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La brutalité de Srebrenica marque encore les esprits

Se souvenir de Srebrenica, des morts et de ceux qui ont encore soif de justice, est une étape importante du processus qui rendra manifeste que nous partageons tous la même humanité.

Samedi à Srebrenica, de nouvelles tensions ont dégénéré en émeutes incontrôlables, lors de la cérémonie de commémoration du massacre, il y a juste vingt ans, de plus de 8 000 hommes et jeunes garçons bosniaques musulmans aux mains des forces serbes de Bosnie. Cela me rappelle à quel point la brutalité du génocide de Srebrenica marque encore douloureusement les esprits.

Pour beaucoup d'entre nous qui n'habitons pas la Bosnie, l'éclatement de l'ex-Yougoslavie et les conflits qui s'en sont suivis semblent appartenir à de l'histoire ancienne. Or, même après vingt ans, on découvre toujours des corps, non parce que les militaires serbes de Bosnie ont décidé de révéler les sites où ils ont déterré les cadavres pour les inhumer une seconde fois dans des fosses communes, mais souvent grâce à de laborieux efforts criminalistiques et, souvent, au hasard de découvertes macabres.

Srebrenica constitue la pire atrocité perpétrée sur sol européen depuis la seconde guerre mondiale. Le 11 juillet 1995, le général Ratko Mladic et ses soldats serbes de Bosnie ont envahi la zone de sécurité définie par les Nations unies dans la ville de Srebrenica, où ils ont systématiquement massacré les habitants de sexe masculin quel que soit leur âge, pendant que les femmes étaient expédiées en dehors de la ville. Pendant cet acte notoire de nettoyage ethnique, beaucoup d'entre elles furent torturées et violées.

La Cour pénale internationale pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) et la Cour internationale de Justice ont unanimement qualifié ces événements de « génocide », terme que la Serbie refuse de reconnaître, alors même qu'elle a, depuis, condamné ces événements en dénonçant un « crime horrible ». L'ancien général de l'armée serbe de Bosnie, Ratko Mladic, et l'ancien chef de guerre des Serbes de Bosnie, Radovan Karadzic, ont tous deux comparu devant le tribunal de La Haye pour crimes en rapport avec ce massacre.

En février cette année, je me suis rendue sur place avec la BBC pour participer à un documentaire intitulé « Mortel avertissement : Retour sur Srebrenica » (BBC1 et BBC iPlayer) traitant de l'impact de ces événements sur les jeunes quand ils les apprennent.

Nous sommes allés sur le site du génocide avec un groupe de jeunes, tous nés l'année du massacre. Ces jeunes s'y rendaient en compagnie d'une délégation organisée par « Souvenons-nous de Srebrenica », organisme britannique qui offre le voyage en Bosnie-Herzégovine à ses délégués pour se documenter sur la tragédie ; en retour, ces personnes s'engagent à mener, dans leurs villes respectives, des activités liées à la mémoire.

La plupart des participants ne savait pas grand-chose des événements de Srebrenica, mais certains d'entre eux, Jonas, par exemple (sa famille est originaire du Congo), a grandi avec une conscience aigüe des génocides, car ses parents appellent les années 1994 et 1995 les « années terribles », en souvenir des atrocités au Rwanda et en Bosnie. Comme Jonas, Hannah a été élevée en pleine connaissance de cette notion. Sa grand-mère a échappé aux nazis et la jeune fille a participé aux deux minutes de silence organisées pour se souvenir du génocide en Bosnie, et en commémorer quatre autres, lors de la journée nationale de commémoration de l'Holocauste.

Leur vécu m'a rappelé l'importance d'entretenir le souvenir de ces tragédies, surtout parce que j'ai remarqué que Jonas et Hannah étaient particulièrement attentifs aux étapes menant à un génocide (déshumanisation, préjugés raciaux, haine) et aboutissant aux drames qui les concernent si personnellement. D'autres membres du groupe, comme Abdul Farooq, ont été choqués de ne jamais avoir précédemment entendu parler de Srebrenica. Abdul a eu l'impression que les médias portaient une attention sélective à certaines atrocités au détriment des autres, et a vivement protesté en posant cette question, reprise ensuite par de nombreux délégués : pour quelle raison le génocide en Bosnie ne fait-il pas partie des programmes scolaires ? Il est d'avis, ainsi que Julie Podbielski Stewart, dont le père, le colonel Bob Stewart commandait les forces britanniques des Nations unies en Bosnie, que de graves questions n'ont pas été posées quant au rôle des Nations unies et des initiatives, ou plutôt leur absence, de la communauté internationale.

Le groupe a compris le processus de désintégration d'une société dynamique, multiethnique et multiconfessionnelle ; avec quelle rapidité des voisins se sautent à la gorge ; et comment des différences minimes deviennent des marqueurs de déshumanisation ; ces jeunes ont ainsi pris une conscience accrue de la fragilité des délicats équilibres au sein d'une société hétérogène. Ils ont perçu que, bien avant les charniers et nettoyages ethniques, haine de l'autre et diabolisation sont des symptômes qu'il est crucial d'identifier et de traiter. Ils ont aussi commencé à discerner avec quelle facilité les préjugés s'enracinent : Abdul, par exemple, a eu du mal à s'adresser poliment à un fonctionnaire serbe, et Jonas s'est soudain rendu compte que le médecin légiste avec qui il conversait était serbe : il avait présumé, à tort, qu'elle ne pouvait qu'être musulmane puisqu'elle était chargée d'identifier des restes de musulmans bosniaques.

La cérémonie funèbre organisée ce samedi en mémoire de la bonne centaine de victimes dont les restes ont été récemment identifiés atteste que la plaie du génocide est encore à vif. Ce n'est pas tant d'histoire qu'il s'agit, mais bien de notre temps. La question de la responsabilité des criminels et de tous ces morts toujours non identifiés reste d'actualité et, sans même parler de l'héritage politique conflictuel légué à cette région, on peine à imaginer comment ces blessures pourront jamais se refermer. Se souvenir de Srebrenica, des morts et de ceux qui ont encore soif de justice, est une étape importante du processus qui rendra manifeste que nous partageons tous la même humanité.

"A Deadly Warning: Srebrenica Revisited" (Mortel avertissement : Retour sur Srebrenica) est disponible sur BBC iPlayer.

- Myriam François-Cerrah, journaliste franco-britannique, animatrice de radio et télévision, écrit des articles sur l'actualité, en France et au Moyen-Orient en particulier.

Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : 11 Juillet 2015, un Bosniaque sanglote lors de la cérémonie funèbre de quelques-uns de ses parents au Potocari Memorial Center, près de la ville de Srebrenica, en Bosnie orientale.

Traduction de l'original par Dominique Macabies

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