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Algérie : les législatives, nouveau piège à miel pour l’opposition

Les élections législatives algériennes se tiendront le 4 mai. Mais les jeux sont plus ou moins déjà faits. Bienvenue dans la cuisine politique algérienne
La question de la participation aux élections législatives qui se tiendront en mai a fait voler en éclat le consensus établi en 2014 entre les partis de l'opposition (MEE/Adlène Meddi)

ALGER - « Vous connaissez le concept d’‘’opposition utile’’ ? Voilà à quoi nous allons servir. Le pouvoir a besoin de nous pour justifier sa politique d’austérité, alors oui, on aura quelques sièges au parlement, voire même des ministres. Et puis au moindre problème, on servira de fusible. » Karim, 42 ans, est militant au Mouvement de la société pour la paix (MSP), principal parti islamiste du pays.

Des résultats des prochaines élections législatives, qui se tiendront le 4 mai, il affirme en connaître déjà les grandes tendances.

Une large victoire du Front de libération nationale (FLN, parti du pouvoir), talonné par le Rassemblement national démocratique (RND, parti pro-pouvoir d’où est issu l’actuel chef de cabinet de la présidence Ahmed Ouyahia), et de la distribution « savante » aux principaux partis d’opposition : les formations islamistes et les « laïques », le Front des forces socialistes (FFS) et le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD).

Ali Benflis, président du parti Talaiou al-Houriat (Les avant-gardes des libertés) et principal leader de l’opposition, ne participera pas aux élections législatives (MEE/Adlène Meddi)

Comment parvenir à un tel résultat ? Silence gêné d’un cadre du FLN. « Parler de fraude, c’est un peu grossier », grommelle-t-il en anticipant notre question. « Non, les choses se font de manière subtile. Les gens votent et puis de petits ajustements sont faits pour que tout le monde soit content. »

Dans le jargon politique algérien, on appelle ça « la politique des quotas ».

Soufiane Djilali, président du parti Jil Jadid (Nouvelle génération), qui a choisi de ne pas participer aux prochaines législatives, en explique le principe à Middle East Eye : « Ça se passe au niveau des wilayas [préfecture] où sont rassemblés les procès verbaux des bureaux de vote. Sur instruction du ministère de l’Intérieur, le wali [préfet] fait en sorte d’orienter les votes en fonction des consignes. Je ne l’ai pas vu de mes yeux mais je tiens cela de confidences d’anciens walis et de personnes impliquées à l’intérieur de l’administration. Et l’expérience cumulée a montré qu’un certain nombre de sièges annoncé pour telle ou telle formation avant le scrutin lui est bel et bien attribué après le vote. »

« Cuisine interne »

Tarek Hafid, journaliste, raconte la même « cuisine interne ». « En amont, le pouvoir intervient au moment de la confection des listes électorales. Ensuite, il donne les grandes lignes de ce qu’il souhaite comme découpage aux walis, que l’on pourrait comparer à des ‘’grands électeurs’’ », résume-t-il pour MEE.

« Si on veut faire en sorte qu’un parti ait plus de sièges au parlement, on va aller taper dans les wilayas où se trouvent ses réservoirs de voix. Par exemple : en Kabylie pour le FFS. L’objectif à l’arrivée, c’est d’obtenir un parlement homogène qui satisfait tout le monde. »

Assis sous le portrait officiel d’Abdelaziz Bouteflika du temps de sa grande forme, le cadre du FLN hausse les épaules pour dédramatiser. « La nouvelle Constitution est claire : le président veut donner plus de pouvoir à l’opposition, alors où est le problème ? »

Les mesures d’austérité pourraient s’accompagner de contestations sociales dans une société prise à la gorge par le pouvoir d'achat, une responsabilité que le pouvoir voudrait partager avec les autres partis (MEE/Bachir)

Dans le texte adopté en 2016, il est effectivement mentionné dans le nouvel article 114 que l’opposition parlementaire peut bénéficier « d’aides financières accordées au titre des élus au parlement » et que chaque groupe parlementaire de l’opposition peut choisir un ordre du jour à débattre en séance mensuelle.

« Le régime veut reproduire le parlement de 1997 : l’État maîtrise le jeu démocratique tout en laissant une certaine marge de manœuvre à l’opposition », décrypte Othmane Lahiani, analyste politique pour le quotidien arabophone El-Khabar.

« Il veut faire de l’opposition un partenaire pour traverser les prochaines difficultés socio-économiques en répartissant la pression sur toute la communauté politique. »

« En clair, le pouvoir fait tout pour que les islamistes soient présents dans le prochain parlement et casse ainsi l’opposition »

- Soufiane Djilali

Paradoxe, les partis de l’opposition ne sont pas dupes.

