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Football : le trio gagnant du club d’al-Ittihad

Un milicien tripolitain, un manager qatari et un entraîneur français ont pris en main al-Ittihad, une des deux équipes de football de Tripoli, pour prouver que la crise en Libye n'entrave pas son développement économique et sportif
Diego Garzitto, aujourd'hui entraîneur d'al-Ittihad, a connu la consécration suprême au niveau continental avec une victoire en Ligue des champions africaine en 2009 à la tête du club congolais du TP Mazembe (MEE/Mathieu Galtier)

TRIPOLI – Bras croisé sur le torse, Diego Garzitto sourit, satisfait. Le dernier exercice de l'entraînement se déroule convenablement : les joueurs du club al-Ittihad rivalisent d'habilité et d'engagement lors d'un mini match où seules les passes de la tête sont autorisées.

Une manière de finir de façon ludique la séance alors qu'une rencontre est prévue le lendemain – gagnée facilement contre le dernier du groupe, le club de Sebha al-Sharara. Mais le satisfecit de l'entraîneur franco-italien de 68 ans ne porte pas uniquement sur le jeu.

Ses bras se mettent à embrasser le centre d'entraînement : un terrain synthétique, des vestiaires neufs, deux cars à disposition, un hôtel, une salle de sport, un centre de soins où officie un kiné à temps plein. « Ça tourne bien, constate celui qui a été recruté en tout début de championnat. Les joueurs ont compris ce que je voulais, la direction est sérieuse et met l'argent. Le projet est crédible et peut aller au bout. »

« L'objectif est que les meilleurs d'entre eux passent d'abord chez nous pour se former, montrent leurs talents chez nous avant de partir en Europe »

- Ezzedine Garnaz, manager d’al-Ittihad

Le projet ? Rien de moins que de faire d’al-Ittihad l'une des deux grandes équipes de Tripoli, une passerelle entre les meilleurs africains et les championnats européens.

Le conseil d'administration a considérablement été chamboulé en début de saison pour laisser les rênes à Ezzedine Garnaz, le nouveau manager du club omnisports. Le dirigeant, précédemment employé au Comité olympique du Qatar, a mis les moyens – il refuse de dévoiler le montant des investissements – pour développer les infrastructures.

Il espère mettre rapidement sur pieds une académie de football, sur le modèle de la Aspire Academy au Qatar. « La Libye est la fenêtre de l'Afrique pour l'Europe », constate-t-il comme une évidence. De nombreux jeunes Africains rêvent de jouer là-bas. L'objectif est que les meilleurs d'entre eux passent d'abord chez nous pour se former, montrent leurs talents chez nous avant de partir en Europe. »

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Des discussions avancées de partenariat existeraient avec le club de l'Espanyol Barcelone, qui évolue en première division. Pour réaliser ce programme ambitieux, al-Ittihad a besoin de réunir trois ingrédients : une stratégie ambitieuse, d'excellents résultats sportifs et une stabilité du pays. 

Sur le premier point, le club compte donc sur l'expérience managériale de haut niveau à la mode qatarienne d’Ezzedine Garnaz. Financièrement, al-Ittihad se repose sur la manne locative. Le club possède un immense terrain autour de son siège social où une centaine de magasins se sont installés moyennant un loyer.

Surtout, les Rouges et Blancs – couleur officielle du club – ont dans leur rang un inconditionnel de poids : Haythem Tajouri. Le chef des Brigades révolutionnaires de Tripoli, le plus important des quatre groupes armés qui contrôlent la capitale libyenne, est le parrain du club. C'est lui qui est à l'origine de la réorganisation administrative, avec le départ de cinq conseillers d'administration et la nomination de Garnaz. 

Intermédiaires turcs et jordaniens

Chargé, entre autres, de la protection de tous les bâtiments gouvernementaux et diplomatiques de Tripoli, Haythem Tajouri joue de son influence pour faciliter l'essor de son équipe de cœur. Malgré la crise de liquidités, Diego Garzitto est payé en dollars – 35 000 dollars mensuels selon la direction – sur son compte à l'étranger, quitte à passer par des intermédiaires jordaniens ou turcs.

Pour assurer leur sécurité, les joueurs et le staff étrangers sont logés dans un hôtel de luxe de la capitale, avec garde du corps armé d'une mitraillette 24 heures sur 24 pour l'entraîneur.

Pour assurer leur sécurité, les joueurs et le staff étrangers sont logés dans un hôtel de luxe de la capitale, avec garde du corps armé d'une mitraillette 24 heures sur 24 pour l'entraîneur

Des conditions minimales pour Diego Garzitto, venu avec son fils comme adjoint. Pour l'entraîneur, qui a connu la consécration suprême au niveau continental avec une victoire en Ligue des champions africaine en 2009 à la tête du club congolais du TP Mazembe, la Libye était synonyme de guerre avant de passer quinze jours à Tripoli aux frais du club pour se rendre compte de la situation.

« Ailleurs, c'est peut-être plus compliqué, mais la situation à Tripoli est bonne. Je suis allé à la plage, j'ai découvert le jet ski. La nourriture est très bonne dans les restaurants », explique Diego Garzitto qui assure avoir déjà connu des conditions aussi difficiles, notamment, en République démocratique du Congo (RDC), où il a passé une nuit en prison.

