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Pour une mère palestinienne détenue en Israël, la vie de famille n’est qu’une voix lointaine

Les appels téléphoniques étant interdits, la station de radio Sawt al-Asra (« La Voix des prisonniers ») permet aux familles de détenus d’envoyer des messages à leurs proches emprisonnés

En rentrant chez moi, j’entends un homme appeler d’une voix fatiguée une émission de radio locale. Il raconte amèrement et avec une grande gêne les différentes affections qui lui rongent le corps, recensant toutes les opérations, tous les bilans de santé, toutes les complications et tous ses traitements, sans omettre le moindre détail. Il ressort clairement que sa souffrance est un lourd fardeau. 

Cet homme est le père d’un prisonnier originaire de la bande de Gaza qui purge une peine d’emprisonnement à perpétuité. Malgré sa santé défaillante, il ne peut pas rendre visite à son fils, car les forces d’occupation israéliennes ne délivrent pas de permis aux membres de la famille des détenus qui souhaitent aller les voir en prison. Il est manifestement douloureux pour l’homme d’entrer autant dans les détails au sujet de sa santé sur la radio publique, mais c’est la seule façon pour lui de dire à son fils comment il se porte. 

Les forces d’occupation israéliennes n’autorisent pas les prisonnières palestiniennes à parler au téléphone à leur famille et des restrictions sévères sont imposées à l’envoi et à la réception de lettres

En écoutant cet appel, je me remémore l’époque où j’étais prisonnière dans les cellules de l’occupation israélienne, il y a deux ans. Une personne en particulier me vient à l’esprit : le visage sombre et calme de Nisreen Abu Kameel, plongé dans le chagrin.

L’attente d’un signal

Dans quelques semaines, Nisreen aura purgé trois ans de prison et devra encore patienter trois ans avant de pouvoir retrouver sa famille à Gaza.

Mère de sept enfants originaire de Gaza, Nisreen a été arrêtée en octobre 2015 au poste-frontière d’Erez, dans le nord de Gaza, et condamnée à six ans de prison. Sa famille a l’interdiction de lui rendre visite ou de communiquer avec elle, puisqu’elle vit dans une prison encore plus vaste : Gaza.

Chaque après-midi, Nisreen tente de capter le signal de la station de radio Sawt al-Asra (« La Voix des prisonniers »), qui diffuse un programme utilisé par les familles des détenus pour envoyer des messages à leurs proches emprisonnés. Ces personnes appellent l’émission pour donner de leurs nouvelles et apportent à de nombreux détenus le seul lien possible avec leur famille.

L’émission de radio ne peut être captée que par temps clair. Dans les régions côtières, comme Haïfa ou Jaffa, où se trouvent les deux prisons pour femmes, les conditions météorologiques sont rarement propices à un signal clair. Néanmoins, tout au long de l’année, qu’il pleuve ou qu’il vente, Nisreen tente de l’écouter dans l’espoir d’entendre sa famille. Lorsqu’elle entend son mari parler, ses codétenues la félicitent et des signes timides de joie envahissent son visage fatigué.

Lorsqu’elle entend son mari parler, ses codétenues la félicitent et des signes timides de joie envahissent son visage fatigué

Pendant encore trois ans, comme cela a été le cas au cours des trois dernières années, Nisreen continuera d’entendre des nouvelles de ses sept enfants et de son mari dans une émission qu’elle ne pourra capter que par temps clair. Les forces d’occupation israéliennes n’autorisent pas les prisonnières palestiniennes à parler au téléphone à leur famille et des restrictions sévères sont imposées à l’envoi et à la réception de lettres. 

Le droit à la vie privée bafoué

Si une détenue veut envoyer une lettre à sa famille depuis la prison, celle-ci doit tout d’abord être examinée par les administrateurs pénitentiaires. La même règle s’applique aux lettres qui arrivent. Le droit fondamental à la vie privée est occulté et il faut plus d’un mois ne serait-ce que pour qu’une lettre parvienne à sa destinataire – et même dans ce cas, uniquement si le service de renseignement pénitentiaire approuve le contenu et ne le considère pas comme une menace pour la sécurité de l’État.

L’image de Nisreen évoquant avec tendresse et envie les nouvelles transmises par son mari et ses enfants à la radio reste encore gravée dans ma mémoire. J’éprouve de la compassion pour cette mère qui doit apprendre que ses enfants grandissent à travers les changements qu’elle entend dans leur voix à la radio ou les rares photographies que les administrateurs pénitentiaires l’autorisent à recevoir au bout de deux ou trois mois vécus dans l’amertume. 

