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La confrontation avec l’Iran, le nouveau front de la guerre israélienne en Syrie

Israël approfondit son implication en Syrie, prend de plus en plus de risques et intensifie sa politique de surenchère

Selon les médias syriens – gouvernementaux et d’opposition confondus – l’Armée de l’air israélienne (IAF) a, la semaine dernière, frappé des cibles militaires en Syrie – trois fois, et probablement quatre. Comme il se doit en telles circonstances, Israël se tait : il ne confirme pas, et ne nie pas non plus.

Parmi les cibles attaquées figurait un camp militaire syrien à Al Kiswah, à treize kilomètres au sud de Damas et à 40 kilomètres de la frontière israélienne, sur les hauteurs du Golan. Selon des sources israéliennes, ce camp en construction est prévu pour loger 5 000 soldats iraniens et/ou leurs milices chiites internationales.

Le major-général Amir Eshel s’est récemment vanté, lors d’entretiens avec des médias israéliens, que les avions de l’IAF avaient lancé 100 attaques depuis le déclenchement de la guerre civile en Syrie, il y a près de sept ans

Lancer en une seule semaine un nombre si élevé de frappes et sur des cibles d’une telle qualité, est exceptionnel, même dans l’histoire de l’engagement militaire israélien en Syrie. L’ancien commandant de l’Armée de l’air, le major-général Amir Eshel, s’est récemment vanté, dans des interviews avec les médias israéliens, que les avions de l’IAF avaient lancé 100 attaques depuis le déclenchement de la guerre civile en Syrie, il y a près de sept ans.

Lignes rouges

Les frappes de la semaine dernière indiquent qu’Israël a étendu ses « lignes rouges » en Syrie, lignes qui reflètent ce qu’Israël considère comme ses intérêts vitaux en matière de sécurité nationale. Au total, ces lignes sont au nombre de huit.

Cela a commencé par une ligne rouge strictement définie : une politique de non-intervention dans la guerre civile. « Ce ne sont pas nos affaires », ont déclaré les trois ministres israéliens de la Défense – Ehud Barak, Moshe Ya’alon et Avigdor Liberman – en fonctions depuis 2011. Plus tard, à mesure que le conflit syrien s’intensifiait, Israël ajouta deux lignes rouges supplémentaires. La première étant, et c’est toujours le cas, d’assurer paix et tranquillité le long de la frontière.

À LIRE : Les Israéliens ont tenté de limiter leurs pertes en Syrie. Ils ont échoué

La seconde est d’instaurer une riposte proportionnée à toute attaque armée, généralement des erreurs collatérales aux affrontements entre l’armée syrienne et les groupes rebelles. Les représailles israéliennes étaient principalement dirigées contre les positions de l’armée syrienne, parce qu’Israël tient le régime de Bachar al-Assad pour responsable, puisqu’il est le souverain syrien.

Une autre ligne fut ensuite tracée. La force iranienne d’al-Qods, commandée par le légendaire général Qasem Soleimani, a planifié avec le Hezbollah la création de cellules d’agents dormants le long de la frontière israélienne sur les hauteurs du Golan. Elles étaient composées de Druzes syriens et de Palestiniens, vestiges du commandement général du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) fondé il y a près de 50 ans.

Le but était d’activer ces cellules de guérilla (Israël les définissait comme des infrastructures de terreur) en cas d’affrontements entre Israël et le Hezbollah au Liban, et ainsi défier Israël militairement sur deux fronts simultanés. Ces cellules ont participé à quelques attaques contre des patrouilles israéliennes le long de la frontière, et tiré quelques roquettes.

Assassinats

Or, on sait qu’en quelques mois, sur la base de renseignements précis, les Forces de défense israéliennes (IDF) ont changé leurs plans. À l’aide de drones et d’avions, Israël a tué les dirigeants des cellules, dont, en janvier 2015, Jihad Mughniyah, le fils d’Imad, commandant militaire du Hezbollah, également tué, selon les médias américains, dans le cadre d’une opération d’assassinat, menée conjointement par le Mossad et la CIA.

Lors de ces opérations israéliennes contre les cellules, un général iranien des Gardiens de la révolution fut également tué par erreur, lors d’un voyage en compagnie de Jihad Mughniyah. Israël s’est débrouillé pour anéantir le plan de l’Iran avec le Hezbollah.

Profitant du chaos, et puisqu’un si grand nombre de forces et d’États étrangers opèrent sur le sol et dans le ciel syrien, Israël s’est lui aussi jeté dans la mêlée. Il donnait occasionnellement à ses forces aériennes mission d’attaquer des stocks d’armes et des convois approvisionnant le Hezbollah en missiles de précision, depuis l’Iran et la Syrie.

Des membres de la communauté druze résidant à Majdal Shams, dans le secteur du Golan occupé par Israël, communiquent par mégaphone avec leurs amis et parents druzes syriens, de l’autre côté de la frontière, le 4 novembre 2017 (AFP)

Si une nouvelle guerre éclate avec le Hezbollah (entre ces deux ennemis, la dernière remonte à onze ans et demi), Israël ne s’inquièterait pas seulement de la quantité de missiles que possède aujourd’hui le Hezbollah – qui pourrait lancer des dizaines de milliers de missiles et de roquettes de toutes portées contre des cibles urbaines et stratégiques en Israël – mais aussi de la qualité et de la précision de ses missiles.

