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Les Palestiniens de Naplouse pris au piège de la répression israélienne de la résistance armée

En raison du siège imposé par Israël depuis plusieurs jours, la vie est quasiment à l’arrêt à Naplouse, ce qui a de lourdes conséquences pour les Palestiniens, qui y voient une « punition collective » visant à retourner la population contre la résistance
Le blocus de Naplouse provoque des embouteillages aux postes de contrôle situés plus au sud de la Cisjordanie, notamment près du poste de contrôle de Hizma, au sud de Ramallah, le 18 octobre 2022 (MEE/Akram al-Waara)

Sur la route principale permettant de quitter la ville de Naplouse, dans le Nord de la Cisjordanie occupée, la circulation est à l’arrêt.

Dans cet embouteillage de plusieurs kilomètres, des automobilistes frustrés klaxonnent et hurlent. D’autres se résignent à se garer pour se dégourdir les jambes ou font les cent pas le long de la route. 

Deux conducteurs bruyants et agressifs se disputent par fenêtres interposées. Alors que la plupart des gens autour se sont retournés pour assister à ce spectacle, un groupe de jeunes hommes plus loin dans la file est trop occupé à tirer le meilleur parti de cette situation fâcheuse. Musique à fond, ils se prélassent dans leur voiture, les jambes en l’air, lunettes de soleil vissées sur la tête. 

« Nous attendons qu’ils nous laissent passer. Peut-être que ce sera dans une heure, peut-être quatre. On ne sait pas »

– Ahmed Adeeb, chauffeur de camion

Pendant ce temps, un groupe de soldats israéliens armés tient le poste de contrôle au loin, qui est complètement fermé depuis quelques heures. Personne n’entre ou ne sort. 

Depuis une dizaine de jours, Israël impose un blocus au gouvernorat de Naplouse, l’un des plus grands de Cisjordanie, dans un contexte de répression par l’armée d’une résurgence de la résistance armée dans la région.

Compte tenu du siège de Naplouse, la vie est quasiment à l’arrêt dans cette ville, ce qui a des répercussions économiques considérables non seulement pour les habitants de Naplouse, mais aussi pour les Palestiniens de toute la Cisjordanie. 

Ahed Busalat (42 ans) attend au check-point depuis cinq heures. Entre les coups de klaxon, il explique qu’il lui faut habituellement dix minutes pour aller de son village, Hajja, à Naplouse. Maintenant, il lui faut presque une journée entière. 

« Je suis arrivé ici à 11 heures du matin. Il est 16 heures », explique-t-il à Middle East Eye mardi après-midi, laissant transparaître sa frustration dans sa voix. 

« Au début, les soldats fouillaient les voitures avant de laisser partir les gens ; maintenant, ils ne font plus rien. Ça fait des heures qu’on est à l’arrêt. »

Dix jours de siège 

Depuis une dizaine de jours, l’armée israélienne a fermé les huit postes de contrôle militaires du secteur permettant d’entrer à Naplouse et d’en sortir. L’armée a également érigé des dizaines de check-points mobiles supplémentaires et bouclé un réseau d’axes secondaires dans tout le gouvernorat.

Le gouvernorat de Naplouse compte plus de 425 000 habitants, vivant dans quatre camps de réfugiés, 55 villages et une ville. Pratiquement tous sont affectés par ces mesures, puisqu’ils se retrouvent bloqués aux postes de contrôle en se rendant au travail, à l’université ou pour rendre visite à leurs amis et à leur famille pris au piège dans la ville sans pouvoir en sortir. 

Après qu’un soldat israélien a été tué le 11 octobre alors qu’il se trouvait à un poste militaire à l’extérieur de la ville de Deir Sharaf, dans la région de Naplouse, l’armée israélienne s’est lancée dans une vaste chasse à l’homme pour retrouver le tireur, qui appartenait à la « Tanière des lions », un nouveau groupe de résistance armée. 

Un Palestinien met les pieds en l’air dans sa voiture alors qu’il patiente avec des centaines d’autres voitures pour franchir le poste de contrôle de Naplouse, le 18 octobre 2022 (MEE/Akram al-Waara)
Un Palestinien met les pieds en l’air dans sa voiture alors qu’il patiente avec des centaines d’autres voitures pour franchir le poste de contrôle de Naplouse, le 18 octobre 2022 (MEE/Akram al-Waara)

Basé dans la vieille ville de Naplouse, ce groupe qui ne semble affilié à aucune faction politique a intensifié ses activités dans le Nord de la Cisjordanie, revendiquant plusieurs attaques armées contre des positions militaires et des colonies israéliennes dans la région.  

Le lendemain de la mort du soldat la semaine dernière, l’armée israélienne a annoncé la mise en place d’un blocus généralisé à Naplouse et de « contrôles de sécurité stricts » pour les Palestiniens souhaitant entrer dans le secteur et en sortir. 

