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Les médias français ont créé un enfer parallèle pour détourner l’attention de Gaza

En France, l’information a été déformée ou tout simplement fabriquée de toute pièce, dans le but de créer l’illusion d’une guerre prétendument juste à Gaza, exactement de la même façon que lors des précédentes offensives israéliennes

Alors que Gaza était bombardée jusqu’à être réduite en poussière, alors que des milliers de Gazaouïs étaient tués ou mutilés, un enfer parallèle était soigneusement élaboré en France. De hauts responsables politiques, des dirigeants communautaires, et les porte-paroles d’institutions publiques ont chacun joué un rôle dans cette tromperie qui a permis de redéfinir la dernière agression israélienne contre les Palestiniens. Cette tromperie médiatique a impliqué diverses allégations : incendie criminel contre des synagogues, attaques sauvages contre des personnes, et exode massif des juifs français chassés par la haine et la persécution.

Le fait qu’une large part des médias traditionnels a rapporté ces allégations dramatiques sans la moindre remise en question a rendu tout cela particulièrement efficace. Peu importe que les preuves aient été difficiles à établir, le simple fait que des personnes disposant de l’autorité et de l'influence nécessaires aient décrit ces prétendues atrocités a suffi à les rendre tout simplement vraies. Des mots comme « holocauste » et « pogrom » ont ainsi été régulièrement utilisés afin de détourner l'attention de Gaza et du massacre de civils palestiniens. L’impression malhonnête qui en a résulté a été que des membres d'une communauté stigmatisée, les juifs, luttaient pour sauver leur vie en France. En conséquence, les Israéliens vivant à plus de 3 000 kilomètres de distance avaient le droit de se « défendre », même si cela impliquait un nombre catastrophique de victimes arabes.

Ce genre de couverture médiatique s’accorde avec la manière dont les guerres menées par Israël sont généralement rapportées en France. Ces pratiques ont certainement été mises en œuvre dès le début de l'opération « Barrière protectrice », qui s’est déroulée en juillet et août 2014. Ainsi, l'information a été déformée ou tout simplement créée de toute pièce afin de créer l’illusion d'une guerre prétendument juste, exactement de la même façon que lors des offensives précédentes.

Les terribles pertes en vies humaines se sont répétées cet été, pires cette fois-ci : selon Al-Mezan, une ONG de Gaza spécialisée dans la défense des droits de l'homme, 2 168 Palestiniens ont été tués et 11 100 blessés. La grande majorité des victimes étaient des civils, et parmi eux des centaines de femmes et d’enfants. Les Nations unies ont établi que 71 Israéliens avaient été tués, parmi lesquels 66 soldats, quatre civils et un ressortissant étranger. Quelques 1 000 tonnes de munitions encore actives demeurent sur le sol de la bande de Gaza. Ainsi Israël, l'une des machines militaires les mieux équipées au monde, a détruit ou causé des dommages importants à quelque 80 000 foyers gazaouïs ainsi qu’à des infrastructures essentielles. Tout cela sous le prétexte de faire d'Israël un endroit plus sûr.

Dans une allocution aux membres de la Campagne de solidarité avec la Palestine en septembre à Londres, le député palestinien Mustapha Barghouti a déclaré : « Israël a attaqué Gaza en 2006, en 2008, en 2013 [sic 2012] et en 2014. En 2014, il y a eu cent fois plus de destruction et de bombes que lors des trois guerres précédentes. »

Cependant, l’opération « Barrière protectrice» se différencie des offensives précédentes en ce que les mythes de la propagande israélienne ont été beaucoup plus faciles à démonter. Cela est dû en grande partie à la présence sur le terrain d’un nombre plus important de médias traditionnels, mais aussi en raison de l'usage croissant des médias sociaux depuis 2008, et ce tout particulièrement au Moyen-Orient où YouTube, Facebook et Twitter ont joué un rôle déterminant dans la propagation du Printemps arabe en 2011. Les images instantanées  – vidéos et photos – ont permis à tout un chacun de montrer au monde ce qui se passe dans un endroit particulier, à un moment donné, et de façon précise.

