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Algérie : interdit de se moquer des élections législatives ! Et pourtant…

Sur les réseaux sociaux, les Algériens tournent en dérision les affiches de la campagne pour les élections législatives du 4 mai. Mais le ministère de l'Intérieur a annoncé samedi avoir interpellé un utilisateur Facebook pour détournement de l'affiche officielle
Le slogan officiel des élections « Fais entendre ta voix » a été détourné sur les réseaux sociaux en « Montre ton visage » en réponse aux femmes candidates qui n’ont pas souhaité apparaître en photo sur les affiches (Twitter)
Par MEE staff

Coincé dans son costume mal taillé, la main levée dans un salut figé, l'homme est un candidat aux élections législatives algériennes qui se tiendront le 4 mai. Et la risée des Algériens sur les réseaux sociaux. La renommée ne l'aurait pas davantage protégé : Louisa Hanoune, ex-candidate à l’élection présidentielle en 2014 et secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT), a, elle aussi, subi les sarcasmes des internautes. Sa posture sur son affiche électorale, main droite placée en avant pour accompagner le slogan Kafa ! (Ça suffit), lui a notamment valu des comparaisons avec... Iron Man.

Traduction : « Notre frère est décidé à nous gifler. Ou tu votes pour moi ou je te gifle. Quelle engeance !  »

https://twitter.com/Toophyk/status/851475153628397569

Le seul que les surprenantes tentatives de communication politique de cette campagne électorale ne font pas rire, c'est le ministère de l'Intérieur. Samedi 15 avril, le ministre en personne Noureddine Bedoui, repris par le quotidien Echorouk, a annoncé avoir interpellé un utilisateur Facebook déjà coupable d'avoir détourné l’affiche électorale officielle. « Les services de l’ordre ont procédé à l’arrestation d’un individu qui s’en est pris à la campagne législative. Il voulait en effet porter atteinte au processus législatif et à la Constitution. Il a été présenté devant les tribunaux », a-t-il précisé.

Selon l'article 205 du code électoral, « quiconque, à l’aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux, ou autres manœuvres frauduleuses, aura surpris ou détourné des suffrages, déterminé ou un plusieurs électeurs à s’abstenir de voter est puni d’un emprisonnement de trois mois à trois ans et d’une amende de 6 000 à 60 000 DA [50 à 510 euros] ».

Le nom de la personne interpellée n’est, pour l’instant, pas connu mais l’affiche montrant notamment une jeune femme voilée en vert – du vert du drapeau algérien – et tenant dans sa main sa carte électorale a fait l’objet de nombreuses parodies sur les réseaux sociaux. « Semma sawtek » (Fais entendre ta voix), le slogan de la campagne électorale, a par exemple été détourné en « Montre ton visage » après la multiplication des affiches sur lesquelles les candidates femmes qui n’ont pas souhaité que leur visage apparaisse, ont été remplacées par des silhouettes de têtes voilées sans visage. 

Affiche officielle de la campagne électorale pour les élections législatives du 4 mai (Facebook)

Le Front des forces socialistes (FFS), premier parti d’opposition, aussi concerné avec sa liste à Bordj Bou Arreridj (nord), est le seul parti à avoir condamné ce type d’affiche : « Notre engagement en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, notre respect de la dignité intrinsèque de la citoyenne algérienne, notre inscription dans l’idéal émancipateur du mouvement de libération nationale qui a vu les algériennes s’engager dans la lutte d’une manière héroïque qui leur a valu l’admiration du monde entier nous interdisent de tolérer de telles pratiques indignes de notre Histoire, de notre projet politique et de nos ambitions dans le monde », a-t-il souligné dans un communiqué.

Les silhouettes de têtes voilées sans visage ont aussi été vues sur l’affiche du Parti de l’équité et de la proclamation (PEP, islamiste), dont la présidente, la députée, Naïma Salhi, est surtout connue pour ses sorties très médiatiques en faveur de la polygamie ou sur sa relation avec son mari envers lequel elle a déclaré en 2015 être « soumise à un point incroyable dans l’intimité ».  

Lundi, un délégué de la Haute instance indépendante de surveillance  des élections (HIISE) a adressé des mises en demeure aux partis dont les listes n’affichent pas les photos des candidates dans la wilaya de Bordj Bou Arreridj. Il a également informé le ministère de l’Intérieur pour que soient prises les mesures légales prévues en de pareils cas, estimant que ce type de dépassement était « dangereux et contraire aux lois et à la Constitution, surtout que ces femmes se portent candidates pour représenter le peuple au sein de l’Assemblée populaire nationale et le  citoyen a le droit de connaître la personne à qui il donne sa voix ». Mais ce jeudi, le président de l'instance, Abdelouahab Derbal, a affirmé que ne pas afficher sa photo est  « conforme aux traditions algériennes ».  

Mohamed Daoui, député de Ouargla (sud) et tête de liste pour le parti El Karama (La dignité), petit parti créé dans le sillage de la loi de janvier 2012 introduisant plus de flexibilité dans la création des partis politiques, est devenu une star grâce à son slogan « l’homme qui n'éteint jamais son téléphone - courage, expérience et crédibilité ».

« Condor [une entreprise algérienne d’électronique] met au point pour le candidat d’El Karama le premier téléphone qui ne s’éteint jamais », plaisante le site parodique El Manchar.

Mohamed Daoui, « l’homme qui n’éteint jamais son téléphone » (Twitter)

La liste de l’alliance entre les deux partis islamistes, le Mouvement de la société pour la paix et le Front du changement, à Djelfa (hauts-plateaux), où les candidats posent à côté de la tombe d’un martyr (combattant tué pendant la guerre d’indépendance) a aussi provoqué des réactions.

https://twitter.com/karimou_dz/status/852220295599579136

Traduction : « On utilise même les morts pour la campagne électorale. Et ce sont eux qui vont être au parlement ?! »

L’affiche du Mouvement de l’entente nationale (MEN, dont le sigle en anglais veut aussi dire « hommes ») à Annaba (est), où les deux candidats Abdelhakim Ben Teboula et Cheikh Salim Ben Mohammed se tiennent virilement la main sur fond de ciel d’où surgit la lumière, a également été détournée par deux célèbres twittos algériens.

L’affiche du Mouvement de l’entente nationale à Annaba (Twitter)

À Annaba toujours, une affiche intitulée « Les chevaliers d’Annaba » sur laquelle posent le député du Front national de libération (FLN, parti au pouvoir) Bahaeddine Tliba, numéro deux sur la liste du parti derrière le ministre des Transports Boudjama Talaï, a suscité de nombreux commentaires sur Twitter, en partie car l’an dernier, des habitants de la ville avaient manifesté pour réclamer son départ suite... à des affaires présumées de corruption.

https://twitter.com/Neila/status/851894814761259008
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