Israël a également convenu d’une autre ligne rouge. Il s’agit, en substance, d’un message fort adressé aux différents groupes rebelles, et en particulier à l’ancienne branche syrienne d’al-Qaïda (désormais connue sous le nom de Jabhat Fatah al-Cham) : n’attaquez pas les Druzes syriens, en tous cas pas ceux qui habitent près de la frontière israélienne.

Cette ligne rouge a été imposée à l’armée israélienne par la communauté druze israélienne, dont les membres, estimés loyaux à l’État juif, servent dans les IDF, mais ressentent aussi une certaine affinité avec leurs frères de l’autre côté de la frontière.

Le message israélien, appuyé de menaces militaires, fut bien accueilli. Ce qui confère ainsi une ironie renouvelée à la complexité du conflit syrien : les Druzes syriens, fidèles au régime d’Assad et hostiles à Israël, sont défendus par… les deux.

Se concilier les bonnes grâces de la Russie

Il y a deux ans et demi, la Russie a déployé des milliers de troupes en Syrie et envoyé des douzaines d’avions de chasse et de bombardiers à la rescousse du régime d’Assad – à l’époque au bord du total effondrement. Ça a marché. Le président russe a bien sauvé son homologue syrien et allié.

Le président russe, Vladimir Poutine (à gauche), accueille le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou à Sotchi, en Russie, le 23 août 2017 (Reuters)

Dans ce contexte, Israël a dû tracer une autre ligne – peut-être la plus importante de toutes : éviter à tout prix confrontations militaires et affrontements avec la Russie en Syrie. Pour y parvenir, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a investi beaucoup de temps et d’énergie à tisser des relations toujours plus étroites avec Vladimir Poutine. Il s’est envolé pour Moscou et a rencontré Poutine six fois – plus que tout autre leader au monde, sur une si courte période.

Israël n’autorisera pas une présence de l’Iran ou de ses émissaires en deçà d’une bande d’au moins 40 kilomètres de sa frontière et ne tolèrera pas de camps militaires iraniens permanents

Netanyahou et Poutine ont établi des canaux de communication spéciaux entre l’échelon supérieur des deux armées et, surtout, avec leur aviation et leurs systèmes de défense aérienne. Grâce à ces canaux, les deux parties arrondissent les angles, échangent des informations, entretiennent leur coordination opérationnelle, et ont même établi des accords tacites de non-intervention dans les affaires de l’autre.

Entre-temps, avec l’effondrement de l’État islamique et la relative stabilisation du régime, une nouvelle réalité se dessine en Syrie. L’Iran, avec ses milliers de soldats et ses dizaines de milliers d’alliés – les militants du Hezbollah et ceux de la milice chiite internationale –, poursuit ses ambitions d’hégémonie régionale.

Téhéran ne veut pas qu’ait été versé en vain le sang de ses soldats et de ses alliés. L’Iran cherche donc à obtenir des dividendes de cette guerre, sous la forme d’un renforcement de son engagement et de son influence en Syrie. La Syrie est un maillon clé de la chaîne du « croissant chiite » qu’il souhaite créer depuis l’Iran jusqu’au Liban, en passant par l’Irak et la Syrie, pour ainsi s’implanter en Méditerranée. Pour ce faire, l’Iran a besoin en Syrie de bases militaires, de terrains d’aviation et de ports maritimes.

Nouveau front iranien

L’Iran s’efforce de consolider son implication en Syrie, incitant donc récemment Israël à ajouter d’autres lignes rouges. Elles sont mises en exergue dans les déclarations de Netanyahou, comme dans celles du ministre de la Défense, Avigdor Liberman, et du chef d’état-major, le général Gadi Eisenkot.

Ils ne cessent de répéter qu’Israël n’autorisera aucune présence de l’Iran ou de ses émissaires en deçà d’une bande d’au moins 40 kilomètres de sa frontière, et ne tolèrera la présence sur le sol syrien ni de camps militaires iraniens permanents, ni de bases aériennes, maritimes et de renseignement.

Israël peut continuer ainsi tant que la Russie ferme les yeux

Si Israël a lancé ses récentes attaques, c’est pour faire respecter ses déclarations, clarifier sa position et montrer qu’il ne plaisante pas. Il est clair qu’il peut continuer ainsi tant que la Russie ferme les yeux. Probablement parce que Moscou comprend quels sont les intérêts vitaux d’Israël en matière de sécurité nationale. Au final, la Russie joue double jeu, et pourrait même être qualifiée de fourbe. Elle contribue à défendre le régime syrien, mais sait aussi regarder ailleurs quand Israël l’affaiblit.

Russie, Assad et Iran savent très bien qu’Israël dispose d’une puissance militaire suffisante pour « ruiner le parti » et empêcher Assad de mettre fin à la guerre civile, puis de stabiliser le pays.

Tant que la Russie ne dira pas « nyet » et « ça suffit comme ça », Israël se sentira libre d’imposer ses lignes rouges. Mais assorties d’une mise en garde.

Elle vise l’Iran. L’Iran, c’est une autre paire de manches. Le pays a des objectifs stratégiques à long terme et il ne les abandonnera pas facilement. Si l’Iran se rend compte que les opérations israéliennes menacent ses intérêts et entachent sa fierté nationale, il se peut qu’il doive riposter, d’un moyen ou d’un autre, contre Israël.

- Yossi Melman est un commentateur spécialiste de la sécurité et du renseignement israéliens. Il est co-auteur de Spies Against Armageddon (Des espions contre Armageddon).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Un char israélien déployé face à la Syrie, sur les hauteurs du Golan, occupé par Israël (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabies.

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