Alors que les porte-paroles israéliens essayaient désespérément de décrire cette guerre comme un conflit symétrique entre le Hamas et l'armée israélienne, conflit dans lequel la mort de civils était « inévitable », ils se sont très vite montrés incapables de dissimuler plus avant la vérité sanglante. Celle-ci a été exposée à la vue de tous le 16 juillet, lorsque quatre garçons, tous membres de la famille Bakir et âgés entre 7 et 11 ans, ont été tués par des obus tirés à partir d'un navire de la marine israélienne alors qu'ils jouaient au football sur la plage, près du petit port de la ville de Gaza.

Jusqu'alors, les médias français avaient concentré leur attention sur les allégations concernant des « boucliers humains » qui auraient été utilisés par les lanceurs de roquettes du Hamas, ainsi que sur les « avertissements »  qui auraient été émis par les Israéliens avant qu'ils ne bombardent les « cibles légitimes ». Mais les images extrêmement dérangeantes de ces cadavres d’enfants gisant sur le sable, bien loin de toute installation militaire et de caches d'armes, ont contribué à changer cela. Tout comme le flot d'images en provenance des hôpitaux et des morgues montrant des enfants, des femmes, des hommes et des personnes âgées amputés, immobiles. L’outrage s’est reproduit quelques jours plus tard lorsque seize civils ont été tués et des dizaines d'autres blessés lors de l’attaque par la machine de guerre israélienne d’une école des Nations unies où ils cherchaient à se protéger des missiles israéliens à guidage de « haute précision » . Cette attaque, effectivement à la « précision chirurgicale » apparente, a été la première d'une série contre les installations des Nations unies, utilisées comme refuges pour une grande partie du demi-million de déplacés palestiniens fuyant leurs maisons bombardées.

Pendant la campagne de l'été de 2014, comme lors des conflits précédents, une fois examiné minutieusement par les journalistes et les différentes organisations des droits de l'homme sur le terrain, comme Amnesty International et l'ONU, l’argument des « boucliers humains » s’est effondré. Il est apparu évident, grâce à l’abondance de vidéos et de preuves photographiques, que les 1,8 million que compte la population gazaouïe vivent dans un espace extrêmement étroit et densément bâti. A ses extrémités, la bande de Gaza s’étend seulement sur 40 km de long sur 12 km de large. L’idée que les civils pouvaient tout bonnement se déplacer ailleurs parce que des groupes militants tiraient des munitions périmées depuis leur quartier s’est avérée aussi ridicule que les allégations selon lesquelles les palestiniens sacrifieraient leur vie afin de protéger ces armes et munitions. Le meurtre de civils est une violation flagrante du droit international et des droits de l’homme.

Quiconque observe la nature de la communauté de Gaza pourrait aussi se rendre compte que les « avertissements » adressés aux civils par l'armée israélienne afin qu’ils évacuent leurs maisons étaient inutiles. Ces avertissements prenaient souvent la forme de bombes « frappe sur le toit », qui ont été condamnées par des organisations de défense des droits de l'homme. Les autres avertissements incluaient des tracts, appels téléphoniques ou textos enjoignant les civils à quitter leurs maisons dans un délai de dix minutes. Même ceux qui possédaient un portable leur permettant de recevoir cet « avertissement »  (et dans un endroit aussi pauvre beaucoup n'en ont pas) n’auraient jamais pu s’enfuir à temps.

Au même moment, en France, des travestissements de la réalité ont également été mis au jour. Dès le 14 juillet – quelques jours après le début du conflit – les médias français ont fait état d’une « attaque » contre la synagogue de la rue de la Roquette, dans le quartier de la Bastille à Paris. Certains partisans pro-palestiniens auraient ciblé le lieu de culte en marge d’une manifestation. Curieusement, en contraste total avec la quantité d’images provenant d'une vraie zone de guerre comme Gaza, les images de cette « attaque » en plein milieu de la capitale française, un dimanche après-midi alors que les rues étaient pleines de touristes et de passants, sont inexistantes. Pas de photos des dommages, pas de photos des victimes. Rien.

Comme souvent dans les cas d'agressions physiques à caractère antisémite à Paris, les noms des témoins oculaires étaient aussi vagues que leurs témoignages. Le témoignage le plus virulent est venu d'une femme présentée sous le nom d’« Aurélie A. ». Celle-ci prétendit avoir été piégée à l'intérieur de la synagogue tandis que des « missiles » pleuvaient, et que « des Parisiens d’origine arabe » essayaient de nuire aux juifs réfugiés à l'intérieur. Elle ajouta qu’une hache et même des armes à feu auraient été utilisées par les agresseurs présumés. S’exprimant aussi froidement qu’un soldat israélien, « Aurélie A. » déclara à propos de l'un de ses soi-disant bourreaux : « Je veux le voir mort ! ».

