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La banalité des partisans de Trump est ce qui les rend si effrayants

Les partisans de Donald Trump nous rappellent que nous devrions moins nous inquiéter des extrémistes que des citoyens ordinaires

Vous avez entendu le candidat aux présidentielles américaines Donald Trump promettre de « bombarder à mort » le territoire contrôlé par l’État islamique. Vous l’avez également entendu réclamer l’interdiction de l’entrée de musulmans aux États-Unis. De même, vous n’êtes pas sans savoir que Trump a popularisé le « birtherism », un mouvement visant à délégitimer la présidence de Barack Obama en affirmant que ce dernier est étranger, musulman ou autre chose.

Je suis sûr que vous savez beaucoup plus que ce qui vous intéresse à propos de Trump. Mais qui sont les « Trumpistas », les « Trumpites » ou encore les « Trumpets » ? Qui sont les personnes qui suivent la mélodie d’un joueur de flûte qui joue sans doute l’air de la xénophobie la plus ouverte et de la campagne présidentielle la plus raciste depuis plus d’un demi-siècle ?

Mardi dernier, j’ai assisté au discours de victoire de Trump au caucus du Nevada au Treasure Island Casino et à la fête qui s’est poursuivie tard dans la nuit avec certains de ses partisans les plus enthousiastes ; ainsi, j’ai désormais une réponse à cette question.

Je m’attendais plus ou moins à voir une foule semblable à un rassemblement secret du Ku Klux Klan, mais les « Trumponistas » n’ont pas répondu à mes idées préconçues, du moins en termes d’apparences. Non seulement les suprémacistes blancs, les néo-nazis ou les « Klansmen » facilement identifiables manquaient à l’appel parmi les 1 600 personnes présentes, mais je n’ai pas non plus aperçu le moindre cou tatoué.

La foule était extraordinaire de par sa banalité. Elle ressemblait à n’importe quelle rue de banlieue américaine majoritairement blanche. J’ai parlé à des assureurs, à des avocats, à des agents immobiliers, à des retraités, à des étudiants, à des courtiers, à des employés d’hôtellerie, à des membres de fraternités et même à un vétéran de 97 ans de la Seconde Guerre mondiale qui a combattu dans les îles Salomon et en Nouvelle-Guinée. Avec tout le respect que je leur dois, la salle de bal du casino renfermait dans un bocal le populisme socio-économique blanc.

Le fait que le public ressemblait plus à l’assistance d’un cocktail rassemblant des cadres intermédiaires que d’une cérémonie d’initiation de motards des Hells Angels est ce qui devrait le plus nous effrayer.

Si le soutien pour les appels racistes et xénophobes de Trump venait principalement des racistes et xénophobes facilement identifiables, il serait facile de marginaliser et de rejeter les partisans de Trump.

Le fait que ce soutien recoupe toutes les strates de l’Amérique ordinaire est ce qui fait à la fois la réalité et l’horreur de la perspective de plus en plus probable de l’accession de Trump à la présidence, en particulier pour les Américains musulmans.

Son appel populiste est porté par l’idée de reprocher les maux de l’Amérique aux plus faibles d’entre nous. C’est un tour de passe-passe vieux comme le monde que beaucoup d’Américains d’origine chinoise, allemande, japonaise et vietnamienne aujourd’hui âgés ne connaissent que trop bien. Si Trump parvient à ses fins, les Américains musulmans revivront un parcours similaire, ce qui constitue à peine un effort d’imagination étant donné que Trump a déjà fait allusion à des camps d’internement de civils, à des badges d’identification et à une base de données pour les musulmans.

J’ai mentionné spécifiquement les propositions de politiques antimusulmanes de Trump auprès des membres de l’assistance. « Que pensez-vous lorsque Trump affirme que nous devrions contraindre les musulmans à porter un badge d’identification ? », demandais-je. « Oh, il ne fait qu’appeler un chat un chat », me répondait-on généralement, une réponse souvent suivie d’un rire gêné.

