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Chute d’Alep : un journaliste américain pris au piège envoie un « dernier message »

« Le régime avance et la situation ne pourrait être pire », explique Bilal Abdul Kareem à MEE
Bilal Abdul Kareem a indiqué que « les forces du régime se rapprochaient de plus en plus » tandis qu’il enregistrait ce qui pourrait être son « dernier message » selon ses mots (Twitter)

Un journaliste américain pris au piège dans l’est d’Alep a posté ce lundi ce qui pourrait s’avérer être « son dernier message », alors que le dernier quartier encore détenu par les combattants rebelles a été attaqué par les forces pro-gouvernementales.

Sur Twitter, Bilal Abdul Kareem, journaliste du site web On The Ground News en Syrie rebelle et contributeur occasionnel de Middle East Eye, a écrit que « les forces du régime se rapprochent et les bombes anti-bunkers pleuvent », en référence à l’artillerie lourde qui peut pénétrer les abris souterrains.

S’exprimant dans ce qu’il a qualifié de « peut-être dernier message » dans lequel on entend des tirs et des explosions en arrière-plan, Kareem a déclaré : « Nous ne pourrons peut-être plus envoyer de messages alors que les forces du régime se rapprochent de plus en plus et que les frappes aériennes s’intensifient encore, si une telle chose est encore possible. Ainsi cela pourrait être l’une des dernières communications, sinon la dernière. »

Ce message survient alors que des sources sur le terrain ont rapporté que les forces gouvernementales avaient exécuté au moins 79 personnes après avoir pris le contrôle de trois nouveaux quartiers tenus par des rebelles dans l’est de la ville.

Des sources ont indiqué à Al Jazeera que les exécutions se concentraient sur les quartiers d’al-Ferdous et d’al-Salihin, dont les forces gouvernementales se sont emparées plus tôt mercredi.

Kareem avait indiqué auparavant à MEE que les communications pourraient être coupées à tout moment. « Le régime avance et la situation ne pourrait être pire », avait-t-il affirmé.

Kareem a déclaré qu’On The Ground News, l’organe de presse qu’il a établi dans les zones rebelles du nord de la Syrie plus tôt cette année, perdurerait même si lui et d’autres personnes prises au piège à Alep ne s’en sortaient pas.

Dans un message adressé à l’« oumma musulmane », il a également critiqué le président turc Recep Tayyip Erdoğan et les États du Golfe (Arabie saoudite et Qatar), les accusant de « ne pas être à la hauteur », n’aidant pas les civils pris au piège par l’offensive du gouvernement syrien sur l’est d’Alep qui dure depuis des semaines.

Dans des remarques adressées à Erdoğan, il raillait : « Bonne récitation du Coran, mais vous avez vraiment foiré cette fois… Vous avez eu l’occasion d’être le héros et de voler jusqu’ici avec une cape et d’aider ces pauvres gens avec vos troupes à seulement 25 kilomètres, mais vous l’avez foirée. »

La Turquie a envoyé ses forces armées en Syrie pour combattre les militants du groupe État islamique et pour faire face aux forces kurdes qui contrôlent le territoire sur sa frontière sud, mais elle n’est pas intervenue contre les forces alliées au gouvernement syrien.

« Beaucoup d’autres personnes ont foiré : les Qataris et les Saoudiens, vous avez tous foiré et vous aviez une occasion en or », poursuivait-il.

Le message de Kareem a été diffusé après que l’armée du gouvernement syrien s’est emparée lundi d’un quartier majeur à la bordure sud-est d’Alep, lui donnant le contrôle de 90 % des zones autrefois détenues par les rebelles dans la ville.

La télévision d’État syrienne a diffusé lundi soir ce qu’elle affirmait être des images de Syriens faisant la fête dans les rues d’Alep après cette annonce, chantant « Par notre âme, par notre sang, à votre service Bachar [al-Assad] ».

Une capture d’écran de la télévision d’État syrienne montre ce qui serait des civils célébrant l’avance du gouvernement dans l’est d’Alep

L’Observatoire syrien pour les droits de l’homme a déclaré que les forces loyales au président Bachar al-Assad avaient pris le quartier de Sheikh Saeed après des affrontements violents qui ont débuté dimanche après-midi.

« L’armée a désormais le contrôle total de Sheikh Saeed », a déclaré le chef de l’Observatoire Rami Abdel Rahman, ajoutant que « les forces du régime syrien contrôlent à présent 90 % » des zones autrefois détenues par les rebelles dans l’est d’Alep.

Traduction : « Peut-être mon dernier message depuis l’est d’Alep. Les forces du régime se rapprochent et les bombes antibunkers pleuvent. http://fb.me/101vX3CG8 » – Bilal Abdul Kareem (@BilalKareem)

Le gouvernement syrien est soutenu par les frappes aériennes russes et par les milices soutenues par l’Iran qui viennent de toute la région.

Un responsable syrien a déclaré à Reuters : « Nous avons réussi à prendre le contrôle total du quartier de Sheikh Saeed. Cette zone est très importante car elle facilite l’accès à al-Amariya et nous permet de sécuriser une plus grande partie de la route Alep-Ramouseh », le point d’entrée principal de la ville depuis le sud.

Les habitants des quartiers rebelles qui ont contacté Middle East Eye ont parlé de leur peur, de leur désespoir et de leur colère.

Shadi, un enseignant qui vit avec sa femme et ses cinq enfants dans l’est d’Alep, a rapporté qu’un ami avait été tué alors qu’il traversait les « soi-disant couloirs humanitaires » et que son propre père avait été arrêté. Les Russes, a-t-il dit, piégeaient les gens et les tuaient « comme des rats ».

Kareem, qui travaille comme journaliste indépendant dans le nord de la Syrie depuis 2014, est pris au piège à Alep depuis des semaines, depuis le début d’une offensive du gouvernement syrien qui a coupé l’enclave, laquelle rétrécit rapidement, d’autres territoires tenus par les rebelles.

Il a travaillé avec des médias dont CNN et la chaîne britannique Channel 4 News. Ses détracteurs l’accusent d’être trop proche de certaines factions rebelles qui contrôlent une partie du territoire où il était en mesure d’opérer, notamment Jabhat Fatah al-Sham (anciennement Front al-Nosra), un groupe lié à al-Qaïda.

Pour Middle East Eye, Kareem a effectué un reportage sur six enfants tués par une frappe aérienne américaine sur la ville d’Atmeh, dans le nord de la Syrie en août 2015, et plus tôt cette année interviewant Oliver Bridgeman, un adolescent australien abandonné en Syrie après que l’Australie a révoqué son passeport et délivré un mandat pour son arrestation.

Il a également couvert le sort des civils dans l’est d’Alep et dans la région turkmène de la province de Lattaquié.

En juin, il a décrit comment il était sorti indemne d’une supposée frappe de drone qui a détruit le véhicule dans lequel il voyageait dans la campagne d’Alep.

Dans les messages affichés ces derniers jours, Kareem a publié une vidéo montrant les circonstances de plus en plus désespérées dans lesquelles il travaillait en tant que « grand journaliste venant d’Amérique », faisant notamment visiter sa « maison » dans laquelle il a désigné les rideaux et les bâches suspendues au-dessus des portes et des murs qui, selon lui, avaient été arrachés par des explosions.

« Al-hamdoulillah, nous sommes heureux d’être ici. C’est la vie que nous avons choisie et c’est comme ça… Pas grand-chose », a-t-il dit.

 

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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