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Foua, une ville chiite dans l’œil du cyclone syrien

Pendant trois ans, cette ville d'Idleb a été assiégée par les rebelles. Aujourd'hui vidée, elle est hantée par la mémoire de ses habitants et défenseurs progouvernementaux
Combattant rebelle en faction à l’intérieur d’une école transformée en prison à Foua, en Syrie (MEE/Harun al-Aswad)

FOUA, Syrie – Avant la guerre en Syrie, les champs autour de la ville septentrionale de Foua étaient réputés pour leurs figuiers et leurs oliviers.

Abandonnés, ils sont maintenant desséchés, et tout ce qui y poussait a péri et jauni sous le soleil de l'été.

La terre en porte les stigmates. D’immenses fortifications, bâties avec la terre rougeâtre de Foua, entourent la ville, et la route qui y mène est bordée de tranchées. 

Trois années de siège ont radicalement transformé cet endroit et l’ont vidé de ses habitants. 

Pour entrer dans l’ancienne forteresse du gouvernement syrien, on doit franchir trois postes de contrôle tenus par des rebelles.

Une fois à l’intérieur, le visiteur ne voit plus les champs arides et les sombres fortifications maintenant disparus derrière des maisons simples, des ruelles pittoresques et une place ouverte et déserte.

Des rebelles tiennent un poste de contrôle à Foua en Syrie (MEE/Harun al-Aswad)

Les sièges de Foua et de Kefraya, sa voisine à l’ouest, commencèrent en mars 2015, lorsque les forces rebelles prirent la ville d’Idleb, la capitale du gouvernorat.

Ces villes sont principalement des enclaves chiites dans une partie majoritairement sunnite de la Syrie. Leurs habitants ont enduré trois ans de siège par les rebelles, pendant lequel ils vivaient sous le contrôle et la protection des forces gouvernementales syriennes, en plus de ceux des milices soutenues par l’Iran, comme le Hezbollah.

« Pendant que les factions armées étaient occupées à gérer les bus, des dizaines de civils sont entrés dans les deux villes, la plongeant dans le chaos et la livrant au pillage, heureusement de faible ampleur »

- Abu al-Mutasim, commandant rebelle

Pour de nombreux chiites qui ont combattu sous la bannière du président syrien Bachar al-Assad, ces villes sont devenues un enjeu crucial. Aux yeux des rebelles qui les assiégeaient, Foua et Kefraya représentaient une cible qu’ils pouvaient pilonner en représailles des assauts du gouvernement syrien contre d’autres positions rebelles situées ailleurs.

Le mois dernier, les tensions engendrées par cette polarisation – sous l’emprise de laquelle vivaient ces villes et qui a exercé une influence démesurée sur la guerre en Syrie – ont pris fin suite à un accord pour évacuer les 7 000 habitants toujours à l’intérieur, en échange de la libération de centaines de prisonniers retenus dans les prisons d’Assad.

Abu el-Mutasim, un des commandants du groupe rebelle Jaych al-Ahrar, se souvient du moment où les villes tombèrent aux mains des forces rebelles et d’où les habitants furent extraits dans des bus comme d’une période chaotique.

« Pendant que les factions armées étaient occupées à gérer les bus, des dizaines de civils ont envahi les deux villes, les plongeant dans le chaos et les livrant au pillage, heureusement de faible ampleur », raconte-t-il à Middle East Eye. « C’est alors qu’émergea un comité de factions qui fit l’inventaire de tout ce que contenaient les deux villes ».

Des vestiges tenaces

Les combattants pro-Assad et les habitants ont laissé de nombreux souvenirs de leur présence, dont des slogans chiites et des expressions de soutien à Assad, tagués sur les murs, que les rebelles se sont mis en devoir d'effacer.

Des souvenirs plus dangereux ont été laissés sur place pour les rebelles qui s’installent maintenant dans ces villes, contre lesquelles ils pointaient leurs canons la veille encore.

Là où poussaient diverses cultures, des centaines de mines ont été semées dans les champs environnants. Dans de nombreuses maisons, des appareils électroménagers ont été piégés avec des explosifs. Sur les portes, se trouvent encore des panneaux avertissant du danger.

