois à toutes les zones assiégées.

Hoff s’est exprimée sur la « livraison de plus de 9 millions de traitements médicaux » par l’OMS, mais a surtout tu ce que l’OMS a effectivement livré.

En fait, selon les comptes-rendus de réunions pertinentes que j’ai consultés et qui ne sont pas rendus publics, l’OMS a stocké 90 tonnes de traitements dans l’ouest d’Alep, contrôlé par le gouvernement, car elle n’a jamais été autorisée à les livrer à Alep Est.

Parfois, elle en a été réduite à livrer des boîtes d’articles non essentiels comme du shampooing contre les poux, étant donné le refus répété du gouvernement syrien d’autoriser les médicaments et l’équipement vitaux à atteindre ceux qui en ont désespérément besoin.

L’OMS a stocké 90 tonnes de traitements dans l’ouest d’Alep, car elle n’a jamais reçu l’autorisation de les livrer à Alep Est

Hoff a terminé avec plusieurs demandes au Conseil de sécurité de l’ONU, lesquels semblent à première vue illogiques à moins de les considérer dans le contexte de la complicité de l’OMS avec le gouvernement syrien.

Tout d’abord, elle a demandé non pas la cessation des frappes aériennes sur les hôpitaux, mais « d’approuver un système où toutes les parties disposent des coordonnées de tous les convois et établissements de santé et où toutes les attaques sont enregistrées ».

Ensuite, elle a demandé non pas la levée des sièges contre plus d’un million de civils, mais le soutien à un « accès continu et inconditionnel à tous les sites assiégés et difficiles d’accès ».

Enfin, à juste titre, elle a demandé de l’aide pour permettre l’évacuation des patients gravement malades et des familles.

Peut-être pensait-elle aux jumeaux siamois de la Ghouta orientale, nés en juillet, qui, suite à de grandes pressions, ont pu être évacués vers Damas, mais se sont vus refuser une évacuation sûre du pays pour une séparation chirurgicale critique offerte par des centres accrédités aux États-Unis, en Allemagne et en Arabie saoudite, tous frais payés.

Au lieu de cela, le gouvernement syrien a apparemment préféré essayer de jouer au héros en séparant les jumeaux lui-même en dépit d’un manque d’expertise. La mort subite des jumeaux a été officiellement imputée à une insuffisance cardiaque, un diagnostic incompatible sur le plan clinique avec l’état des jumeaux à l’époque.

L’échec de l’OMS à corriger ce diagnostic, à demander une autopsie, sans parler d’encourager une évacuation internationale, au lieu de blâmer les parents, pose la question : l’OMS a-t-elle aidé à cacher la raison de la mort des jumeaux, après ce qui a été vraisemblablement une séparation chirurgicale bâclée ?

Convois de shampooings et de linceuls

Avec ce bilan inquiétant d’apologie des atrocités du gouvernement syrien, sinon de complicité active, il n’est pas surprenant que tant de Syriens, tant dans le territoire gouvernemental que dans les zones d’opposition, aient perdu confiance en l’OMS.

Comme l’a déclaré le docteur Monzer, directeur de la santé à Idleb : « Nous n’avons pas besoin de leurs convois de shampooing et de linceuls. Il suffirait qu’ils cessent de soutenir un régime qui envoie des missiles et des bombes chimiques. »

Vu les récents remerciements publics de Hoff à la Russie pour la fourniture de soins primaires d’urgence à certains civils contraints de fuir Alep – alors que la Russie a contribué à détruire tous les hôpitaux de l’est de la ville –, il est difficile d’avoir foi en la version de Hoff, en tant que représentante de l’OMS pour la Syrie, en ce qui concerne la catastrophe syrienne en matière de santé publique, en sa compétence pour y remédier et encore moins en le prétendu respect par l’OMS des principes humanitaires d’impartialité, de neutralité et d’humanité.

- Le docteur Annie Sparrow est professeure adjointe à l’Institut de santé mondiale Arnhold de l’école de médecine Icahn à l’hôpital Mount Sinai de New York.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Crédit photo : AFP.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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