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Algérie : la vidéo d’un bourrage d’urnes présumé fait scandale

Une vidéo, dans laquelle Fouzia Tahraoui, députée d'un petit parti, tente d'arracher une urne à des assesseurs qu'elle accuse d'avoir fraudé lors des élections législatives du 4 mai, fait le tour des réseaux sociaux
Sur la vidéo, filmée avec un téléphone portable, on aperçoit une bagarre autour d'une urne (capture d'écran)
Par MEE

ALGER - La scène est d’une grande confusion. Elle se déroule dans un bureau de vote de Chelf, à Mouafkia, à 200 kilomètres à l'ouest d'Alger, entre le moment où le bureau doit fermer et le début du dépouillement.

La jeune femme voilée de noir tente de s’emparer d’une urne dans laquelle elle raconte que des bulletins non valides ont été introduits. Elle s'appelle Fouzia Tahraoui et se présente pour le Front démocratique libre (FDL). 

Affiche électorale de la liste de Fouzia Tahraoui (Facebook)

Elle est accompagnée d’un homme, qui filme avec son téléphone. Il est confronté à des personnes dans le bureau qui tentent de l’empêcher de filmer. On l’entend crier : « Laisse-moi filmer ! Ne touche pas le téléphone ! Non non ! ».

Pendant ce temps, la jeune femme s’en prend à un homme, selon son témoignage un membre du bureau de vote agissant pour le compte du Rassemblement national démocratique (RND, parti au pouvoir) : « Enlève ta main ! ». Elle crie : « Appelle le gendarme qui est dehors et le juge, il n’y aura pas de dépouillement, le vote doit être annulé ! ». Elle interpelle également un des jeunes présents : « Dis-moi s’ils ont ajouté [des bulletins] ou pas ». S’ensuit un début de bagarre, puis l’urne tombe. Un des présumés assesseurs cherche à ouvrir l’urne pour le dépouillement. Le jeune qui filme lui crie : « Ne l’ouvre pas ! Ne l’ouvre pas ! ».

Sur son mur, Fouzia Tahraoui raconte avoir vu un membre du bureau de vote agissant pour le compte du RND mettre dans l'urne le double d'enveloppes par rapport au nombre de votants inscrits dans ce bureau. Elle précise parler au président du bureau de vote à qui elle a dit : « Va demander à ceux qui t'ont payé de te sauver des trois ans de prison qui t'attendent ! » Elle remercie les gendarmes venus quand elle a commencé à crier, et affirme qu'elle ira déposer les procès verbaux prouvant la fraude devant la justice. 

La vidéo a été d'abord été publiée sur son mur puis reprise sur le site satyrique Arwah ghedwa (Reviens demain, une phrase que les Algériens entendent de manière récurrente dans les administrations) le 7 mai, trois jours après les élections législatives.

Depuis, elle a fait le tour des réseaux sociaux et a même été diffusée en boucle sur la chaîne de télé privée Ennahar.

Choqués par la scène, les commentateurs se disent aussi encore plus choqués par le fait qu’un des assesseurs essaie de frapper la femme et qu’un gendarme armé soit témoin d’une telle scène.

Mais malgré cette mésaventure, Fouzia a été élue à Chlef avec le candidat (en photo sur l'affiche) Ahmed Zidane.

Taux de participation très faible et « pratiques frauduleuses »

Ces élections législatives en Algérie ont été marquées par un taux de participation très faible – de 35,37 % selon les déclarations du Conseil constitutionnel ce mardi alors qu’il était de 43,14 % en 2012.

Les partis politiques, notamment parmi ceux ayant participé, ont aussi dénoncé des pratiques frauduleuses.

Pour le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, classé comme laïc, 9 sièges) de Mohcine Belabbas, qui a présenté onze listes, le taux réel de participation « ne dépasse pas 25 % ». « L’élection a été entachée par des irrégularités dépassant largement les traditionnelles manipulations. Le vote groupé des corps constitués a servi à doper les candidatures du pouvoir et de ses satellites et le comportement partial de l’administration s’est aggravé », a déclaré le parti dans un communiqué.

Mohcine Belabbas, président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD)

« Plusieurs bureaux de vote ont été carrément retirés des tirages au sort pour la surveillance des partis afin d’être laissés à la discrétion des officines du régime. Des bulletins de partis politiques du pouvoir circulaient librement aux alentours des centres de vote sous la bienveillante attention des services de sécurité, des gendarmes ont accompagné des fonctionnaires qui ont déplacé des urnes vers des endroits inconnus et des surveillants ont été menacés et chassés des bureaux au moment du dépouillement », a également dénoncé le parti.

C’est aussi le cas du Mouvement de la société pour la paix (MSP, islamistes, 33 sièges), qui, par la voix de son leader, Abderrezak Makri, a estimé que la fraude « avait été plus important qu’en 1997 » (cette année-là, un grand mouvement de protestation avait dénoncé la fraude).

Traduction (extrait) « Nous avons choisi la voix de la participation et de la résistance politique même si nous savions qu’il y aurait fraude électorale ».

La secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT), Louisa Hanoune, qui n’a remporté que onze sièges au parlement (elle en avait 24), s’estime « première et principale victime de cette nouvelle attaque en faveur des partis au pouvoir ». Elle a annoncé lors d’une conférence de presse que son parti introduirait des recours auprès du Conseil constitutionnel pour « l’injustice » dont il s’estime victime en raison « de la fraude en faveur de certaines formations politiques ».

Traduction (extrait) « Nous défendrons notre droit jusqu’au dernier souffle. Vu l’article 171 de la loi électorale, le PT introduira des recours au Conseil constitutionnel pour démontrer la non validité des opérations électorales avec des preuves et des documents »

Moussa Touati, le président du Front national algérien (FNA), qui s’était mis en grève de la faim pour dénoncer la fraude, s’est vu retirer par le Conseil constitutionnel le seul siège remporté par son parti.

D’autres vidéos montrant des pratiques illégales ont circulé sur les réseaux sociaux.

Dans l’une d’elles, on voit une jeune femme filmée à son insu, en train d’introduire des paquets d’enveloppes dans une urne. Le lieu n’a pas été précisé.

Traduction : « Le ministre de l’Intérieur dit que la participation a grimpé de 15 % à 38 % grâce à la participation des femmes. Est-ce que la femme algérienne est une victime de ce système qui l’utilise ou est-elle complice de ce système qui détruit le pays ? »

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