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L’intrigue haletante des dernières heures du roi Abdallah

Alors que le roi Abdallah reposait sur son lit de mort, ses alliés mettaient tout en œuvre pour se protéger contre le prince Salmane

Des sources saoudiennes bien informées m'ont indiqué que la mort du roi Abdallah a été provoquée par une hémorragie interne massive, et non par une pneumonie. Cette altération de sa santé, survenue le 31 décembre dernier, a empêché le roi de mettre en œuvre un plan visant à évincer le prince héritier, son demi-frère Salmane, et à le remplacer par le prince Moqren ben Abdelaziz. Selon ces mêmes sources, le fils du roi Abdallah, le prince Mitaeb, serait ainsi devenu le prochain prétendant au trône.

Le 31 décembre, le cabinet royal publia une déclaration annonçant que le roi avait été admis à l'hôpital, mais omettant de préciser la gravité de son état. L'agence de presse officielle SPA annonça que le roi avait été « admis ce mercredi  [...]  à la cité médicale Roi Abdelaziz de la Garde républicaine à Riyad pour subir certains examens médicaux ».

Le roi a été transporté d'urgence à l'hôpital depuis son palais privé de Rawdat Khuraim près de Riyad, où il s'apprêtait à organiser une réunion entre l'émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, et le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi. Cette rencontre, qui aurait permis de réconcilier les deux Etats rivaux, n'a jamais eu lieu.

Dans le cas contraire, le roi défunt aurait annoncé une série de décisions que le prince Mitaeb et le secrétaire général de la cour royale, Khaled al-Tuwaijri, l'avaient exhorté à prendre depuis un moment. Ces décisions auraient garanti la transmission de la couronne à son propre fils plutôt qu'aux petits-enfants du roi fondateur.

L'effondrement soudain du roi Abdallah a semé la panique dans le camp Tuwaijri, dont les partisans ont imaginé les conséquences de l'avènement au trône du prince Salmane pour eux-mêmes et leurs partenaires ayant orchestré le coup d'Etat égyptien. Le roi Abdallah avait été placé sous respiration artificielle et sous anesthésie générale, il était donc inconscient.

Le prince Mitaeb et Khaled al-Tuwaijri ont tout mis en œuvre pour dissimuler son état. Ils ont essayé d'empêcher le prince Salmane de pénétrer dans la chambre du roi. Ils ont également cherché à préserver le plan initial afin que la décision du roi puisse être annoncée en son nom.

Afin de dévoiler leur projet, ils ont transmis des instructions aux Egyptiens pour qu'ils suggèrent l'idée par l'intermédiaire de leurs médias. Le présentateur TV égyptien Youssef al-Husseini a révélé dans son émission l'annonce prochaine de la décision de défaire le prince Salmane de son titre de prince héritier. Youssef al-Husseini a précisé que cela serait dans l’intérêt de l'Egypte et a ensuite accusé le fils du prince Salmane, Mohammed, de « s'immiscer dans les affaires des autres ».

Le prince Salmane a répliqué. Son camp est parvenu à obtenir la publication d'une déclaration officielle reconnaissant que le roi avait été intubé et était par conséquent inconscient. Le 2 janvier, la cour royale a publié un second communiqué indiquant que le roi Abdallah souffrait d'une pneumonie et « avait temporairement besoin de l’aide d’un tube pour respirer ». A l'époque, ce détail supplémentaire a dérouté les observateurs, mais il s’agissait en fait d’un aveu officiel que le roi n'était pas en mesure d'annoncer une quelconque décision.

Khaled al-Tuwaijri et le prince Mitaeb ont alors essayé une autre tactique. Ils ont suggéré au prince Salmane l'idée d'annoncer que le roi avait abdiqué en raison de sa maladie. Le prince Salmane deviendrait alors roi, à condition de s'engager à faire du prince Mitaeb son vice-prince héritier. Le prince Salmane a refusé toute discussion tant que le roi était toujours en vie à l'hôpital.

Cette tentative s'est poursuivie après la mort du roi, ce qui explique le délai ayant précédé l'annonce officielle de sa mort et les récits contradictoires des médias sur les événements de cette nuit. Cela explique également la rapidité d'action du prince Salmane lors de son accession au trône et son annonce de la destitution de Khaled al-Tuwaijri avant même que son demi-frère ne soit enterré.

Au cours de cette période, Khaled al-Tuwaijri et son allié Mohammed ben Zayed, prince héritier d'Abou Dhabi, ont utilisé les médias égyptiens comme leur service de presse personnel afin de servir leurs desseins. La veille de la mort du roi, la chaîne de télévision égyptienne Al-Nahar diffusait un flash info précisant : « le roi Abdallah va abdiquer dans quelques heures, Salmane deviendra roi, Moqren sera nommé prince héritier et Mitaeb vice-prince héritier ». Cela correspondait à la proposition que Khaled al-Tuwaijri et le prince Mitaeb tentaient de faire accepter à Salmane.