Des rebelles dans une rue de Foua (MEE/Harun al-Aswad)

Pour tenir compte de la nature fractionnée de l’opposition syrienne, Foua et Kefraya furent réparties en onze zones, et le nombre de mines que chaque faction est tenue de désamorcer est calculé en fonction de chaque groupe rebelle et du nombre de ses membres.

Hayat Tahrir al-Cham, dirigé par l’ancienne branche syrienne d’al-Qaïda, contrôle totalement Kefraya.

Foua se scinde en forces d’opposition plus modérées : Jaych el-Ahrar, Ahrar el-Cham, Tajmae Dimashq et Sham Corps.

Les combattants progouvernementaux ont abandonné peu d’armes lourdes à Kefraya et à Foua : deux chars T72, un obusier 2S1 Gvozdika et des armes automatiques de 23 et 14,5 mm.

En revanche, les défenseurs de ces villes ont fui en laissant derrière eux une quantité relativement énorme de munitions et d’armes légères et moyennes.

Pensées et souffrances

L’école Sami Basti se trouve au centre de Foua. Il y a bien longtemps qu’elle n’accueille plus d’enfants : ces dernières années, elle sert plutôt de prison. Les couloirs sont encombrés de barricades et leurs murs couverts de slogans confessionnels du genre : « Il ne restera que le Hezbollah. Au final nous seront les seuls, oh Hussein ».

Un combattant rebelle lit des graffitis dans une salle de classe qui servait autrefois de cellule aux prisonniers à Foua en Syrie (MEE/Harun al-Aswad)

Il n’y a plus de pupitres ou de chaises dans les salles de classe, seulement de grandes et lourdes portes de fer – et sur le sol des traces de sang.

Restent également des équipements couramment utilisés par une méthode de torture connue sous le nom de « fantôme », selon laquelle les prisonniers étaient parfois suspendus par les mains ou les pieds, pendant des heures voire des jours entiers.

L’entrée de l’école est un chaos carbonisé – témoignant, selon Abou Talib, un rebelle, que des mines y avaient été installées par les forces progouvernementales lors de leur évacuation, pour piéger les vainqueurs.

À Foua, l’entrée d’une école et d’une aire de jeux, dévastées par des explosions (MEE/Harun al-Aswad)

Des prisonniers ont exprimé leurs pensées et leurs souffrances en griffonnant des graffitis sur les murs des salles de classe transformées en cellules.

« Nous sommes opprimés, et ceux qui nous oppriment prétendent que ce sont eux les opprimés. Chaque jour qui passe est un calvaire à fendre l’âme », dit l’un d’eux.

Selon Abu Talib, tout ce sang partout prouve que se déroulaient ici d’abominables séances de torture. Les cellules contiennent aussi des exemplaires du Coran, dont certaines pages ont été arrachées, on ne sait trop pourquoi. En vertu de l’accord d’évacuation, quatre prisonniers ont été libérés de l’école. Difficile de connaître le destin des autres.

Les nouveaux occupants des lieux

Les combattants rebelles ne sont pas les seuls nouveaux résidents de Foua et Kefraya.

Une petite fille pointe son nez à l’embrasure de l’entrée d’une maison : c’est l’une des nombreuses Syriennes originaires d’autres régions du pays qui ont fui les forces progouvernementales et ont maintenant réaménagé dans les maisons vides de Foua.

Une fille déplacée habite désormais à Foua (MEE/Harun al-Aswad)

Il y a six ans, son père, Hassan Gomaa, a été déplacé avec sa famille d’une région rurale au nord de Hama.

« Je n’ai pas d’autre endroit où vivre avec mes enfants. Avant, nous étions ballotés d’un coin à un autre », témoigne-t-il à MEE.

« Jaych el-Ahrar m’a donné une maison ici, je me suis engagé par écrit à l’entretenir et la garder en bon état. Moi, tout ce que je demande, c’est d’en finir avec cette vie de nomade ».

Les Syriens ne se précipitent pas pour réquisitionner les maisons, et pas seulement à cause des pièges à explosifs.