Des activistes manifestent devant la prison israélienne de HaSharon, le 6 janvier (AFP)

Il semble si difficile pour Nisreen de ne pas avoir pu embrasser une seule fois ses enfants depuis son arrestation. Puisqu’ils ont l’interdiction de lui rendre visite en prison, ils auront chacun six ans de plus quand elle les reverra, ce qui lui sera impossible avant sa libération, en 2021.

Nisreen souffre également d’une multitude de problèmes de santé, notamment d’hypertension et d’hyperlipidémie. En outre, elle a récemment subi une fracture à la main, aggravée par la négligence dans les soins qui lui sont apportés. Depuis, elle a été transférée à la prison de HaSharon pour recevoir le traitement kinésithérapique nécessaire pour retrouver un usage normal de sa main.

Ibtisam Ahmed, une autre Palestinienne de Gaza âgée de 60 ans et récemment arrêtée à Erez, a été condamnée à deux ans de prison. Sa famille n’a pas le droit de lui rendre visite : ainsi, comme Nisreen, elle attend une météo clémente pour entendre ces voix. 

Des visites strictement surveillées

Selon la législation de l’Administration pénitentiaire d’Israël, les familles de détenus reçoivent des permis de visite toutes les deux semaines, en coordination avec la Croix-Rouge et avec l’approbation des services de renseignement. Les visites durent 45 minutes, au cours desquelles les familles se retrouvent dans une grande salle divisée en deux couloirs, séparés par une vitre en verre transparent insonorisée. Ils parlent à l’aide de récepteurs téléphoniques sous la surveillance d’administrateurs pénitentiaires. 

Des procédures strictes régissent la délivrance de permis de visite aux prisonniers considérés comme des menaces pour la sécurité. Pendant six mois, j’ai vécu dans la même pièce que deux femmes dont la famille n’était autorisée à leur rendre visite que tous les trois mois. Ce sort leur est souvent communiqué sans raison claire, au-delà d’une prétendue menace pour la sécurité de l’État. 

Des mères sont forcées de vivre séparées de leurs enfants. Une détenue qui a un enfant de moins de 6 ans est autorisée à étreindre son jeune enfant pendant dix minutes une fois par mois

Maysoon Mussa, une étudiante universitaire en anglais originaire de Bethléem, est une jeune femme aimable et calme qui aime les chats. Elle m’a raconté qu’elle s’occupait de douze chats chez elle, me montrant des photographies et me parlant de chaque félin. Ses yeux reflétaient un amour manifeste alors qu’elle s’exprimait calmement et tendrement ; elle chérissait ces photos. 

Condamnée à quinze ans de prison, Maysoon est l’une des nombreuses prisonnières dont la famille n’a le droit à des visites que tous les trois mois. Parfois, il y a un retard dans la délivrance des permis, ce qui prolonge encore l’attente. Résultat : au cours de sa détention, Maysoon ne sera autorisée à voir sa mère que quatre fois par an, à travers une vitre. 

Une réglementation oppressive

Israël détient actuellement des dizaines de Palestiniennes dans ses prisons. Elles survivent dans des conditions extrêmement éprouvantes ; certaines ont été touchées par des tirs à balles réelles au moment de leur arrestation. Une détenue a subi de graves brûlures sur 60 % de son corps, tandis qu’une autre est enceinte.

Des mères sont forcées de vivre séparées de leurs enfants. Une détenue qui a un enfant de moins de 6 ans est autorisée à étreindre son jeune enfant pendant dix minutes une fois par mois.

Les familles peuvent apporter des photos dans la prison une fois tous les deux mois, avec un maximum de cinq photographies à la fois. En plus de l’oppression brutale à laquelle elles sont confrontées, les prisonnières doivent se lancer dans des batailles interminables pour revendiquer leur droit d’avoir au moins une fois par an une photo d’elles qui serait remise aux familles en visite.

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La réglementation relative aux photographies était encore plus oppressive lorsque j’étais en prison. Je n’ai jamais vu de photos personnelles être remises à des familles de prisonnières au cours des dix mois que j’ai purgés. Ce n’est que suite à des pressions considérables exercées par les prisonnières que des concessions ont été faites. 

Les chiffres ci-dessus visent à exprimer quelque chose qui est difficile à expliquer. La réalité est que des prisonnières se voient infliger encore et encore de lourdes peines et entraver l’accès à leur famille – des visites que beaucoup considèrent comme une bouée de sauvetage.

Salam Abu Sharar est une pharmacienne, activiste et blogueuse palestinienne.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des prisonniers font signe depuis leur cellule dans la prison de HaSharon, au nord-est de Tel-Aviv, en 2014 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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