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Mali : un accord de paix qui aggrave les conflits

Si les dissensions au Mali ne se calment pas, elles risquent d’exacerber la situation en Libye et les tensions dans d’autres pays voisins

Vingt-huit mois après l’intervention militaire de la France au Mali en janvier 2013, en vue de mettre fin à l’insurrection des islamistes extrémistes et à la « crise » au Mali, il a été annoncé à grand bruit qu’une cérémonie de signature de paix se tiendrait le 15 mai 2015 dans la capitale, Bamako. Voici quels devaient en être les signataires : le gouvernement du Mali, un certain nombre de milices soutenues par le gouvernement et la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA). La CMA comprenait une demi-douzaine de groupes, y compris les deux principaux groupes rebelles touaregs, le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) et le Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad (HCUA), qui a pris les armes en janvier 2012 pour obtenir l’indépendance de « l’Azawad » (nom que les Touaregs donnent au nord du Mali).

La cérémonie fut une honte pour ceux qui l’avaient promue. Voici quels furent les seuls signataires de cet accord rédigé à Alger : le ministre des Affaires étrangères du Mali, Abdoulaye Diop, trois représentants des milices pro-Bamako (ils avaient participé antérieurement à l’insurrection islamiste qui a pris le contrôle du nord du Mali en 2012) et deux membres peu importants de l’AMC. Le MNLA et le HCUA ont quant à eux refusé de signer.

D’après Pierre Boilley, historien français de l’Afrique et autorité internationalement reconnue sur le Mali, l’accord de paix ne vaut pas le papier sur lequel il a été écrit. J’avais moi-même qualifié  précédemment cet accord de « farce ».

Deux appréciations très négatives mais qui restent encore en dessous de la triste réalité. L’accord est bien pire que cela : les conflits et l’instabilité que cet accord de paix va provoquer au Mali, ne manqueront pas d’avoir des conséquences, notamment la propagation du militantisme extrémiste, dans les régions du Grand Sahel et en Afrique du nord.

En 2012, le Mali a été englouti par une crise, conséquence directe de l’imprudente invasion de la Libye par l’OTAN. Fin 2011, les combattants touaregs de retour de Libye ont rejoint ce qu’il restait de la rébellion touarègue de 2008-2010 au Mali, pour former le MNLA. En janvier 2012, ils ont pris les armes et mis rapidement en déroute l’armée malienne, mal dirigée et mal équipée. En avril, ils ont déclaré l’Azawad Etat indépendant.

L’Algérie, qui a toujours redouté que le succès d’une rébellion touarègue au Sahel déclenche des troubles sur son propre sol, est parvenue à saper la rébellion du MNLA en suscitant une « insurrection islamiste » dans le nord du Mali, menée par trois groupes islamistes : al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), Ansar al-Dine et le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’ouest (MUJAO) – sur lesquels les services secrets algériens (le département du Renseignement et de la Sécurité, DRS), avait un quasi-complet contrôle.

Le MNLA a rapidement été mis à l’écart quand les islamistes ont conquis l’Azawad. La menace qu’ils faisaient peser sur le sud du Mali et de Bamako a été dissipée par l’intervention militaire de la France.

La préparation de la cérémonie de paix du 15 mai 2015 avait presque deux ans d'histoire, avec à l’origine l’accord de Ouagadougou de juin 2013. Signé par le gouvernement du Mali ainsi que le MNLA et le HCUA, l’accord prévoyait un cessez-le feu, une élection présidentielle (le 28 juillet) et le début des pourparlers de paix, soixante jours au maximum après l’élection.

Le processus de paix qui a suivi est un cas d’école de comment ne pas résoudre les conflits ni atteindre un calme temporaire, sans même parler d’une paix durable.

Cela n’a jamais été l’intention des gouvernements du Mali ou d’Algérie, cette dernière ayant offert ses bons offices ou, plutôt, comme certains se plaisent à le dire, ayant fait le forcing sur le Mali et la communauté internationale, pour s’imposer comme intermédiaire.

Dès l’élection d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) à la présidence, la stratégie politique du gouvernement malien envers les rebelles et le processus de paix a reflété la dangereuse humeur populaire des rues de Bamako et la volonté de la direction politique et militaire de se venger par la force de l’humiliation infligée par les rebelles à l’armée malienne.

Avec l’aide et la bénédiction d’un certain nombre d’universitaires et de journalistes, apologistes du régime de Bamako, le gouvernement d’IBK a diabolisé les rebelles touaregs en les taxant de « terroristes », « trafiquants » et « criminels ». Cette diabolisation s’est intensifiée lorsque le MNLA et le HCUA ont refusé de signer l’accord de paix (préparé à Alger et présenté le 27 février 2015), à cause de l’absence de concessions en faveur de l’autonomie ou du fédéralisme, exigences pourtant formulées dès juillet 2014, au début des pourparlers d’Alger.

L’Algérie n’a jamais recherché une paix durable. Au contraire, ses principaux intérêts ont toujours été de deux ordres. Premièrement, empêcher un accord de paix qui donnerait aux Touaregs la moindre forme d’autonomie gouvernementale et de droits politiques. L’Algérie craint en effet que cela entraîne troubles et tendances sécessionnistes parmi sa propre population touarègue. Les Touaregs d’Azawad ne font pas confiance à l’Algérie. Ils savent que le DRS a encouragé l’insurrection islamiste qui a fait dérailler leur rébellion en 2012. Plusieurs observateurs accusent maintenant le DRS d’user de menaces, promesses et paiements monétaires pour infiltrer le MNLA et le pousser en douceur à signer l’accord de paix. Au Mali, l’Algérie a l’intention de préserver le statu quo plutôt que promouvoir un tout nouveau système politique progressiste. Les médias marocains, sans surprise, ont même accusé l’Algérie d’enfoncer le Mali dans une guerre civile totale.