Le CRIF, le Conseil représentatif des institutions juives de France, fit aussitôt des comparaisons avec l’époque du nazisme. Roger Cukierman, son porte-parole, décrivit la manifestation pro-palestinienne française comme une « nouvelle nuit de cristal », en référence à la fameuse « Nuit de Cristal » de 1938 en Allemagne et en Autriche, lorsque les paramilitaires nazis assassinèrent plus de 100 juifs et en arrêtèrent environ 30 000 autres. Des foyers de juifs, des hôpitaux et des entreprises étaient démolis, tout comme des foyers arabes, des hôpitaux et des entreprises étaient en train d’être détruits à Gaza, a fait valoir Cukierman. Les manifestants pro-palestiniens étaient aussi publiquement désignés comme des « terroristes » qui « attaquent les synagogues ».

Ce que le porte-parole du CRIF a omis de dire, est que l’« attaque » de la Synagogue de la rue de la Roquette était pure invention. Une vidéo très nette filmée par un habitant du quartier montre un groupe d'autodéfense, la LDJ (Ligue de Défense Juive), s’éloignant en trombe de la synagogue. Armés de matraques métalliques, de bouteilles de gaz et de chaises et tables pris dans les cafés voisins, ses membres ont provoqué des combats de rue avec les manifestants anti-guerre tout en chantant  « Palestine on t’e*** ».

Serge Benhaïm, le président de la synagogue, provoqua un nouvel embarras pour Cukierman, le CRIF et ses propagandistes servilement fidèles dans les médias français, en confirmant catégoriquement qu'il n'y avait jamais eu d'attaque contre le lieu de culte. Aucun des groupes rivaux ne s’était approché à l’intérieur d’un périmètre de 150 mètres autour de la synagogue, déclara Benhaïm, et personne n'avait été blessé. En outre, il précisa que la LDJ, laquelle figure sur la liste des organisations terroristes du FBI, devrait également être interdite en France « si elle ne peut pas se contrôler ».

Rien de tout cela n’a empêché les médias internationaux de relayer la propagande établie par leurs collègues français. La synagogue de la rue de la Roquette, officiellement connue sous le nom de synagogue Don Isaac Abravanel et construite en 1962 pour répondre à l’afflux des juifs d'Afrique du Nord quittant les pays décolonisés, est soudain devenue le symbole mondial d'un antisémitisme français virulent.

Newsweek, le magazine d'actualité internationale, publia un article fantaisiste sur ces « attaques » qui auraient créé un nouvel exode des juifs d'Europe. Il cite un témoin « piégé » rue de la Roquette qui déclare que l’« attaque » était « comme une Intifada » - le genre que vous voyez en Palestine, naturellement. Elargissant ses comparaisons à des extrêmes encore plus ambitieux, l’auteur de l’article, Adam LeBor, fait référence à la persécution nazie et même aux « pogroms anti-juifs de la Russie tsariste ».

Le Premier ministre français Manuel Valls et des élus locaux sont allés jusqu'à utiliser ces inventions médiatiques afin de justifier l'interdiction des manifestations pro-palestiniennes à Paris et dans d'autres villes de France. Valls a parlé de jeunes issus de la « classe ouvrière » qui « cachent leur haine des juifs derrière la façade de l'antisionisme et de la haine de l'Etat israélien ». Peu importe que Manuel Valls soit théoriquement un socialiste, ce qui suppose de considérer la liberté d'expression et d'association comme un pilier de la démocratie. Si vous n’aimez pas le message, interdisez le simplement, et fabriquez en un autre, telle a semblé être la position du gouvernement.

Suite à la vaste couverture médiatique de l’« attaque » de la rue de la Roquette, une synagogue située à Sarcelles, encerclée par la police anti-émeute, a été menacée par une bande de jeunes, qui sont ensuite allés vandaliser un certain nombre de boutiques, dont certaines appartenant à des juifs. La LDJ était en force à Sarcelles, mais les désinformateurs ont préféré se concentrer sur la « foule pro-Palestine ».