L’armée a envahi Naplouse et les villages environnants et érigé de nouveaux postes de contrôle dans tout le secteur, mais aussi multiplié les raids militaires nocturnes et les fouilles, prétendument pour débusquer des membres recherchés de groupes de résistance palestiniens. 

Selon Ghassan Daghlas (50 ans), un activiste palestinien qui surveille les agissements des colons dans le Nord de la Cisjordanie, il est possible d’entrer dans Naplouse, mais presque impossible d’en sortir. 

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« Les soutiens de famille qui doivent passer par Naplouse pour se rendre au travail ne rentrent plus chez eux. Ils dorment dans la ville où ils travaillent par peur de ne pas pouvoir revenir. » 

Ahmed Adeeb (53 ans), qui vit dans le village d’Aqraba, attend depuis six heures au check-point de Sarra, à l’ouest de Naplouse, pour pouvoir quitter la ville.

Ce chauffeur de camion qui transporte des marchandises vers et depuis Naplouse connaît bien cet axe, puisqu’il l’emprunte généralement plusieurs fois par jour pour ses livraisons. Interrogé mardi par MEE, il confie qu’il n’a pas pu sortir de Naplouse une seule fois. 

« Nous attendons qu’ils nous laissent passer », commente-t-il alors qu’il patiente au check-point dans son camion. « Peut-être que ce sera dans une heure, peut-être quatre. On ne sait pas. » 

Une « punition collective »

De plus en plus impatients au fil des heures dans leur voiture, alors que la file ne bouge pratiquement pas, des Palestiniens interrogés par MEE affirment que ce qu’ils vivent n’est rien de moins qu’une « punition collective ».

Selon Ahmed Adeeb, Israël punit non seulement le gouvernorat de Naplouse, mais aussi tous les habitants de Cisjordanie qui doivent passer par Naplouse tous les jours. Dans les faits, poursuit-il, l’armée a mis sous blocus une région entière et mis ainsi à l’arrêt la vie de centaines de milliers de personnes.

« Je veux que les gens nous regardent, ici en Palestine, coincés dans cette file. Des gens essaient de couper la file parce qu’ils ne peuvent pas attendre. Certains sont malades, d’autres ont besoin d’aller aux toilettes. Les gens ont besoin de se déplacer librement », soutient Ahmed Adeeb. 

« Ce blocus nous complique la vie. Je ne peux pas conduire mes enfants à l’école et nous vivons trop loin pour qu’ils puissent y aller en marchant »

– Mahmoud Wawii, habitant palestinien de la région de Naplouse

Alors que le blocus militaire de Naplouse s’intensifie, les postes de contrôle deviennent encore plus difficiles à franchir. 

D’après Ghassan Daghlas, au moins deux femmes ont même dû accoucher à un check-point. En parallèle, des entreprises et des établissements d’enseignement supérieur sont contraints de fermer, puisqu’il est devenu quasiment impossible de circuler entre Naplouse et les secteurs voisins. 

« Lorsque l’on circule entre les villages proches de Naplouse, on se sent nerveux », confie Ghassan Daghlas à Middle East Eye. 

« Il y a des drones qui nous cernent dans le ciel et des soldats à chaque coin de rue. On sait très bien ici que les soldats qui pointent leur arme vers notre visage ne le font pas pour nous intimider.

« Ils sont toujours prêts à tirer et le feront sans hésiter s’ils pensent que nous sommes une menace. La menace d’Israël est omniprésente, ce qui rend l’environnement dans lequel nous vivons très effrayant », poursuit-il. 

Mahmoud Wawii (55 ans) vit à Deir Sharaf, où de grands monticules de terre protégés par l’armée israélienne ont été érigés en travers des routes. S’il est possible de les passer à pied, ils sont infranchissables en voiture.

Ces monticules présents depuis neuf jours bloquent une quarantaine de familles qui vivent de l’autre côté, les empêchant de subvenir à leurs besoins les plus élémentaires. 

Pendant que Mahmoud Wawii s’exprime, une ambulance palestinienne, sirène hurlante, est obligée de faire demi-tour, faute de pouvoir franchir les énormes monticules de terre qui bloquent les axes de Deir Sharaf. 

« Ce blocus nous complique la vie. Je ne peux pas conduire mes enfants à l’école et nous vivons trop loin pour qu’ils puissent y aller en marchant », déplore-t-il.