L’Algérie s’intéresse aussi aux hydrocarbures. En juillet 2014, quand il a été décidé que les pourparlers de paix se tiendraient à Alger, la compagnie pétrolière nationale algérienne, Sonatrach, a contacté les autorités maliennes pour s’assurer que sa licence au nord du Mali était encore valide et signifier qu’elle allait commencer les forages exploratoires, une fois signé l’accord de paix. Trois mois plus tard, aux termes, accusent certains, d’un accord secret avec l’Algérie, le Mali a annulé dix concessions étrangères d’exploration pétrolière ainsi que des accords de partage de la production dans les bassins de Taoudeni et Gao au nord du Mali et dans le bassin de Nara dans l’ouest, au motif qu’ils étaient restés inexploités (à cause de l’insécurité).

On soupçonne qu’ils vont maintenant être offerts à Sonatrach, suite à l’obtention d’un accord de paix satisfaisant pour le gouvernement d’IBK.

Par ailleurs, les pourparlers de paix tenus à Alger, qui ont duré plus de huit mois, étaient en fait une sorte de « paix par diktat ». Alger a tenu les différentes parties à l’écart les unes des autres, et les rebelles touaregs n’ont jamais pu obtenir plus de quelques minutes de dialogue direct avec leurs adversaires. Le résultat fut un accord de paix auquel ils n’avaient pratiquement pas participé.

La communauté internationale, des Nations unies aux Etats membres de l’Union européenne, est restée remarquablement mal informée, tant de la situation des Touaregs que des intérêts régionaux de l’Algérie. Ces pays sont en effet obsédés par une notion toute américaine de la « sécurité », ainsi que par leurs propres intérêts géopolitiques respectifs.

Le Premier ministre du Mali était très impatient le 1er mars de signer l’accord rédigé par Alger, alors que l’AMC a demandé un ajournement, le temps d’organiser une consultation nationale. 3000 délégués locaux de l’AMC ont exprimé leur opposition au projet d’accord. Leur porte-parole, Bilal ag Acherif ne pouvait donc  pas faire autrement que de le dénoncer, avec cet argumentaire : comme cet accord ne prend pas en compte « les éléments essentiels des aspirations légitimes du peuple de l’Azawad », l’AMC « exige par conséquent de rencontrer médiateurs et partenaires internationaux » pour discuter de la suite à donner au processus de paix.

Le gouvernement du Mali a immédiatement rejeté cette demande, mais la communauté internationale a estimé que le MNLA et le HCUA succomberaient à ses scandaleuses pressions, à ses menaces de sanctions et aux incitations du DRS algérien. Mais les rebelles n’ont rien lâché, et les membres de la communauté internationale qui se sont effectivement prêtés à la farce de Bamako se sont couverts de ridicule.

Le résultat de cet accord de paix c’est que gouvernement et armée maliennes peuvent maintenant retourner faire la guerre, ce qu’ils ont toujours voulu ces deux dernières années, et se faire humilier une fois de plus ; les affaires reprennent pour les trafiquants de drogue (mais avaient-elles jamais vraiment cessé ?) ; les anciens « terroristes » du MUJAO, devenus milice gouvernementale servant par procuration les but de l’armée malienne, peuvent continuer leurs ravages ; la politique étrangère de l’Algérie, qui se résume à déstabiliser ses voisins, peut se targuer d’une nouveau succès ; La France sera en mesure de légitimer son éternelle présence militaire postcoloniale dans la région ; les vendettas des Touaregs locaux ne feront probablement que s’intensifier ; les agences d’aide internationale vont verser des larmes de crocodile en se tordant les mains de désespoir, tandis que les Nations unies persisteront dans leur posture de quasi-désintérêt pour une région dans laquelle elle ne sait pas trop ce qu’elle est venue faire, de toute façon. Les perdants, comme d’habitude, seront les populations civiles – femmes, enfants, vieillards et infirmes – de tous les groupes ethniques de la région, qui ont déjà terriblement souffert.

Depuis le 15 mai, soit dix jours avant la rédaction de ces lignes, on a relevé au moins douze foyers de conflits dans le nord et le centre du Mali. S’il n’est pas mis rapidement fin à cette reprise des combats, les troubles provoqués par les Touaregs risquent de s’étendre plus largement encore dans la région et d’exacerber la situation déjà chaotique en Libye, sans parler des tensions dans d’autres pays voisins.

- Jeremy Keenan est Associé de recherche professorale à l’Ecole des études orientales et africaines. Il a écrit de nombreux livres, dont The Dark Sahara (2009) et The Dying Sahara (2012). Il offre des prestations de consultant sur le Sahara et le Sahel à de nombreuses organisations internationales, dont les Nations Unies, la Commission européenne et bien d’autres encore.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : 1er Mars 2011, une femme sahraouie avance dans le désert, pour rejoindre le camp de réfugiés de Tindouf (Sahara occidental), appelé « le 27 février ». Le Sahara occidental est une ancienne colonie espagnole annexée en 1975 par le Maroc (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabies.

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