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Égypte : la « querelle des Anciens et des Modernes » mine l’Église copte orthodoxe

L’Église copte orthodoxe d’Égypte, qui compterait huit à dix millions de fidèles, connaît ces dernières années une confrontation interne entre deux courants antagonistes, celui des traditionalistes – appelés aussi extrémistes par certains observateurs – et celui des réformateurs

L’Église copte orthodoxe d’Égypte a été considérablement marquée par le long règne du pape Chenouda III qui l’a guidée pendant 41 ans (1971-2012), laissant le souvenir d'un chef à la fois spirituel et politique. À plusieurs reprises, celui-ci n’hésite pas à aller sur le terrain politique et à réagir avec vigueur pour défendre sa communauté, provoquant parfois la colère des décideurs comme lors de cet épisode, en 1980, où il est mis à l'écart à Ouadi-Natroun sur ordre du président Sadate qui déclare alors : « Un pape ne doit pas jouer au politicien, son rôle consiste à adorer Dieu. » 

Tensions autour de l’après-Chenouda III

Le pape Chenouda III était connu pour ses positions intransigeantes sur le dialogue avec les autres Églises chrétiennes, notamment catholique et protestante, ainsi qu’avec les autres communautés chrétiennes aussi bien en Égypte que dans le monde entier. 

En adoptant cette position, il entraîne dans son sillage un grand nombre d’évêques devenus ses adeptes ; ce qui provoque de grandes tensions autour du choix de son successeur suite à son décès, le 17 mars 2012, dans une Égypte très inquiète face à la montée en puissance de l'islamisme, sachant que les critères du choix d’un nouveau pape sont – autre sujet de discorde – restés inchangés depuis 1957. 

Des chrétiens coptes égyptiens célèbrent Noël au Caire le 6 janvier 2016 (AFP)

Selon Ishak Ibrahim, chercheur et responsable du dossier des minorités à l'Initiative égyptienne pour les droits personnels, la confrontation en cours « est une confrontation entre deux courants, l’un conservateur et réservé sur les rapports à entretenir avec les Églises mondiales et l’autre plus ouvert sur les droits des femmes et les rapports avec les autres Églises ainsi que sur le rôle politique de l’Église copte orthodoxe en Égypte. » 

En effet, le courant réformateur, et à sa tête le nouveau pape Théodore II, est plus enclin à limiter le rôle de l’église à sa dimension spirituelle et à se désengager de tout rôle politique qui, selon ses tenants, incombe uniquement à l’État et à la société civile égyptiens.  

Mésentente autour du « rebaptême »

S’agissant du différend autour des rapports avec les Églises mondiales, l’épisode le plus illustratif est celui de la signature, le 28 avril 2017, au siège du Patriarcat copte orthodoxe au Caire, d’un accord entre l’Église copte orthodoxe et l’Église catholique sur la pratique du « rebaptême » à travers un texte présenté comme incluant « le principe de reconnaissance mutuelle » des baptêmes pratiqués par chaque Église et marquant la volonté des deux institutions de « renoncer solennellement » à la possibilité d’un deuxième baptême en cas de passage d’une Église à une autre. 

Le courant réformateur, et à sa tête le nouveau pape Théodore II, est plus enclin à limiter le rôle de l’église à sa dimension spirituelle et à se désengager de tout rôle politique

Signé par le pape François et le patriarche Théodore, ce texte commun est rapidement remis en question par certains membres du Saint-Synode de l’Église copte orthodoxe qui n’hésitent pas à modifier le texte en le remplaçant par une formule beaucoup plus vague : « Nous déclarons mutuellement que, dans le même esprit et d’un même cœur, nous chercherons sincèrement à ne plus répéter le baptême qui a été administré dans nos respectives Églises pour toute personne qui souhaite rejoindre l’une ou l’autre. »

Dans un long texte intitulé « Avec les Églises du monde » et publié le 30 avril 2017 par Al Kiraza Magazine, le pape Théodore revient sur cette affaire avec des mots très durs, plaidant en faveur de l’œcuménisme et dénonçant : « des voix pénibles, des cœurs de pierre et des cerveaux fermés qui ne voient qu’eux-mêmes et qui considèrent que tous les autres sont dans l’erreur, loin de la vérité ! », tout en appelant les membres de son Église à « tendre les deux mains à tous les autres chrétiens sans distinction ».

