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L’héritage d’Obama : un mélange de prudence, de réussites et d’échecs

Quand Obama a prononcé son discours d’adieu mardi, il a tenté de consolider le soutien de l’opinion en faveur des progrès accomplis par les États-Unis, tant à l’intérieur qu’en politique étrangère, car il les sait menacés
Obama avait dit aux ennemis de l'Amérique qu’il leur « tendrait la main » (Reuters)

NEW YORK, États-Unis La critique est aisée contre un homme qui a gagné les élections sur ses promesses de sortir l’Amérique d’Afghanistan et d’Irak et de fermer le Camp de Guantanamo – et qui pour finir n’a pas atteint ces objectifs, même après huit ans de mandat à la Maison Blanche.

C’est vrai, le président américain Barack Obama a réduit le déploiement des forces d’intervention dans ces nations principalement musulmanes et a extrait des dizaines de détenus du goulag cubain pour les transférer ailleurs, mais ces promesses non-tenues ne peuvent que contribuer à ternir son bilan.

Mardi, il a dit adieu à un électorat qui a marqué l’histoire en élisant un Noir à la tête de la nation la plus riche et la plus puissante du monde, une première fois en 2008 et de nouveau en 2012.

Obama a donné le meilleur de lui-même quand l’orateur exaltant qu’il est a réfréné l’esprit belliqueux de l’Amérique, offert une main tendue à ses ennemis et atteint des objectifs estimés jusqu’alors improbables : accord sur le nucléaire avec les mollahs iraniens et détente avec les gauchistes cubains.

Il a échoué, en ce sens que sa diplomatie n’a jamais été à la hauteur de ses discours pontifiants. Les atermoiements d’Obama à l’égard de la Syrie a entamé la stature de l’Amérique et attisé le chaos et la mort, pendant que s’empilaient les sacs mortuaires suites aux frappes de ses drones antiterroristes un peu partout dans le monde.

« Sa politique étrangère s’est caractérisée par une prudence excessive et une grande réticence à prendre des risques »

- Jonathan Cristol, maître de conférences au World Policy Institute

« Les historiens noteront qu’Obama quitte ses fonctions sans avoir tenu sa promesse de mettre un terme à la guerre en Irak ou gagné la guerre en Afghanistan. Ceux sont deux points noirs », explique à Middle East Eye Andrew Becevich, de l’Université de Boston et auteur de Washington Rules (Les règles de Washington).

« Avant de rendre un verdict concluant, les historiens devront attendre de voir comment vont se terminer les autres initiatives d’Obama – l’accord de Paris sur le climat et le traité obtenu avec les Iraniens sur le nucléaire. L’honnêteté la plus élémentaire commande de reconnaître qu’il est encore trop tôt pour faire le bilan du legs d’Obama ».

Obama a travaillé dur pour restaurer l’unité entre Washington et ses alliés, après le mandat controversé du président George W. Bush. Il a évité de rajouter une couche à la soi-disant « guerre » déclarée « à la terreur » par son prédécesseur en déployant toujours plus de moyens militaires américains à l’étranger.

« Ne pas faire de bêtises »

Le 44e président des États-Unis et ses collaborateurs ont ainsi défini son approche : « Ne pas faire de bêtises » – résolution qui incarne la prudence fondamentale d’Obama devant la capacité d’une superpuissance à modeler les événements dans le monde entier, d’arrêter un carnage et étendre de par le monde la gouvernance démocratique.

Une fois en fonction, Obama a promis aux ennemis de l’Amérique qu’il « leur offrirait une main tendue ». Grâce à une telle démonstration de bonne volonté, il a obtenu une percée historique avec l’Iran : les États-Unis ont levé leurs sanctions économiques ainsi que celles imposées sur le pétrole et le commerce, en échange de nouvelles diminutions de son programme nucléaire.

Les faucons américains nous mettent en garde : la menace des armes atomiques iraniennes demeure. Nombre des restrictions sur Téhéran commenceront à devenir caduques dès la prochaine décennie, et fourniront donc à la République islamique les moyens d’accroître plus encore leur arsenal militaire.

À Cuba, il a certes renoué les relations diplomatiques : La Havane autorisa par suite la présence d’une ambassade américaine sur son sol et la reprise des échanges économiques. Les progrès obtenus en ces domaines n’ont cependant pas obtenu des élites communistes la libération de nombreux prisonniers politiques, pas plus que les réformes démocratiques attendues.

Le pacte sur le changement climatique mondial signé l’an dernier ? Il engage la plupart des pays à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, tenues pour responsables du réchauffement climatique et de la montée du niveau des mers, provoquant l’aggravation du nombre et de l’intensité des vagues de chaleur et des sécheresses. La Chine a été autorisée à continuer d’accroître jusqu’en 2030 ses émissions de CO2.

Si Obama a certes marqué des points en relations publiques en déployant les Navy Seals (forces spéciales) qui ont réussi en 2011 à éliminer le chef d’al-Qaïda, Oussama Ben Laden, dans son bunker au Pakistan, une grande partie de sa présidence fut décevante.

Il n’est jamais parvenu à un retrait total d’Afghanistan, qui, privé du soutien américain, risque de sombrer dans le chaos ; ni de l’Irak, où l’irruption soudaine du groupe État islamique (EI) en 2014 a exigé un redéploiement américain en urgence.