« On ne peut les conduire que jusqu’au monticule. Ensuite, ils doivent marcher ou attendre que quelqu’un d’autre les conduise. Et si quelqu’un est malade, nous ne pouvons pas l’emmener à l’hôpital de Naplouse. Nous devons nous rendre dans un autre hôpital, dans un autre village, qui se trouve à près de 20 km. »

Ahed Busalat, un vendeur de meubles originaire du village de Hajja (photo), affirme que le blocus a un impact considérable sur son travail et entraîne des pertes financières importantes (MEE/Akram al-Waara)
Ahed Busalat, un vendeur de meubles originaire du village de Hajja (photo), affirme que le blocus a un impact considérable sur son travail et entraîne des pertes financières importantes (MEE/Akram al-

Les barrages routiers affectent également le commerce. Cette rue autrefois animée est désormais remplie de magasins fermés, puisque personne ne peut y accéder et que même ceux qui le peuvent évitent de s’y rendre, par crainte d’être harcelés par les soldats israéliens. Des centaines de familles ont perdu leur source de revenu à cause de ces fermetures.  

Vendeur de meubles à Naplouse, Ahed Busalat évoque des répercussions négatives sur son travail, qui lui causent d’énormes pertes financières. « Quand ils recommenceront enfin à nous faire avancer, ils nous fouilleront lentement, en prenant leur temps », dit-il à propos des soldats aux postes de contrôle. 

« Parfois, les soldats nous arrêtent pendant quelques minutes, d’autres fois pendant une heure. Ils nous font soulever notre chemise, ils fouillent notre téléphone et scrutent nos comptes sur les réseaux sociaux. C’est humiliant. Ils le font même aux femmes et aux enfants »

– Ahed Busalat, vendeur de meubles

« On ne peut pas travailler dans ces conditions. Je suis venu à Naplouse pour une livraison et ça m’a fait perdre une journée entière de travail. »

« Parfois, les soldats nous arrêtent pendant quelques minutes, d’autres fois pendant une heure, tout dépend de leur humeur. Ils nous font soulever notre chemise, ils fouillent notre téléphone et scrutent nos photos et nos comptes sur les réseaux sociaux. C’est humiliant. Ils le font même aux femmes et aux enfants », déplore Mahmoud Wawii.

« Nous en voulons à Israël et à son occupation », poursuit-il. « Nous nous sentons opprimés. Regardez ce qu’ils nous font. Que ressentiriez-vous ? Cette manière de nous infliger une punition collective avec des postes de contrôle et des barrages nous empêche de vivre.

« Il n’y a pas d’activité économique, de liberté de circulation ou d’accès aux hôpitaux. Toute notre vie est à l’arrêt, nous seulement ici mais dans toute la région de Naplouse. »

Susciter un ressentiment

Alors que les médias israéliens présentent le siège de Naplouse comme une mesure défensive, de nombreux Palestiniens estiment que ce discours est fallacieux et conçu pour justifier l’intensification de l’occupation militaire déjà en place. 

« Israël se sert des groupes de résistance palestiniens comme d’une excuse pour imposer des mesures de punition collective, mais c’est un mensonge », soutient Ghassan Daghlas.  

« Des colons ont tué la famille Dawabsheh [en 2015], les soldats tirent sur les enfants dans la rue : tout cela n’est pas une réaction à la résistance palestinienne, mais une conséquence de l’occupation. Dans le cadre de l’occupation, toutes les politiques sont antipalestiniennes », souligne-t-il. 

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Interrogés par MEE quant à savoir quel est selon eux l’objectif du siège de Naplouse, de nombreux Palestiniens pensent qu’Israël tente de semer la discorde au sein de la société palestinienne et de retourner les Palestiniens ordinaires contre les groupes de résistance, présentés comme la cause présumée du siège. 

« Ils emploient cette politique de punition collective pour susciter chez le Palestinien moyen un ressentiment envers les résistants », estime Ahed Busalat. « Les punitions que nous subissons ne sont pas seulement la faute de l’occupation israélienne, mais du monde entier – ils partagent cette responsabilité. »

« Ils se servent de leur traque des résistants palestiniens pour rationaliser cette lente torture », soutient-il. 

Ahmed Adeeb partage cet avis : « Les Israéliens se vengent des groupes de résistance en ciblant l’ensemble de la population palestinienne. »

Certains Palestiniens interrogés par MEE, comme Mahmoud Wawii, n’espèrent plus rien de la communauté internationale, qui selon lui « privilégie l’argent à la population ».

« Personne ne se soucie de la personne opprimée », soupire-t-il. « Lorsque la personne opprimée décide de résister et de réclamer ses droits, elle est traitée de terroriste ». Si les choses continuent ainsi, « la cocotte-minute va exploser », prévient-il.

Ghassan Daghlas adresse un message d’avertissement au monde extérieur : « Nous sommes proches d’un massacre palestinien. Les soldats comme les colons n’ont pas de comptes à rendre pour les attaques, les incendies et les meurtres commis contre les Palestiniens et leurs terres. La communauté internationale doit intervenir. »

Il ne perd pas espoir malgré tout. « Ce type de punition collective a été utilisé contre nous à de nombreuses reprises et a toujours échoué depuis le début de l’occupation », souligne-t-il. 

« Cela échoue toujours parce que les Palestiniens gardent espoir et continuent de se battre pour leur liberté. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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