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Les auteurs algériens secouent la littérature francophone

Elle s’empare de thèmes universels, bouscule les codes de l’écrit, se distingue à l’international : entre mémoire et urgence, la prolifique littérature algérienne se renouvelle. Découvrez-la à l’occasion du Salon international du livre d’Alger qui s’ouvre ce jeudi
Kaouther Adimi, 31 ans, a été présélectionnée cet automne pour plusieurs prix littéraires français comme le Goncourt, le Renaudot et le Médicis (Le Seuil/Hermance Triay)

On assiste depuis quelques années à l’émergence d’une nouvelle génération de romanciers algériens qui tente d’apporter un nouveau souffle à la littérature algérienne, notamment dans les thématiques abordées. D’après les spécialistes, ce renouveau touche aussi bien la littérature d’expression française que celles d’expression arabe et amazighe.

Beaucoup de critiques s’accordent à dire que la période de violences dans laquelle s’est enlisée l’Algérie durant les années 1990 a constitué un tournant majeur dans l’histoire de la littérature algérienne, mettant fin à la période de désenchantement incarnée par la génération d’écrivains des années postindépendance.

Les thématiques de l’horreur, de l’angoisse, du malaise et du chaos émaillent alors la plupart des récits donnant naissance à ce qui est désormais appelé « littérature de l’urgence »

Les thématiques de l’horreur, de l’angoisse, du malaise et du chaos émaillent alors la plupart des récits donnant naissance à ce qui est désormais appelé « littérature de l’urgence ».

Depuis une dizaine d’années, de nouvelles figures investissent le champ littéraire algérien, produisant un corpus varié et considérable qui vient confirmer que, depuis sa naissance, la littérature algérienne ne cesse de s’enrichir et de se diversifier de manière dynamique et évolutive.

Telle une tentative de pallier le déficit de mémoire en Algérie, l’un des dénominateurs communs de ce corpus est l’exploration du passé, faisant dire à certains critiques qu’en Algérie, la littérature est le terrain de la mémoire.

Le président Abdelaziz Bouteflika inaugure le 17e Salon international du livre d’Alger le 19 septembre 2012 (Reuters)

Pour Sabrina Zouagui, enseignante à l’université de Bejaïa et spécialiste de littérature francophone, sollicitée par Middle East Eye, le renouveau de la littérature algérienne d’expression française se manifeste par «  l’ouverture sur des thèmes plus universels ».

« On ne s’occupe plus uniquement du vécu algérien mais on transcende ce niveau vers d’autres préoccupations et thématiques comme le terrorisme, l’intolérance religieuse, la Shoah, etc., ainsi que sur des intertextes universels : on convoque dans l’écriture George Orwell, les Mille et une nuits, Albert Camus, James Joyce, en plus de la mythologie grecque », explique-t-elle.

Entre un passé falsifié et un futur incertain

La spécialiste cite à ce propos les noms de Boualem Sansal, Salim Bachi et Kamel Daoud. Par ailleurs, elle évoque une « exploration de notre passé millénaire de manière décomplexée et inventive : on dépasse le passé colonial français vers le passé antique lointain à travers la mise en scène de cités imaginaires et fantaisistes, contradictoires, aimées, rejetées, glorifiées, dépréciées – la ville de Cyrtha de Salim Bachi comme exemple – pour dire notre présent tiraillé entre un passé falsifié par les pouvoirs politiques actuels et un futur incertain et miné ».

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S’agissant des codes esthétiques, il y a selon elle des écrivains qui gardent l’écriture de facture réaliste (Yasmina Khadra, Anouar Benmalek, Bey Maïssa Bey, etc.), et d’autres qui bouleversent le signifiant et inscrivent leur écriture dans la modernité littéraire dans le sillage du « nouveau roman » (Salim Bachi, Sarah Haidar, etc.).

Nina Bouraoui et Mustapha Benfodil se distingueraient quant à eux par « une écriture frénétique, violente et quasi-automatique qui verse dans le surréalisme et la libre association psychanalytique ».

La rentrée littéraire 2017/2018 sera animée, entre autres, par les écrivains Kamel Daoud et Kaouther Adimi. Avec Zabor et les psaumes (édité en Algérie et en France), Kamel Daoud nous raconte l’histoire d’un jeune orphelin vivant dans un village reculé en Algérie et qui se découvre le don de pouvoir prolonger la vie des autres en leur lisant ce qu’il écrit.

Dans son dernier roman, Kamel Daoud raconte l’histoire d’un jeune orphelin vivant dans un village reculé en Algérie et qui se découvre le don de pouvoir prolonger la vie des autres en leur lisant ce qu’il écrit (AFP)

Ainsi, tel un écho à l’actualité, Zabor nous interpelle sur la lutte du corps brimé ici-bas pour son salut promis dans l’au-delà, le renoncement aux incertitudes pour se réfugier dans le confort du dogme radicalisé.