La paie généreuse a été un argument de poids, surtout que l'entraîneur a quitté son précédent poste, à al-Merreikh (Soudan) pour des problèmes de salaires impayés. Les résultats, pour l'instant, sont là. En dix matchs de championnat, al-Ittihad compte neuf victoires et un match nul. 

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Au niveau africain, c'est plus compliqué. Le club a été éliminé avant d'atteindre la phase de poule de la Coupe des confédérations par les Nigérians d'Akwa, aux tirs aux buts. « L'arbitre nous a refusé deux buts valables. On aurait dû se qualifier. On a été arbitrés comme une petite équipe africaine, c'est l'apprentissage », philosophe Diego Garzitto.

Plutôt que de ruminer sur cette élimination rageante, celui qui est passé par six clubs africains, insiste sur les progrès accomplis depuis septembre : « L'exercice avec les têtes. Quand je suis arrivé, ils n'arrivaient à faire trois passes d'affilés. Sur le terrain, ils se précipitaient sur le ballon, sans aucune organisation. Techniquement et tactiquement, c'était l'équipe la plus faible que j’ai eue à voir. »

Pour repartir de zéro, il n'a pas hésité à se débarrasser de plusieurs joueurs dont l'emblématique Mohamed Zubya. Kadhafiste convaincu, le joueur, qui est passé par le championnat algérien et tunisien, avait été recruté par Haythem Tajouri lui-même à l'été 2017. « Il ne servait à rien avec ses grigris, et il insultait le staff. Je l'ai mis dehors », résume, lapidaire, Diego Garzitto, qui salue au passage le soutien de la direction.

Entre 10 000 et 40 000 Tripolitains se rassemblent au stade du 11-Juin pour voir évoluer la « meilleure équipe » de l'histoire du club

Le coach a réussi à obtenir une implication forte des joueurs, assez éloignée de la mentalité libyenne : « Quand ils avaient un pépin physique, ils partaient en Tunisie, en Égypte pendant un mois ! J'ai fait venir mon kiné tunisien de Merreikh pour les soigner sur place. »

« Le renvoi de Zubya, aujourd'hui, tout le monde est d'accord pour dire que c'était la meilleure décision à prendre », constate Mohammed al-Zukkar, fervent supporteur d'al-Ittihad. « Avec Garzitto, tous les joueurs, les titulaires comme les remplaçants se donnent à fond. Les résultats parlent pour lui. »

Entre 10 000 et 40 000 Tripolitains se rassemblent au stade du 11-Juin pour voir évoluer la « meilleure équipe » de l'histoire du club. Certains aficionados n'auraient jamais cru voir un jour leur équipe évoluer avec seulement trois défenseurs : une tactique qui demande un vrai travail de placement de la part des joueurs. 

La légende noire de Saadi Kadhafi

Fondé en 1944, al-Ittihad est en passe de retrouver une légitimité perdue sous le règne de Saadi Kadhafi, qui a présidé au destin de l'équipe. Celui qui s'était acheté quelques minutes de jeu en première division italienne avait laissé une légende noire. Après la révolution, des histoires se sont mises à circuler : Saadi venait dans les vestiaires adverses à la mi-temps pour menacer de broyer les genoux des joueurs en cas de victoire.

« Ce n'est pas vrai, ou peut-être que c'est arrivé une ou deux fois », concède du bout des lèvres Ezzedine Garnaz. Mohammed al-Zukkar dément formellement. Quoiqu'il en soit, le club était vu comme un jouet aux mains d'un fils Kadhafi pourri gâté. 

Saadi Kadhafi, un des fils Kadhafi, a laissé au club une très mauvaise image (AFP)

Reste l'épineux problème de la stabilité du pays. Une difficulté que même Haythem Tajouri ne peut régler. Pour des raisons de sécurité et de division politique – le pays compte deux gouvernements à l'est et à l'ouest – le championnat est divisé en quatre poules.

Les premiers de chaque groupe s'affrontent ensuite en playoff (compétition de fin de saison servant à désigner un champion). Depuis 2011, la compétition n'a pu se dérouler que deux fois (2013-2014 et 2015-2016). 

Certaines équipes, comme celle de Sebha, ne peuvent pas évoluer à domicile car leur ville est en proie à des affrontements. Jusqu'à cette année, les spectateurs étaient interdits dans les stades par crainte de débordements armés.

La FIFA refuse que l'équipe nationale joue en Libye. Elle doit se rendre en Tunisie

D'ailleurs, la fédération internationale de football (FIFA), qui régit les compétitions internationales, refuse que l'équipe nationale joue en Libye. Elle doit se rendre en Tunisie.

« En mettant sur pieds un projet ambitieux avec des étrangers, en montrant que cela marche, nous accélérons le processus de normalisation du pays », veut croire Ezzedine Garnaz. En attendant, les 30 premiers jeunes mineurs de l'Académie venus du Ghana ou encore du Nigéria n'ont pas pu se rendre à Tripoli malgré les visas accordés. Leurs pays respectifs trouvent cet exil trop dangereux...

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