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Écrire des livres pour la jeunesse musulmane n’est pas un jeu d’enfant

Les auteurs de littérature musulmane pour enfants doivent jongler prudemment entre islam et fiction
Deux livres de la collection Noor Kids (MEE/James Reinl)

NEW YORK, États-Unis – Les affaires vont bien pour Amin Aaser. Ce jeune homme de 27 ans a trouvé un bon filon dans le marché de la littérature illustrée pour enfants qui enseigne aux jeunes musulmans américains à être fiers de leur foi, et ce malgré l’hostilité envers l’islam qui est palpable aux États-Unis depuis les attentats du 11 septembre 2001.

Sa série de livres illustrés, Noor Kids, laquelle se décrit comme « une lumière pour les petits musulmans », a déjà fait des adeptes auprès de 25 000 familles aux États-Unis et compte un nombre croissant de lecteurs avides en Turquie, en Australie, en Afrique du Sud et dans les pays du Golfe, selon Aaser.

Bien qu’il promeuve des valeurs religieuses, Aaser reste prudent – écrire sur l’islam pour un public jeune n’est pas un jeu d’enfants. En effet, ce genre de littérature a fait l’objet de polémiques au Moyen-Orient, où certains auteurs se sont vus fustigés par des responsables religieux, menacés par d’autres.

« Nous prenons cela très au sérieux », a affirmé Aaser à Middle East Eye.

« Au sein de notre équipe, nous avons deux érudits islamiques qui représentent la vaste diversité de l’islam. Lors que nous évoquons dans nos livres des interprétations ou des questions de raisonnement critique, nous avons une discussion au préalable pour nous assurer qu’elles sont appropriées. »

Bien entendu, Aaser n’a pas créé sa collection de livres illustrés en 2011 pour entrer dans des querelles savantes avec des érudits musulmans sur l’interprétation des hadiths – les traditions, propos et enseignements du prophète Mohammed.

Ses motivations remontent davantage à sa propre enfance. Amin Aaser a grandi dans une famille pakistano-somalienne à Minneapolis, une ville majoritairement blanche et chrétienne du nord des États-Unis, là où le célèbre prédicateur Billy Graham a fondé son groupe évangélique éponyme.

« J’avais honte de mon identité et d’être musulman », a-t-il confié.

« Pendant le Ramadan, je ne disais pas à mes amis que je jeûnais parce que je ne voulais pas que quelqu’un sache que j’étais musulman. Je me débrouillais pour que personne ne voie ma mère, je ne voulais pas que les autres sachent qu’elle portait le voile. »

Le vécu d’Aaser en tant que musulman élevé aux États-Unis fait écho à une série d’expérimentations sur le racisme menées auprès d’enfants dans les années 30 et 40.

Celles-ci consistaient à donner à des enfants noirs deux poupées – une noire et une blanche – et à leur demander laquelle était « jolie », laquelle était « gentille », laquelle était « vilaine » et laquelle était « méchante ». Les enfants associaient habituellement les adjectifs négatifs avec leur propre couleur de peau. L’étude a été répétée récemment et donné des résultats similaires.

Selon Amin Aaser, la même chose se produit avec les musulmans américains.

« C’est l’environnement dans lequel vous grandissez. Chaque fois que vous regardez la télévision, que vous allez voir un film au cinéma ou que vous écoutez de la musique – l’image qui est présentée est négative », affirme-t-il.

Noor Kids vise à combattre ces préjugés, d’une manière facilement compréhensible pour les enfants.

La série se déroule dans la ville fictive de Maple Grove et raconte les aventures d’Amira (un lapin) et de ses compagnons d’école Amin (un panda), Shirin (un ours) et Asad (un lion). Les livres s’apparentent à des contes moraux traitant de questions telles que la violence envers autrui, la bienfaisance et la patience, et intègrent des informations relatives à l’histoire de l’islam et de la langue arabe.

Certains livres se focalisent sur des principes moraux communs à toutes les religions. D’autres sont spécifiques à l’islam et abordent des sujets comme la prière, le pèlerinage à la Mecque ou le contrôle de soi durant le jeûne du mois sacré du Ramadan. Le public cible est constitué d’enfants âgés entre 4 et 8 ans.

« Les arbres ont besoin de racines puissantes. Nous voulons que les enfants développent une compréhension riche, personnelle et citoyenne de la foi, qui leur permette d’avoir confiance en qui ils sont.

« Ceci les aidera dans deux combats – ils resteront sûrs d’eux-mêmes face à des personnes islamophobes et, peut-être aussi, face à l’islam radical. »

Amin Aaser a pratiquement terminé la moitié de la collection, qui se compose de vingt livres. Son frère Mohammed, un informaticien d’une trentaine d’années diplômé d’Harvard, travaille à une application animée de la série pour téléphone portable et à un modèle de vente par abonnement qui fixerait le prix de quatre livres à 25 dollars par an.

Toutefois, alors que la série pénètre de nouveaux marchés à l’étranger – en particulier aux Émirats arabes unis, en Arabie saoudite et dans d’autres pays conservateurs – Aaser s’inquiète des risques éventuels liés au fait de publier du contenu religieux, même quelque chose d’aussi inoffensif en apparence que de la littérature pour enfants.