François Pupponi, le député-maire de Sarcelles, s’est référé à une foule composée principalement d’adolescents, notamment des lycéens d'origine noire-africaine, comme à une « horde de sauvages ». Il y eut de nombreuses informations non vérifiées faisant état de bombes incendiaires ainsi que de groupes criant « Mort aux Juifs ». Encore une fois, aucune vidéo, enregistrement sonore, ou simple photographie de tout cela. Il fallait juste croire sur parole des organisations comme le CRIF. Alors que les images des assassinats ou des mutilations de Palestiniens étaient diffusées dans le monde entier, personne n’a pu fournir la moindre image pour illustrer ce que ces présumés antisémites étaient censés infliger aux juifs de Paris.

Alors que les faux comptes-rendus des médias français étaient traduits et diffusés à l'étranger, on a accepté comme un fait que huit synagogues avaient été « attaquées » dans la région parisienne et que les juifs craignaient pour leur vie, tout autant que les Palestiniens de Gaza. On prétendit même que les juifs faisaient la queue pour quitter la France, la plupart étant censé vouloir se rendre dans un lieu plus sûr, en Israël particulièrement. Voilà ce qui était rapporté alors que les journalistes impliqués dans la création de cet enfer français soulignaient également la « menace sérieuse » posée par les milliers de roquettes tirées par le Hamas sur Israël. Cela en dépit du fait que, comme cela a été prouvé, leur impact a été minime en comparaison, en raison de leur caractère artisanal et du « Dôme de fer », le bouclier défensif israélien.

Hormis des exceptions notables telles que la chaîne de télévision France 3, la plupart des médias gaulois ont entretenu la tromperie à tel point que ces inventions flagrantes font désormais partie des archives historiques.

Dans de telles circonstances, ce sont les politiciens au parler le plus franc, et non les journalistes les plus en vue, qui ont exprimé l’indignation française contre le massacre de Gaza. Dominique de Villepin a ainsi signé dans le Figaro un article passionné. L’ancien Premier ministre, qui s’était fait connaître en 2003 en s’opposant à la guerre en Irak, écrit alors : « Lever la voix face au massacre qui est perpétré à Gaza, c'est aujourd'hui, je l'écris en conscience, un devoir pour la France […Il est temps] de lever le voile des mensonges, des omissions et des demi-vérités. Pour porter un espoir de changement. »

Faire entendre sa voix est pourtant le rôle de tout journaliste, en particulier face à des mythes aussi facilement démontables. Le code de déontologie du syndicat français des journalistes est clair : « Le droit du public d'accéder à une information complète, libre, indépendante et pluraliste doit guider le journaliste dans sa mission. Cette responsabilité vis-à-vis du citoyen prime sur toute autre. »

La facilité avec laquelle certains médias ont contourné un tel idéal dans le seul but de soutenir les agendas de ceux dont l’ambition était de minimiser l'ampleur de l'agression d'Israël envers Gaza en créant cet enfer parallèle en France devrait être une source considérable de honte. Ceci est d’autant plus vrai qu’aujourd’hui des organisations, dont des groupes de défense des droits de l'homme, accuse les politiciens et les leaders militaires israéliens de crimes de guerre, avec de possibles poursuites pénales à la clé.

Un adage attribué à Eschyle pose que « La vérité est la première victime de la guerre ». Ce qui a changé depuis l’époque de ce dramaturge grec du 5e siècle avant Jésus Christ est que ceux qui diffusent les informations aujourd’hui sont sous surveillance comme jamais auparavant. Chaque aspect d'un conflit, des pertes humaines en première ligne aux réactions des peuples protestataires dans les pays étrangers, peut être et sera analysé dans ses moindres détails. Si certains utilisent des événements fabriqués en relation avec de telles horreurs, alors ils devront en rendre compte, particulièrement en France.

- Nabila Ramdani est journaliste de presse et de télévision et chroniqueuse, spécialisée dans la politique française, le monde arabe, et les questions islamiques. Son travail a été plusieurs fois primé. Vous pouvez la suivre sur Twitter à @NabilaRamdani

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo: Des enfants palestiniens fouillent les débris de leurs maisons détruites par les bombes israéliennes à Shujaiya, quartier de l’est de la ville de Gaza, le 16 octobre 2014 (AFP)

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