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Crise de l’électricité à Gaza : l’Autorité palestinienne aggrave la misère des habitants

L’AP se joint à l’Égypte et à Israël pour punir collectivement les Palestiniens de Gaza tout en affirmant qu’elle a à cœur leur intérêt supérieur

L’annonce faite la semaine dernière par l’Autorité palestinienne (AP), qui a décidé de ne plus payer Israël pour l’électricité qu’il fournit à la bande de Gaza, est aussi inhumaine que malavisée et contre-productive.

Cette décision survient dans le contexte de la querelle entre l’AP et le Hamas, qui gouverne Gaza. Israël fait affaire avec l’AP pour l’approvisionnement en électricité et en carburant dans la mesure où il ne s’engage pas avec le Hamas.

Cette mesure s’inscrit dans le cadre des efforts récemment accentués par l’AP dans le but d’exercer une pression financière sur le Hamas et d’affaiblir son emprise sur le territoire (la force directe ne représente pas une option viable depuis que le Hamas a délogé l’AP de Gaza il y a une décennie).

Quelques semaines avant, l’AP a réduit le salaire de ses 60 000 fonctionnaires à Gaza – mais pas en Cisjordanie – de 30 %. Ces fonctionnaires « sont l’un des piliers de l’économie en difficulté de Gaza », a rapporté Al-Jazeera English.

Une punition collective

Le timing de la décision d’arrêter de payer l’électricité a peut-être été motivé par la rencontre qui a eu lieu cette semaine entre le président palestinien Mahmoud Abbas et le président américain Donald Trump. Abbas estime peut-être que la volonté déclarée de Trump de désigner les Frères musulmans – dont le Hamas est une ramification (bien qu’il ait déclaré son indépendance vis-à-vis des Frères musulmans cette semaine) – en tant qu’organisation terroriste pourrait être le signe d’une hostilité accrue des États-Unis envers Le Hamas, motivant ainsi Abbas à durcir sa position.

L’objectif de l’AP, s’il ne s’agit pas de forcer le Hamas à faire des concessions importantes, est de fomenter des troubles à Gaza

L’objectif de l’AP, s’il ne s’agit pas de forcer le Hamas à faire des concessions importantes, est de fomenter des troubles à Gaza, où des protestations ont éclaté en janvier contre les coupures de courant. Cependant, la colère accrue des habitants de Gaza devrait être davantage dirigée contre l’AP, coupable de les utiliser comme des pions dans sa rivalité avec le Hamas. En effet, ils verront la démarche de l’AP sous son vrai jour : celui d’une punition collective avec des conséquences potentielles désastreuses.

« Cette démarche pourrait entraîner un arrêt total de l’approvisionnement en électricité sur le territoire dont les deux millions d’habitants subissent déjà des coupures pendant la majeure partie de la journée », a signalé Middle East Eye.

Une femme palestinienne aide son fils à étudier à la lumière de bougies, dans leur habitation de fortune dans le camp de réfugiés de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 19 avril 2017 (AFP)

Pour mettre de l’huile sur un feu déjà bien réel, la démarche de l’AP a été annoncée le même jour que la publication par la Banque mondiale d’un rapport avertissant que les coupures de courant « affectent les services vitaux tels que les hôpitaux, les cliniques, l’approvisionnement en eau et la vie quotidienne des ménages ».

Il est « devenu normal » pour les Gazaouis de n’avoir que quatre heures d’électricité par jour, a indiqué la Banque mondiale, qui a ajouté que les coupures de courant et le blocus de Gaza avaient « créé une crise humanitaire ».

Sur le dos de la souffrance palestinienne

L’AP se joint à l’Égypte et à Israël pour punir collectivement les Palestiniens de Gaza en raison de son inimitié vis-à-vis du Hamas, dans un territoire dont les habitants n’ont pas leur mot à dire sur sa gouvernance puisque la rivalité entre factions a détruit depuis longtemps la démocratie palestinienne. Le Hamas a remporté les dernières élections en 2006, un résultat pour lequel les Gazaouis sont punis depuis.