Un assassinat et des interrogations

Pour Peter Magdy, journaliste et chercheur spécialisé dans les questions se rapportant aux chrétiens d’Égypte, l’assassinat de l’évêque Anba Epiphanius, le 29 juillet 2018, n’est pas du tout étranger à la lutte d’influence en cours au sein de l’Église copte orthodoxe. Pour lui, « l'évêque assassiné est l'un des tenants du courant réformateur, très écouté parmi les autres évêques et estimé par le patriarche Théodore II qui l’a promu pour représenter l’Église copte dans le dialogue en cours avec les autres Églises mondiales ainsi que dans les conférences religieuses et académiques internationales. »

En effet, Isaiah al-Makary, un moine défroqué, a été inculpé pour le meurtre de l’évêque Anba Epiphanius. Selon la presse égyptienne, ce dernier a avoué son crime dimanche 12 août. Un procureur d’Alexandrie a par ailleurs ordonné la détention du moine Faltaous al-Makary pour avoir « conspiré avec d’autres » afin d’assassiner l’évêque Epiphanius, ce qui conforte la thèse de la mise en rapport de cette affaire avec la confrontation en cours au sein de l’Église.  

Soupçons de corruption

Pour Ishak Ibrahim, « même si on n’est pas encore en mesure de parler d’un lien direct entre l’affaire de l’assassinant de l’évêque et la confrontation en cours au sein de l’Église copte-orthodoxe, on ne peut pas en faire une lecture complète en faisant abstraction du fait que l’évêque était un des promoteurs de la réforme et de la consolidation des liens avec les Églises mondiales. » 

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D’autres observateurs sont plus nuancés. Mina Ghabrial, un chercheur sur les questions des minorités, affirme que « cette affaire est plutôt à mettre sur le compte de soupçons de corruption au sein de l’Église. Mais comme l’évêque assassiné est connu pour être un tenant du réformisme et que les assassins sont plutôt connus pour être des traditionalistes, la thèse de la conspiration a pris le dessus dans la presse égyptienne et l’affaire a été mise sur le compte de la confrontation entre les deux courants. Les différends idéologiques ne sont donc pas le principal motif du meurtre. »

Dans l’église de la Vierge Marie à Gebel al-Tayr, région d’Al-Minya, des chrétiens allument des bougies, en signe de dévotion (MEE/Belal Dardar)

Par ailleurs, il faut noter que même la gestion de cette affaire par l’Église illustre deux perceptions différentes du rapport de cette institution à l’État égyptien. En effet, pendant que certains évêques s’affairaient à gérer l’affaire en interne et à « laver le linge sale en famille », d’autres soutenaient que la conduite de l’enquête était uniquement du ressort de la police et que toute la lumière devait être faite sur l’affaire de manière transparente.  

Ainsi, s’il est vrai que l’Église copte orthodoxe est travaillée par sa propre « querelle des Anciens et des Modernes » depuis plusieurs décennies, cette dernière semble prendre de nouvelles propensions depuis l’accession de Théodore II à sa tête et sa volonté de réforme, privilégiant l’adoption d’un processus institutionnel autour de la dimension spirituelle sur la tentation d’instaurer une autorité centrée sur sa personne. 

- Nourredine Bessadi est enseignant-chercheur à l'Université Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou, en Algérie. Il est en même temps traducteur et consultant indépendant. Il travaille sur les questions se rapportant au genre, aux politiques linguistiques et aux droits humains. Il est le fondateur de Babel Consulting, une entreprise de conseil en communication. 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le 6 janvier 2018, le pape copte Théodore II dirige la messe de la veille de Noël à la cathédrale de la Nativité du Christ, dans la future capitale administrative, à 45 km à l'est du Caire (AFP).

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