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Gaza, malade de ses égouts, doit trouver d’urgence une solution

Les égouts débordent sur les plages de Gaza, polluent l’eau et transmettent des maladies. En l’absence d’infrastructures, des mesures sont à prendre d’urgence

L’usine israélienne de dessalement d’Ashkelon, sur la côte méditerranéenne, est considérée comme l’une des plus modernes et des plus efficaces dans le monde. Elle fournit environ 20% de l’eau potable du pays.

Mais elle a dû fermer au moins quatre fois au cours des derniers mois.

La raison : on estime que chaque jour, 90 millions de litres d’eaux usées, non traitées ou partiellement seulement, se jettent dans la mer à Gaza – à seulement quelques kilomètres au sud d’Ashkelon.

Marées et vents dispersent ensuite la boue, et en transportent une partie importante vers le nord, dans les eaux israéliennes. Les eaux usées favorisent la prolifération d’algues, qui ont bien failli bloquer les filtres de l’usine d’Ashkelon.

Voilà des années que les 1,8 million d’habitants de Gaza endurent un désastre environnemental causé par des infrastructures défaillantes, les blocus israéliens et la guerre. C’est une catastrophe écologique, qui menace maintenant de s’étendre à Israël.

Gidon Bromberg, directeur israélien d’EcoPeace Moyen-Orient, estime que le problème risque d’être à l’origine de la propagation de graves maladies, telles que la typhoïde ou le choléra.

« Ceci est un cas d’école qui nous montre que la nature ne connaît pas de frontières », commente Bromberg. « S’il y a de la pollution d’un côté, elle se déplace très rapidement de l’autre, parce que c’est ainsi que la nature la traite ».

Le problème immédiat vient du manque de puissance d’une usine de traitement des eaux au nord de Gaza, financée par la Banque mondiale à hauteur de 80 millions de dollars (71 millions d’euros). Plus largement, c’est l’ensemble des relations entre Israéliens et Palestiniens qui est en cause, et leur façon de partager – ou de ne pas partager – l’environnement de la région et ses ressources.

L’usine de Gaza – officiellement appelée « projet de traitement prioritaire des eaux usées du nord de Gaza », a été programmée il y a de nombreuses années, mais elle a vu sa construction interrompue par les guerres et les attentats.
Le projet a également été retardé par le blocus israélien : l’importation de ciment et d’équipements mécaniques, tels que les pompes et les produits chimiques de désinfection, a été sévèrement restreinte parce que les Israéliens prétendent que ces équipements sont susceptibles d’être détournés par le Hamas à des fins militaires.

Qui a le pouvoir?

L’utilisation de la station d’épuration nécessite d’importantes quantités d’énergie – en pénurie régulière à Gaza. On estime à plus de 50% le déficit en approvisionnements énergétiques.

L’année dernière, la population a dû supporter des coupures d’électricité allant jusqu’à 20 heures par jour et la situation ne s’est guère améliorée cette année.

Gaza accuse Israël, à qui elle est contrainte d’acheter la majorité de son électricité, de faire de la rétention de stocks. La centrale électrique de Gaza, seule installation de grande envergure du territoire à avoir été reconstruite après avoir été gravement endommagée par les bombardements israéliens en 2014, souffre sans cesse de pannes et de pénuries de carburant.

Les lignes électriques apportant l’électricité d’Égypte sont anciennes et souvent en état de dysfonctionnement.

La Gaza Electricity Distribution Company, l’institution en charge du réseau d’électricité de Gaza, manque de personnel qualifié, l’électricité est plus chère que sur d’autres réseaux ailleurs dans le monde et un rapport de 2012 de la Banque mondiale indique que seulement 40% des factures sont payées.

Les disputes entre le Hamas et l’Autorité palestinienne au sujet des achats de carburant et des taxes ont également entravé les approvisionnements en énergie.

Le mois dernier, un groupe de membres du Congrès aux États-Unis a écrit aux ministres israéliens pour leur demander de fournir une plus grande quantité d’électricité aux installations de traitement au nord de Gaza, et ainsi mettre un terme à l’écoulement des effluents dans la mer, qui font courir des « de graves risques pour la santé des deux communautés, israélienne et palestinienne, le long de la côte ».

Israël a répondu qu’il envisageait diverses options afin de fournir de l’énergie supplémentaire mais a répété ses allégations selon lesquelles le Hamas était susceptible de la détourner à ses propres fins.

Les problèmes d’égouts à Gaza pourraient toutefois connaître une amélioration suite à l’accord récent sur le rétablissement des relations diplomatiques entre Israël et la Turquie, puisque qu’Ankara affirme avoir prévu de construire une station de traitement à Gaza.

Il est temps d'agir

Le problème, c’est que le temps est compté : les eaux usées s’accumulent à Gaza depuis des années. En 2007, au moins cinq personnes ont péri lorsque les eaux usées ont inondé un village.

Début 2016, un mur de soutènement dans l’usine de traitement des eaux dans la ville de Gaza s’est effondré, et des eaux usées brutes ont inondé fermes et vergers alentour.
L’assainissement inadéquat provoque une forte incidence de maladies et affections diverses : au moins 30% des foyers à Gaza ne sont pas connectés à des réseaux d’assainissement bien coordonnés. Au lieu de cela, ils dépendent de quelque 40 000 fosses septiques qui, toutes, sont à vider manuellement.

Le problème des eaux usées est étroitement lié à une crise de l’eau plus grave et imminente. Dans le passé, la plupart des habitants de Gaza tiraient leur eau de l’aquifère qui longe la côte du Sinaï, la bande de Gaza et Israël.

L’eau dans l’aquifère atteint actuellement des niveaux très préoccupants. De plus, il est contaminé à la fois par l’eau de mer et par les eaux usées, rendant plus de 90% de l'eau impropre à la consommation humaine.

Les Gazaouis sont maintenant contraints de dépenser d’importantes sommes d’argent pour acheter de l’eau auprès de fournisseurs privés – beaucoup d’entre eux non-autorisés – qui utilisent des installations de dessalement de trop faible envergure pour produire de l’eau potable.

Certains problèmes d’eau pourraient être résolus avec l’usine de dessalement financée par l’Union européenne au sud de Gaza. Elle est en cours de construction, mais risque de produire « trop peu et trop tard ».

L’ONU a émis de sévères mises en garde contre la catastrophe écologique et humanitaire qui se prépare à Gaza : si des mesures ne sont pas prises, le territoire deviendra inhabitable d’ici 2020.

Les problèmes d’eaux usées de Gaza se retrouvent en Cisjordanie, où des installations de traitement insuffisantes provoquent une pollution étendue à de nombreuses zones. Comme c’est aussi le cas le long de la côte, les communautés voisines d’Israël sont également touchées.

Maintenant que des quantités croissantes d’eaux usées flottent autour de la Méditerranée orientale, les habitants de Gaza ne sont plus les seuls à lancer des appels désespérés pour que des mesures soient enfin prises.

Yair Farjun, président du conseil régional d’Ashkelon, a déclaré : « Après les tirs de mortier dans le ciel, les tunnels souterrains, nous voici désormais attaqués par les eaux usées... Toutes les autorités contactées ont répondu que cela ne relevait pas de leur compétence et qu’il n’était pas de leur ressort d’aider à résoudre ce problème. »


- Kieran Cooke, ancien correspondant à l'étranger pour la BBC et le Financial Times, collabore toujours avec la BBC et de nombreux autres journaux internationaux et des radios.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : 20 janvier 2008. Un ouvrier palestinien inspecte une station d’épuration d’eau à Rafah, au sud de la bande de Gaza (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par [email protected].

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