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Est-ce antisémite de demander si Israël a le droit d’exister ?

Je suis sioniste, mais pas à n’importe quel prix. Demander l’égalité des droits pour tous ceux qui vivent dans le pays ne peut pas être qualifié d’antisémitisme

Le parti travailliste britannique est en proie au tumulte à cause des commentaires soi-disant antisémites du député Naz Shah et de l’ex-maire de Londres Ken Livingstone. Le fait que le parti travailliste les ait tous deux mis à pied a placé l’antisémitisme sous le feu des projecteurs, mais peu de commentateurs ont pris le temps de définir ce qu’ils entendaient par antisémitisme.

Je suis sioniste. C’est probablement une surprise désagréable pour mes étudiants musulmans, mais je suis convaincu que les juifs israéliens constituent une communauté nationale, et de ce fait devraient avoir droit à l’autodétermination. Je sais aussi que cette communauté nationale juive trouve son sens grâce à ses liens avec les juifs du monde entier, y compris ceux de Grande-Bretagne, où j’habite.

Mais l’actuel État d’Israël a-t-il le droit d’exister en tant qu’État juif ? Je n’en suis pas certain, et en douter n’est pas du tout antisémite. Ce n’est pas sa judaïté qui met le sionisme sur la sellette ; à mon avis, le fait que les juifs aient un État propre n’a rien de foncièrement mauvais. Ce qui amène à remettre en question la légitimité d’Israël, ce sont plutôt deux générations d’occupation et le refus de respecter les droits des réfugiés.

Pourquoi Israël est-t-il un cas particulier ? Ce n’est pas à cause de sa discrimination – incontestable – envers sa minorité d’habitants arabes. Et Jonathan Freedland emploie un argument fallacieux en le suggérant. Ce qui fait de l’ombre à la légitimité d’Israël, c’est la négation des droits d’une majorité palestinienne – à Jérusalem, en Cisjordanie et à Gaza.

La permanence de l’occupation touche au cœur de la légitimité d’Israël, parce qu’il y a autant de Palestiniens vivant entre la mer et le fleuve qu’il y a de juifs, mais que la souveraineté juive est préservée en refusant la citoyenneté à la plupart de ces Palestiniens. Demander l’égalité des droits pour tous ceux qui vivent dans le pays ne peut pas être qualifié d’antisémitisme, même si cela mettrait fin à l’État juif.

Israël n’est pas le seul État à être né après que des colons immigrés ont pris les terres de populations indigènes. Mais en Australie ou au Canada, bien que les habitants indigènes soient susceptibles de faire l’objet de discrimination, ils ont droit à la citoyenneté. C’est une chose qu’Israël refuse d’accorder aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza parce qu’il veut préserver un État juif.

Et il y a une autre différence essentielle entre Israël et l’Australie. De nos jours, la totalité de la population aborigène qui subsiste vit en Australie. Si au cours des conflits entre Européens et populations indigènes les communautés aborigènes avaient été chassées vers d’autres pays, il ne fait aucun doute qu’elles auraient maintenant le droit de revenir.

Or il y a aujourd’hui six millions de réfugiés palestiniens qui ont le droit de retourner sur leurs terres. Si tous appliquent ce droit, cela mettra fin, sans aucun doute, à l’État juif tel que nous le connaissons. Et cependant, pour eux comme pour ceux qui les soutiennent, revendiquer le droit au retour n’est pas antisémite.

Le récent débat en Grande-Bretagne ne concerne pas vraiment la gauche britannique, mais le fait d’établir si Israël a gagné le droit d’être accepté par les Palestiniens qu’il a dépossédés et privés de leurs droits. Toute cette discussion à propos d’antisémitisme oublie les Palestiniens – ils n’ont pas voix au chapitre, parce que s’ils n’acceptent pas sans réserve l’existence d’Israël, ils seront également taxés d’antisémitisme.

Le gouvernement israélien s'est mêlé de cette dispute concernant l’antisémitisme et le parti travailliste, mais ne serait-il pas juste de demander aussi leur avis aux Palestiniens ? Est-ce qu’on s’attend vraiment à ce qu’un Palestinien dont la famille a été chassée de son foyer en 1948, et qui vit toujours apatride et privé de ses droits, accepte le droit à exister d’Israël? Et cependant, ils sont tous automatiquement considérés comme antisémites – de même que tous ceux qui défendent leurs revendications de justice et d’égalité – parce que ces revendications signifieraient la fin de l’État juif.

Les cyniques pourraient dire que j’aurais toujours dû savoir que le sionisme est incompatible avec les droits universels. À mon avis, ce point de vue est trop déterministe, trop pessimiste et pas assez conscient de l’emprise du sionisme sur la vie des juifs d’aujourd’hui pour offrir une marche à suivre constructive. Et il existe dans le monde musulman des comportements et stéréotypes anti-juifs coriaces qui l’alimentent, et il va aussi falloir s’y attaquer.

Mais ce n’est pas antisémite de demander si – dans les circonstances actuelles – un État juif ne peut tout simplement pas exister sans suspendre les principes fondamentaux d’égalité et de justice. Les avis sont partagés. Je suis sioniste, mais pas à n’importe quel prix.

- Yossef Rapoport est professeur d’histoire islamique à l’université de Queen Mary à Londres.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : un drapeau israélien flotte dans l’enceinte de la mosquée al-Aqsa, dans la vieille ville de Jérusalem occupée, devant un minaret et le dôme du Rocher, le 17 mars 2016 (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par Maït Foulkes.

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