L’enthousiasme quasi hystérique avec lequel des retraités, des étudiants, des avocats, des consultants, des planificateurs financiers ou encore des informaticiens acclament un candidat politique dont ils ne peuvent exprimer clairement les politiques est un spectacle qui vaut la peine d’être vu.

Aucune des personnes avec lesquelles j’ai discuté n’a pu m’expliquer précisément pourquoi elle avait l’intention de voter Trump. Lorsque je les y poussais, les participants proposaient des slogans moralement et substantiellement vides de sens, tels que « Trump va droit au but. Il appelle un chat un chat », ou encore une affirmation encore plus anodine, telle que « J’aime son style ».

Ces « Trumparoos » largement issus de la classe moyenne, en grande partie cadres intermédiaires et en milieu de carrière, rappellent de manière effrayante le genre de mal passif que Hannah Arendt a révélé dans Eichmann à Jérusalem. Exécuté en 1962, Adolf Eichmann a été l’un des « principaux organisateurs » de l’Holocauste. Il a rejoint le Parti nazi non pas parce qu’il croyait fermement en cette cause, mais parce qu’il pensait que cela aurait été une évolution de carrière opportuniste.

« L’ennui avec Eichmann, c’est précisément qu’il y en avait beaucoup qui lui ressemblaient et qui n’étaient ni pervers ni sadiques, qui étaient, et qui sont encore, terriblement et effroyablement normaux », a écrit Arendt.

De la même manière, les adeptes de Trump sont terriblement et effroyablement normaux. Bien qu’ils ne défendent pas ouvertement les politiques antimusulmanes de Trump et qu’ils ne fassent aucun prosélytisme en faveur de celles-ci, leur passivité normalise le sectarisme antimusulman, et même si Trump ne parvient pas à accéder au Bureau ovale, la normalisation de la haine constituera son héritage incommensurable.

Chris Hedges, ancien correspondant de guerre, souligne que les plus grands crimes de l’histoire de l’humanité « sont rendus possibles par les êtres humains les moins colorés. Ce sont eux, les carriéristes, les bureaucrates et les cyniques. Ils remplissent les petites besognes qui font des systèmes vastes et complexes de l’exploitation et de la mort une réalité. »

L’imperméabilité aux conséquences est le plus grand péché commis par ceux qui encouragent Trump dans son cheminement vers l’investiture républicaine et la présidence. Ils recherchent une victoire pour la forme et ne se soucient pas des conséquences qui pourraient survenir. À cette fin, les partisans de Trump sont aussi narcissiques que Donald en personne.

Et quand il est question de narcissisme et de l’ascension de Trump, il y a suffisamment de reproches à faire, en particulier si l’on souhaite diriger ces reproches contre le journalisme de télévision, qui a depuis longtemps troqué son éthique et sa civilité contre des parts d’audience, transformant ainsi le débat politique en un festival de théâtre de rue et de potins de stars. C’est cette dynamique qui permet à Trump de dicter l’ordre du jour. Les journalistes n’interrogent plus Trump sur le fait qu’il a réclamé des badges d’identification pour les musulmans. Au lieu de cela, ils lui demandent quelle musique il écoute entre ses apparitions dans Saturday Night Live.

On assiste là à la normalisation de l’absurde, du sectarisme et de la folie. Ce genre de normalisation a donné lieu au génocide de l’Allemagne nazie, mais aussi à ceux en Bosnie et au Rwanda.

Les partisans de Trump ne sont pas plus ou moins normaux que les bureaucrates et les citoyens passifs qui ont permis de telles atrocités, et nous rappellent que nous devrions moins nous inquiéter des extrémistes que des citoyens ordinaires.

- CJ Werleman est l’auteur de Crucifying America (2013), God Hates You. Hate Him Back (2009) et Koran Curious (2011). Il est également l’animateur du podcast « Foreign Object ». Vous pouvez le suivre sur Twitter : @cjwerleman.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le candidat à l’investiture républicaine américain Donald Trump salue ses partisans après un rassemblement au Nugget, le 23 février 2016 à Sparks, dans le Nevada (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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