« Beaucoup de maisons ici ont été incendiées par les habitants de la région, avant leur départ », rappelle Gomaa.

« Jaych el-Ahrar m’a donné une maison ici, après m’être engagé par écrit à l’entretenir et la garder en bon état. Moi, tout ce que je demande, c’est d’en finir avec cette vie de nomade »

- Hassan Gomaa, déplacé syrien

Selon Abu al-Mutasim, priorité est donnée aux familles les plus vulnérables. Dans la seule zone de Jaych el-Ahrar, quelque 200 familles ont été réinstallées.   

Ibrahim Abdul Qadir, un autre civil qui a fait sienne l’une des maisons de Foua, affirme qu’après avoir fui Souran, dans une zone rurale du nord de Hama, il a sans cesse été déplacé pendant quatre ans.

« Mon frère travaille pour Jaych el-Ahrar et il m’a aidé à sécuriser la maison ici », raconte-t-il à MEE. « Mon père a disparu il y a six ans et ma famille se compose de huit personnes. Louer des maisons coûte une fortune à Idleb, et encore faut-il qu’il s’en trouve une de disponible. »

Si Jaych el-Ahrar a insisté pour que les nouveaux occupants s’engagent à préserver la propriété et le caractère de Foua, d’autres ne sont pas les mêmes intentions.

À proximité du rond-point au carrefour principal à l’entrée de la ville, un muezzin appelle les fidèles à l’Asr, la prière de l’après-midi.

Sur une place de la ville de Foua, un muezzin appelle les fidèles à la prière (MEE/Harun al-Aswad)

« La plupart des mosquées ont besoin d’être rénovées », constate Hassan Juma, récemment installé dans la ville.

Juma est sunnite, comme les autres déplacés installés à Foua et les rebelles qui contrôlent la ville.

« Les mosquées chiites et les husayniyah[salles où se réunissent les congrégations chiites] contiennent beaucoup de slogans confessionnels, de drapeaux noirs et de poteries qui ont servi pendant leurs prières : impossible d’en faire notre lieu de prière ».

Le calme avant la tempête

La vie des habitants des environs est presque retournée à la normale.

Situées entre la ville d’Idleb et la frontière turque, Foua et Kefraya sont hautement stratégiques. Avec la fin des sièges, ont été rouvertes les routes reliant la capitale provinciale à plusieurs villes et villages du nord.

Auparavant, les résidents d’Idleb étaient contraints de circuler sur les routes secondaires à la périphérie des deux villes, ce qui doublait la distance et le temps nécessaire pour parvenir à destination.

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Le lignes de front se confondaient avec les principaux axes de circulation, et certains Syriens nouvellement déplacés, qui l’ignoraient, sont tombés aux mains des forces progouvernementales.

Firas el-Ahmadi, propriétaire d’une petite boutique dans la ville de Binnish, limitrophe de Foua, apprécie les retombées bénéfiques de la nouvelle donne.

« Nous n’avons plus besoin de passer par les routes de desserte, si longues et accidentées », confie-t-il avec soulagement.

Les routes, les champs et les villes autour de Foua étaient à portée des forces d’Assad, et pour ne rien arranger, l’aviation du gouvernement bombardait les zones environnantes chaque fois que les rebelles lançaient un assaut.

« De nombreux obus sont tombés à Binnish, faisant de nombreuses victimes et causant des pertes diverses, surtout au niveau des cultures agricoles », indique Ahmadi. « Les agriculteurs ne sont toujours pas revenus sur leurs terres, par crainte des mines ».

Un berger traverse avec son troupeau une place de Foua (MEE/Harun al-Aswad)

Cependant, malgré ce répit, plane une autre menace potentielle, encore plus grave.

La semaine dernière, des avions et des hélicoptères ont largué des tracts sur Foua, Kefraya et une grande partie de la province d’Idleb, appelant l’opposition à déposer les armes et à conclure des accords de réconciliation avec le gouvernement.

Dès lors que ces deux villes chiites sont maintenant vides de leurs habitants, plus rien ou presque ne s’oppose à une attaque en règle contre la dernière province syrienne tenue par les rebelles.

Traduit de l’anglais (originalDominique Macabies.

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