C’est une honte nationale que l’AP choisisse d’aggraver le sort de Gaza au cours de l’année même qui marque la fin de la première décennie du blocus terrestre, aérien et maritime imposé par Israël

Ce qui rend la punition collective de l’AP particulièrement grotesque par rapport aux mesures imposées par les voisins de Gaza, c’est qu’elle est appliquée par l’institution même qui prétend les représenter et avoir à cœur leur intérêt supérieur.

En outre, c’est une honte nationale que l’AP choisisse d’aggraver le sort de Gaza au cours de l’année même qui marque la fin de la première décennie du blocus terrestre, aérien et maritime imposé par Israël. Il s’agit d’une démarche bornée et perfide de l’AP visant à renforcer sa propre position sur le dos de la souffrance palestinienne.

Le mois dernier, la seule centrale électrique fonctionnelle de Gaza était hors service suite à un manque de carburant (AFP)

Outre la dimension humanitaire, les agissements de l’AP sont déconcertants même d’un point de vue stratégique. Elle semble inconsciente du fait que les tactiques de pression similaires appliquées pendant des années par Israël et l’Égypte – des parties beaucoup plus puissantes que l’AP – ont en réalité consolidé l’emprise du Hamas sur Gaza au lieu de la menacer.

À LIRE : Le Hamas reconnaît l’OLP comme le « cadre national » des Palestiniens

Au lieu de forcer le Hamas à faire des concessions à l’AP, l’arrêt du paiement de l’électricité a suscité la défiance du Hamas, qui a décrit « une grave escalade et un acte de folie ».

Attention à ce que vous souhaitez

Cela affectera sans aucun doute la perspective déjà faible de réconciliation nationale. Et cela relève vraiment de la folie pour l’AP que de penser que les Gazaouis l’accueilleraient à bras ouverts après avoir directement participé à leur misère, d’autant plus qu’avant cette dernière évolution, Abbas était encore plus impopulaire à Gaza qu’il ne l’était en Cisjordanie, selon des sondages d’opinion.

Alors que cette mesure a été prise quelques jours avant que le dévoilement par le Hamas d’un nouveau document de « référence » visant à présenter une image adoucie et plus pragmatique à l’échelle internationale, la situation d’Abbas au niveau national risque d’être davantage affectée.

Mais même si l’emprise du Hamas sur Gaza venait à s’effondrer, il est naïf de supposer que l’AP comblerait facilement le vide. Il n’y jouit d’aucune présence depuis dix ans alors que des éléments extrémistes tels que l’État islamique, qui a menacé ouvertement l’autorité du Hamas à Gaza, y a récemment pris pied et a mené des attaques contre le Hamas et d’autres cibles sur le territoire.

Dans leur enthousiasme à l’idée de voir la chute du Hamas, Israël, l’AP et l’Égypte devraient faire attention à ce qu’ils souhaitent après avoir engendré un environnement dans lequel il pourrait être remplacé par quelque chose de beaucoup plus désagréable. Pourtant, ce ne seront pas eux mais les habitants de Gaza qui paieront le prix fort de ce jeu cynique.

- Sharif Nashashibi est un journaliste et analyste primé spécialiste des affaires arabes. Il collabore régulièrement avec al-Arabiya News, al-Jazeera English, The National et The Middle East Magazine. En 2008, il a reçu une distinction de la part du Conseil international des médias « pour avoir réalisé et contribué à des reportages systématiquement objectifs » sur le Moyen-Orient.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des jeunes Palestiniens montrent des portraits barrés du dirigeant palestinien Mahmoud Abbas et du Premier ministre Rami Hamdallah lors d’une manifestation contre le blocus israélien de la bande de Gaza, le 14 avril 2017 à Rafah.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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