L’exemple de Naif al-Mutawa, un psychologue koweitien, est un avertissement pour quiconque souhaite publier du contenu islamique pour enfants au Moyen-Orient.

Sa série de bandes dessinées, Les 99, met en scène des adolescents musulmans du monde entier qui possèdent chacun un pouvoir de superhéros lié à l’une des caractéristiques d’Allah, telles que la générosité, la sagesse et la force.

Ces jeunes gens talentueux sont réunis par le Dr. Ramzi Razem pour accomplir une mission consistant à rassembler 99 pierres mystiques et à affronter les forces du terrible Rughal.

Comme Amin Aaser, al-Mutawa a conçu Les 99 après les attentats du 11 septembre parce qu’ils voulaient que les enfants musulmans, les siens notamment, aient des héros musulmans qui ne fassent pas l’apologie de la violence.

Il a remporté quelques succès importants, dont un documentaire consacré à sa série, intitulé Wham! Bam! Islam, et des ovations de la part du président américain Barack Obama et du cheikh Mohammed ben Rachid al-Maktoum, l’émir de Dubaï.

Ses superhéros sont même apparus dans une BD aux côtés de Batman et de Superman. Depuis son lancement en 2006, la bande dessinée s’est vendue de la Chine aux États-Unis ; elle a été adaptée en un dessin animé pour la télévision et a inspiré un parc d’attractions au Koweït.

Cependant, en se trouvant à la jonction entre islam et fiction, le chemin d’al-Mutawa a été semé d’embuches.

L’année dernière, le grand mufti d’Arabie saoudite, Abdul Aziz al-Sheikh, a prononcé une fatwa désignant Les 99 comme « une œuvre diabolique qui doit être bannie ».

Un compte Twitter lié au groupe État islamique a en outre appelé à la mort d’al-Mutawa, promettant une récompense à son assassin.

Et le 20 septembre, al-Mutawa doit comparaître devant un tribunal koweitien pour hérésie et insulte à la religion. Le procès a été intenté par un compatriote, non par l’État.

« Au final, tout ceci est une perte de temps », a déclaré al-Mutawa à MEE. « Il y a des gens qui créent et d’autres qui détruisent. Cela n’est pas nouveau. »

Il décrit la situation au Golfe comme « schizophrène ». Certains progressistes l’acclament comme un héros alors que d’autres le vilipendent – souvent en raison de leurs propres objectifs politiques.

« [Aux États-Unis aussi] la droite s’oppose aux bandes dessinées depuis les années 50 – à l’époque des membres du Congrès avaient condamné Batman et Robin, doutant de la moralité du fait que deux hommes puissent vivre ensemble », a-t-il ajouté.

« Tout le monde a ses propres intérêts. »

Ces dernières années, le nombre de bandes dessinées traitant de l’islam, du Moyen-Orient et des Arabes a augmenté.

Parmi elles, Qahera, une série à l’illustration élégante diffusée sur Internet, raconte les aventures d’une superhéroïne voilée combattant le sexisme et l’islamophobie en Égypte.

Malaak: Angel of Peace est une autre superhéroïne qui combat les mauvais esprits, connus sous le nom de djinns dans la cosmologie islamique. Des esprits supranaturels dangereux sont également en scène dans une autre bande dessinée, Jinnrise.

Bien qu’ils évoquent des thèmes liés au Moyen-Orient, ces ouvrages ne traitent pas du sujet de l’islam aussi directement que le font Les 99 et Noor Kids, et sont donc moins susceptibles de s’attirer les foudres des censeurs et érudits islamiques employés par les gouvernements de la région.

Amin Aaser, pour sa part, espère ne pas se les mettre à dos. Bien que ses livres reprennent le style des bandes dessinées occidentales, ils font référence à des règles islamiques simples qui sont rarement controversées.

« Il y a très peu de débats au sein de la communauté musulmane sur ces questions », constate-t-il.

Néanmoins, il préfère garder dans son équipe des spécialistes chargés de vérifier l’exactitude de ses publications d’un point de vue islamique.

Un passage de Noor Kids (MEE/James Reinl)

Traduction :

-          As-tu lu le Coran récemment ? Allah (glorifié et exalté soit-Il) promet la justice pour chaque atome de bien et de mal, tu comprends ?Ça signifie qu’Il te punira si tu continues à me maltraiter !

-          Je suis vraiment désolé pour la dernière fois. Je n’arrive pas à croire que j’ai si mal agi. J’arrête de te maltraiter à compter de ce jour et pour toujours.

QUESTIONS DE RAISONNEMENT CRITIQUE

1.Asad a été maltraité trois fois. Comment a-t-il essayé d’y faire face à chaque fois ?

2.Qu’a vu Zain pour son avenir ? Pourquoi a-t-il vu cela ?

3.Qu’est-ce qu’Allah (glorifié et exalté soit-Il) fait aux personnes qui maltraitent d’autres personnes ?

Allah (glorifié et exalté soit-Il) a dit : « Je me vengerai de l’oppresseur dans ce monde et le prochain » - Hadith Qudsi

Traduction de l’anglais (original).

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