Certains enregistrements de conversations rendus publics ont permis d'établir qu'Abbas Kamil, chef de cabinet du président Sissi, donnait des instructions directes aux journalistes et était en contact avec le cabinet de Khaled al-Tuwaijri. Des sources saoudiennes désignent désormais un nouveau maillon dans la chaîne de commandement. Il s'agit de Sultan al-Jaber, secrétaire d'Etat des Emirats arabes unis (EAU). Son rôle consistait à communiquer avec Abbas Kamil et les chaînes de télévision, auxquelles il demandait de diffuser des informations sélectionnées par les EAU et Khaled al-Tuwaijri à propos de l'Egypte.

Depuis l'avènement du roi Salmane, le camp Tuwaijri a subi de lourdes pertes. Le nouveau prince héritier, Mohammed ben Nayef, s'est démené pour montrer que les alliés du royaume avaient changé. Il a rencontré dimanche le ministre turc de l'Intérieur. La semaine dernière, il a choisi de se rendre à Doha pour sa première visite officielle.

Un certain nombre d'éléments laissent penser que la politique adoptée par le royaume à l'égard des Frères musulmans, que le roi Abdallah avait désignés comme une organisation terroriste, est aussi sur le point de changer.

Il y a quatre jours, un journaliste saoudien a cité le ministre des Affaires étrangères, Saoud al-Faysal, déclarant n'avoir « aucun problème » avec les Frères musulmans. « Nous n'avons aucun problème avec les Frères musulmans. Notre problème, c’est un petit groupe affilié à cette organisation », a-t-il déclaré.

Etant donné qu'il détient le record mondial de longévité au poste de ministre des Affaires étrangères, cette déclaration prononcée la semaine dernière ne peut être considérée comme un lapsus. Par ailleurs, un confident du roi Salmane a déclaré lors d'une interview il y a deux jours qu'il était « déraisonnable » de qualifier les Frères musulmans d'organisation terroriste.

Ahmed al-Tuwaijri, ancien membre de l'Assemblée consultative, a nié le fait que le ministre de l'Intérieur ait désigné l'organisation dans son ensemble comme terroriste, et a détaillé le « contexte » dans lequel le groupe avait été étiqueté comme une organisation illégale.

Sur la chaîne de télévision Rotana, dont le propriétaire n'est autre que le milliardaire saoudien al-Walid ben Talal, Ahmed al-Tuwaijri explique : « il existe une notion appelée contexte linguistique ».

« Le royaume ne pouvait dire dans un communiqué que les Frères musulmans sont une organisation terroriste. Cela [la désignation] s'est produit dans le cadre d’une liste d'organisations terroristes à laquelle on a ajouté le nom des Frères musulmans. Il s'agit d'un groupe d'organisations qui suivent la voie de la violence et essaient de répandre la terreur. [La désignation condamne] tous ceux à qui elle s'applique. Le fait de généraliser ce concept et de l'appliquer à cette vaste organisation qui s'étend de l'Indonésie jusqu'au Maroc et de prétendre qu'elle est entièrement terroriste est inacceptable pour toute personne douée de raison. »

Le récit des intrigues qui se sont tramées à la cour quelques jours avant la mort du roi Abdallah et les enregistrements égyptiens divulgués par la suite apportent des éléments qui n'étaient pas directement perceptibles en juin 2013, lorsque le premier président égyptien élu, Mohammed Morsi, a été renversé par son armée suite à des manifestations massives contre son règne.

Ce récit témoigne de l'existence de connexions étroites entre une faction de la cour royale saoudienne, les militaires égyptiens et les Emirats arabes unis. Abdel Fattah al-Sissi exécutait leurs ordres et entendait être généreusement rémunéré pour cela. Le ton qu'il emploie dans les enregistrements rendus publics est celui d'un homme qui méprise ses bailleurs de fonds. Au cours des discussions privées de son cabinet officieux, les Etats du Golfe sont qualifiés de « demi-Etats ».

L'influence prépondérante de la cour royale saoudienne s'applique désormais au profond remaniement qui est en cours. La nouvelle équipe du roi Salmane formera de nouvelles alliances, supprimant ainsi la couverture dont les dirigeants égyptiens bénéficiaient jusqu'alors. Cela a peut-être également encouragé la divulgation des enregistrements très compromettants de conversations ayant eu lieu dans le cabinet privé d'Abdel Fattah al-Sissi. Les dirigeants égyptiens sont plus que jamais sous pression.
 

- David Hearst est rédacteur en chef de Middle East Eye. Il était précédemment journaliste au Guardian où il a occupé les postes de rédacteur en chef adjoint et contributeur principal de la rubrique Actualités internationales, éditeur de la rubrique Affaires européennes, chef du bureau de Moscou, correspondant européen, et correspondant en Irlande. Avant The Guardian, David Hearst était correspondant pour la rubrique Education au journal The Scotsman.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Légende photo : images d'archives publiées le 23 janvier 2015 montrant le roi saoudien défunt Abdallah ben Abdelaziz (à gauche), son successeur et demi-frère le roi Salmane ben Abdelaziz (au centre) et le nouveau prince héritier d'Arabie saoudite, Moqren ben Abdelaziz.

Traduction de l’anglais (original).

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