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Ne rejetez pas le patriarcat mondial sur les réfugiés

Si la société civile européenne souhaite s’occuper véritablement de la question du patriarcat mondial, alors elle ne doit pas céder aux explications xénophobes

Enfermez vos épouses et vos filles parce que la maladie arabe se propage, voilà ce que dit Kamel Daoud dans sa dernière contribution pour le NYT. Cette maladie, selon lui, n’est nulle autre que la relation malsaine du monde arabe avec les femmes. Et, si l’« Occident » n’agit pas maintenant, il risque d’exposer ses propres femmes à une vague d’agressions sexuelles de la part de la barbarie arabe.

Cette prophétie est très imagée, mais privée de nuance. Les sujets que sont le sexe, le genre et le patriarcat au Moyen-Orient ont occupé les devants de la scène et sont au cœur de débats en dehors de la région, impliquant souvent des cercles qui ne comprennent guère ce dont ils parlent.

Pour ces personnes, cela confirme leurs préjugés comme quoi les Arabes sont des êtres réprimés sur le plan sexuel, prêts à bondir sur les femmes à la moindre occasion.

Il se pourrait même que beaucoup montrent du doigt les agressions sexuelles perpétrées par les migrants arabes à Cologne comme en étant la preuve parfaite, sans tenir compte du fait que des Allemands blancs ont également été impliqués dans ces crimes. Pour ces personnes, cet article viendra même confirmer le fait que les femmes arabes doivent être libérées de l’« arriération » de l’islam.

Cependant, pour tous les autres – qu’ils viennent d’« Orient » ou d’« Occident » –, les agressions de Cologne montrent l’évidence, que le patriarcat n’a ni frontières ni nationalité. Penser autrement ne fera que nous aveugler sur la façon dont les préjugés raciaux sapent la lutte pour les droits des femmes et alimente la discrimination envers les réfugiés.

Protéger « nos frontières » et sauver « nos femmes »

Présenter les Arabes comme une menace pour les Européennes ne fait que renforcer la forme la plus répandue de patriarcat universel.

Cette idée est ce que nous a offert les notions féministes arabes, dont beaucoup ont été inspirées par l’étude de L’Orientalisme d’Edward Saïd. C’est également l’idée même que ceux comme Daoud ont fait disparaître. Au lieu de cela, de tels commentaires jouent sur les campagnes alarmistes dirigées contre les réfugiés.

Le populisme d’extrême-droite se développait déjà en Europe avant qu’ils ne soient confrontés à l’ampleur de la crise des réfugiés syriens.

Les Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident (PEGIDA) ne sont qu’un des exemples les plus remarquables de groupe d’extrême droite qui s’est résolument opposé à la politique d’accueil de l’Allemagne envers les réfugiés fuyant la Syrie et l’Irak.

Le groupe a commencé à organiser des rassemblements dans toute l’Allemagne à la fin de l’année 2014 et est même allé jusqu’à attaquer des centres de réfugiés à travers le pays. Les autorités allemandes ont recensé 222 attaques sur ces centres rien qu’en 2015.

La dernière publication de Charlie Hebdo n’y est pas non plus allée de main morte pour propager des opinions critiques à l’égard des réfugiés. Le magazine a dépeint un Alan Kurdi adulte (le Syrien de 3 ans qui s’est échoué, mort, sur la côte grecque il y a cinq mois) courant après une Européenne dans l’intention de la peloter.

Peut-être que l’UE n’est pas si différente que ses éléments les plus xénophobes. Cela explique-t-il pourquoi Frontex (l’agence de contrôle des frontières de l’UE) continue de dissuader des milliers de réfugiés de demander l’asile ?

Quelle que soit la raison, l’establishment de l’UE ne reconnaît toujours pas les réfugiés comme des personnes qui ont le droit fondamental de demander l’asile. Il « les » voit d’abord et avant tout comme une menace pour leur souveraineté, de la même façon que les xénophobes les dépeignent comme une menace pour « leurs » femmes.

Un choc des ignorances

À la fin de sa contribution, Daoud écrit : « Ce qui avait été le spectacle dépaysant de terres lointaines prend les allures d’une confrontation culturelle sur le sol même de l’Occident. »

C’est précisément ces raisonnements que des groupes extrémistes tels que Daech (État islamique) ont tendance à propager pour recruter des jeunes marginalisés dans leurs rangs.

Pour reprendre les mots d’Edward Saïd, l’Europe ne connaît pas un choc des civilisations mais un choc des ignorances.

Cela ne signifie pas que la violence sexuelle doit être ignorée si elle est commise par les migrants arabes en Europe ou ailleurs, au demeurant. Ils doivent être poursuivis en conséquence comme tout autre citoyen. Toutefois, si les pays européens tiennent vraiment à se présenter comme les démocraties qu’ils prétendent être, alors il est temps de cesser de criminaliser les Arabes pour le seul fait d’être Arabe.

Une approche plus digne serait pour les États membres de l’UE de protéger les réfugiés contre les agressions sexuelles de la façon dont ils semblent le faire avec leurs propres citoyens.

Selon un rapport publié par Amnesty International, 40 femmes et jeunes filles réfugiées en Europe du Nord ont dit avoir été agressées à presque chaque étape de leur voyage. Elles ont été harcelées par des compatriotes, mais aussi par des agents de sécurité sur le sol européen.

Pire encore, plus de 10 000 enfants réfugiés et migrants non accompagnés ont disparu en Europe, suscitant des craintes que beaucoup aient été réduits à la traite sexuelle ou l’esclavage. Leur sort est révélateur de la forme la plus oppressive de patriarcat qui détruit des vies en « Orient » et « Occident ».

Si la société civile européenne souhaite s’occuper véritablement de la question du patriarcat mondial alors elle ne doit pas céder aux explications xénophobes. La lutte pour l’égalité des sexes ne peut pas être menée au prix de la continuation de tropes racistes. Dans ce cas, les campagnes antiracistes et les mouvements pour les droits des femmes finiront par se contrarier et se heurter.

- Mat Nashed est un journaliste couvrant les informations liées au Moyen-Orient. Se concentrant sur les marchés noirs et la migration, il a écrit depuis la Turquie, le Liban et la Tunisie, son travail apparaissant sur VICE, Al-Monitor et Al-Jazeera.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : une Syrienne porte un bébé tandis qu’elle attend avec d’autres de retourner en Syrie, le 8 février 2016, au poste frontière turc d’Öncüpınar près de Kilis, dans le sud de la Turquie (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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