Autre roman mis en évidence par la critique, Nos richesses de Kaouther Adimi, paru en 2017 aux éditions du Seuil (France) et Barzakh (Algérie), raconte l’histoire d’Edmond Charlot qui a ouvert une modeste librairie à Alger en 1936 mais qui va pourtant contribuer, en les éditant, à faire connaître de grands écrivains tels qu’Albert Camus et Jules Roy.

Née à Alger en 1986, cette diplômée en lettres modernes de l’Université d’Alger a produit des romans dont Des Pierres dans ma poche et Le Sixième œuf. Avec son dernier roman, l’écrivaine a été présélectionnée pour plusieurs prix littéraires français comme le Goncourt, le Renaudot et le Médicis. Elle se pose incontestablement comme l’une des représentantes de la nouvelle génération des écrivains algériens d’expression française.

Le renouveau touche aussi la littérature d’expression arabe

Le renouveau touche aussi la littérature algérienne d’expression arabe. Ainsi, Brahim Sahraoui, professeur de langue et littérature arabes à l’Université d’Alger, affirme qu'il y a « un renouveau dans la littérature algérienne d'expression arabe à travers la nouvelle génération qui émerge et dont les textes sont découverts lors des différents concours pour jeunes talents en langue arabe ».

Étant lui-même membre de plusieurs jurys de concours, il considère qu’« il y a du renouveau dans les styles, les thèmes abordés, les visions  du monde et la manière de le considérer ».

Il dit avoir constaté à travers sa lecture de plusieurs textes « un retour massif de l'histoire, du passé, aussi bien lointain que proche avec des nouvelles lectures qui ne sont pas forcément celles des anciennes générations d’écrivains ».

En mars dernier, la justice algérienne a ouvert une enquête pour blasphème contre Anouar Rahmani (MEE/Anouar Rahmani)

Il cite notamment le nom de Abdelouheb Aissaoui qui, dans son second roman, Sierra De Muerte  (Les montagnes de la mort), – détenteur du prix Assia Djebar 2015 – aborde un épisode très peu connu de la colonisation française en Algérie en racontant le destin de communistes espagnols internés dans un camp à Djelfa durant les années 1930.

Du côté de cette littérature, le renouveau est aussi incarné par Anouar Rahmani, un jeune écrivain qui se singularise par les thèmes abordés dans ses romans, lui qui n’hésite pas à s’attaquer à des thèmes longtemps considérés comme des tabous discursifs au sein de la société algérienne, comme la religion et la sexualité.

Son premier roman, La ville des ombres blanches, qui raconte une histoire d’amour entre deux hommes, un pied-noir et un maquisard algérien, pendant la guerre d’Algérie, a surpris les critiques par son caractère audacieux et lui a même valu une convocation par la police pour « atteinte à l'entité divine et à la religion ».  

Ces dernières années, le lancement de la version amazighe du Grand prix Assia Djebar est également une source de motivation pour les auteurs de romans en tamazight

Avec son dernier opus, Ce que Dieu nous cache, (édité en Égypte aux éditions Atlas), l’auteur aborde à nouveau le thème de la religion et son utilisation par certains régimes totalitaires qui en font l’instrument de l’asservissement des peuples et de leur acculturation. Le roman s’inscrit dans la littérature dystopique et met en scène une société imaginaire basée sur des anticipations mettant en exergue des événements apportant le malheur suite à un projet politique totalitaire, en l’occurrence théocratique.

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Enfin, la littérature d’expression amazighe n’est pas en reste. Bien qu’elle ne soit pas encore aussi prolifique que celles d’expression française et arabe, elle ne fait pas moins son chemin à travers une production de plus en plus significative.  

Après les premiers romans des années 1980, produits notamment par Rachid Alliche et Amar Mezdad, le nouveau souffle a été incarné par une autre génération de romanciers, à l’instar de Brahim Tazaghart, Saïd Chemakh, Laïfa Aït Boudaoud, Yazid Oulansi, ou encore Tahar Ould Amar, pour ne citer que ceux-là.

Assia Djebbar, de son vrai nom Fatima-Zohra Imalayène (1936-2015), auteure de nombreux romans, poésies et essais, élue à l’Académie française, est considérée comme l’un des auteurs les plus influents du Maghreb (Facebook)

Ces dernières années, le lancement de la version amazighe du Grand prix Assia Djebar est également une source de motivation pour les auteurs de romans en tamazight.

Ici, le renouveau se situe essentiellement dans le dépassement de la sempiternelle quête identitaire vers des problématiques plus universelles, notamment à travers l'écrivain Rachid Boukherroub, auteur du roman La Mariée en osier, et de Lynda Koudache, auteure du roman Le Dernier conte, lauréats respectivement des prix Assia Djebar 2015 et 2016, mais aussi de Lynda Aouzelleg dont le roman, Entre ciel et terre, a obtenu le prix Mohamed Dib 2016 du meilleur roman en tamazight.

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