Les efforts déployés par Obama pour fermer le centre de détention de Guantanamo à Cuba ont été contrariés par le Congrès américain, qui l’a empêché de transférer les conspirateurs présumés du 11 septembre ainsi que d’autres suspects de terrorisme sur le sol américain.

Son administration a été en 2011 prise de court par le Printemps arabe. Il a commencé par prendre fait et cause en faveur des manifestants qui exigeaient l’éviction des autocrates, mais suite au putsch militaire en Égypte et la rébellion houthie au Yémen, Washington a rendu son soutien aux élites qu’il avait abandonnées.

Quand en 2014 la Russie a annexé la péninsule de Crimée (sous contrôle ukrainien) et soutenu les rebelles à l’est de l’Ukraine, Obama a imposé des sanctions qui n’ont guère influencé la tactique de Moscou : la Russie ne s’est pas retirée.

La réaction d’Obama devant la montée en puissance de la Chine fut le lancement de la stratégie « pivot vers l’Asie », mais il n’a pas réussi pour autant à se détourner de l’Europe et du Moyen-Orient. Et quand Washington a accusé Pékin de s’être accaparé de territoires au sud de la mer de Chine, Obama n’a rien pu faire, sinon exprimer sa désapprobation.

Ligne jaune en Syrie

La plupart des détracteurs du président sortant lui reprochent de ne pas avoir fait respecter sa propre « ligne jaune » par le gouvernement du président syrien Bachar al-Assad, lorsque le despote a osé recourir aux armes chimiques pendant la guerre menée contre une kyrielle vertigineuse de groupes rebelles.

Obama n’a pas mis à exécution sa menace de répondre par la force. Sa fameuse prédiction, « les jours d’Assad sont comptés », s’est avérée de plus en plus absurde au fur et à mesure de la reprise en main par l’autocrate, dont la guerre – qui a coûté la vie à 400 000 Syriens – fut gagnée grâce au soutien de la Russie et de l’Iran.

« Le Pentagone s’efforce toujours de conserver la suprématie des États-Unis dans le monde entier, où ils imposent leur supériorité militaire dans toutes les régions de la planète »

- Michael Brenner, universitaire

Jonathan Cristol, maître de conférence au World Policy Institute (laboratoire d'idées), analyse pour MEE : « La politique étrangère d’Obama fut marquée par une prudence excessive et son aversion au risque, car il avait conscience que – échaudée par les guerres en Irak et en Afghanistan – l’opinion publique américaine n’avait plus aucune appétence pour les aventures militaires à l’étranger ».

« Obama ne fut donc pas un va-t-en guerre, mais sa patience stratégique a eu des effets divers selon les régions du monde. En Corée du Nord, nous avons fait preuve d’une patience exemplaire. Résultat ? Pyongyang a encore avancé ses pions en construisant des armes nucléaires et en développant sa technologie en matière de missiles balistiques ».

Globalement, Obama a reçu l’approbation de plus de la moitié des personnes  interrogées l’année dernière, en diverses régions d’Europe, d’Asie-Pacifique et en Amérique du Nord, estime le Pew Research Centre. Puisqu’il a obtenu 54% d’avis favorables sur son action présidentielle, il a au final réussi son mandat.

Cependant, on constate également des signes de mécontentement. Lors d’un débat animé en novembre par « Intelligence Squared US » (émission de géopolitique), le public new-yorkais, typiquement libéral (c’est-à-dire plutôt à gauche aux États-Unis), a voté pour estimer que, tout compte fait, la politique étrangère d'Obama fut un échec.

Les partisans d’Obama mettent en exergue son histoire personnelle : ce fils d’un Kényan – qui a passé une partie de son enfance en Indonésie et dont « Hussein » est le second prénom – a incarné l’esprit d’une génération ouverte sur l’extérieur mais qui observe avec beaucoup de circonspection les interventions militaires américaines.

« Il a promis d’abolir les armes nucléaires et de suivre une politique de la main tendue pour gagner la confiance des adversaires de l’Amérique », rappelle à MEE Michael Mandelbaum, universitaire et auteur de Mission Failure: America and the World in the Post-Cold War Era (Mission vouée à l’échec : l’Amérique et le monde à l’ère de le post-guerre froide).

« Il a commencé son mandat avec l’idée que sa seule présence améliorerait la réputation de l’Amérique aux yeux du monde. Or, il n’a pas amélioré la réputation de l’Amérique aux yeux des autres pays. Sa réticence à recourir à la force, si elle n’a pas enhardi Russie, Chine et Iran, ne les a certainement pas dissuadés ».

De plus, quand la plupart des critiques accusent Obama d’un excès de prudence, d’autres prétendent qu’il n’est pas allé assez loin pour affronter l’idéologie militaire et politique qui sous-tend le rôle de l’Amérique dans les affaires mondiales – puissance surdimensionnée libre de toute entrave.

Michael Brenner, professeur à l’Université de Pittsburgh et ancien conseiller auprès du ministère américain de la Défense conclut : « Pas question de se désengager quand on dispose d’un si vaste réseau de bases militaires, jusqu’aux confins les plus lointains du monde ».

« Le Pentagone se consacre toujours à conserver sa suprématie dans le monde entier, où les États-Unis affirment leur supériorité militaire dans toutes les régions du globe. Rien à voir avec un quelconque désengagement ».

Traduit de l’anglais (original) par [email protected].

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