Pour le FFS, « le pouvoir [veut] amener l’opposition à le rejoindre dans la gestion de la catastrophe après avoir neutralisé tous les instruments de l’exercice politique et imposé ses choix économiques ».

Le parti écrit aussi qu’« en cas d’échec prévisible pour tous les observateurs lucides, le pouvoir pourra à loisir se prévaloir de l’appui de l’opposition et d’un gouvernement d’union nationale de façade pour mener une politique violemment antisociale ».

Abderrezak Makri, président du MSP, a lui aussi une idée très claire de ce que l’on attend de son parti : « Nous allons d’abord nous mobiliser pour canaliser la colère du peuple afin de faire pression, exiger le changement et entamer la transition démocratique. Si le peuple algérien sort dans la rue sans leaders politiques et sociaux, alors ce sera le chaos. Et nous sommes contre une telle catastrophe. Il faut que cette colère serve plutôt à aller vers une transition négociée avec toutes les partis. »

« Beaucoup de facilités accordées aux islamistes »

Changer le système de l’intérieur, un vieux leitmotiv algérien, Soufiane Djilali n’y croit plus beaucoup. Il remarque que « beaucoup de facilités » ont été accordées aux islamistes.

« Si, par exemple, un des six partis de la mouvance islamiste n’a pas obtenu aux élections de 2012 le minimum des 4 % de suffrages requis pour participer aux prochaines élections, alors un autre parti de la mouvance peut l’en faire profiter grâce à de nouvelles alliances. En clair, le pouvoir fait tout pour qu’ils soient présents dans le prochain parlement et casse ainsi l’opposition. »

Avant même que la campagne ne commence, l’Instance de suivi et de coordination de l’opposition (ISCO), la seule plateforme de partis qui malgré des différences et des désaccords avaient réussi une expérience unique depuis la fin des années 1990 – rester unis pendant deux ans – a officiellement volé en éclats.

C’est sur les réseaux sociaux que la guerre a éclaté entre Soufiane Djilali et Abderrezak Makri, pendant qu’Ali Benflis, l’autre poids lourd de l’opposition qui a choisi de boycotter les législatives, tentait d’apaiser les esprits par communiqué interposé.

« Il est du devoir de l’opposition nationale de ne pas permettre que la différence de positions quant à cette échéance électorale sans portée et sans signification politiques mette en péril le projet plus grand autour duquel elle s’est rassemblée, celui de la transition démocratique pour lequel elle a consenti tant d’efforts et tant de sacrifices », a-t-il défendu sans recevoir de véritable écho.

« L’ISCO est morte de ses contradictions – je pense aux oppositions idéologiques hétérogènes – car trop tournée vers la participation au pouvoir. Or il me semble qu’il faut se donner le temps de bâtir une opposition républicaine pour ensuite prétendre au pouvoir », estime l’ex-député RCD Tarik Mira.

Traduction : « Certaines personnes qui ne suivent pas bien les événements prétendent que le MSP envoie des messages au pouvoir pour obtenir des quotas aux législatives. Je dis à certaines personnes intelligentes que le MSP est le seul parti qui affronte le FLN et le RND dans toutes les wilayas et toutes les communes et la première et la plus grande victime de la fraude. La seule chose que veut le MSP, c’est qu’il n’y ait pas de fraude, son quota est assuré par le peuple selon la volonté de Dieu. »

« Demandez au FFS ou au RCD : ils savent que la politique de la chaise vide ne paie pas », résume l’apparatchik du FLN. « Il vaut mieux qu’ils participent. Parce qu’un poste de député, officiellement, c’est de la visibilité mais c’est surtout beaucoup d’argent et de privilèges – logements, business, emplois… – pour les députés et leurs proches. Et puis, ils sont conscients que ces élections sont importantes pour plus tard. »

Comprendre : le prochain parlement étant élu pour cinq ans, c’est maintenant qu’ils doivent avancer leurs pions, car les députés seront donc encore en poste après 2019, date de la prochaine élection présidentielle.

Les proches d’Abdelaziz Bouteflika laissent entendre que le président pourrait se présenter pour un cinquième mandat (AFP)

D’ici là, deux scénarios sont possibles : soit Abdelaziz Bouteflika se présentera pour un cinquième mandat – c’est déjà ce que laissent entendre certains proches –, soit sa succession se mettra en place autour d’un parlement docile et d’un gouvernement « d’union nationale », selon des échos des proches de la présidence.

Dans cette équation, l’opposition « intégrée » fera avancer l’argument de la stabilité et de la paix politique et sociale au détriment de ses exigences de transition démocratique en vue d’obéir aux schémas des décideurs pour la succession ou… la perpétuation d’Abdelaziz Bouteflika.   

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